musique

Ayant rencontré chez les Grodzicki le jeune peintre Eichler, je lui ai déclaré : Je ne crois pas à la peinture. (Aux musiciens, je dis : Je ne crois pas à la musique !)

Witold Gombrowicz, Journal (1), Gallimard, p. 57.

David Farreny, 22 mars 2002
pédalo

Sur deux hauts tabourets non contigus, un couple désemparé, assis au bar, affalé plutôt, oreilles dans la paume de la main, coudes repliés, nez sur les verres, était trop las pour échanger encore les arguments flaccides d’une dispute éculée, filée au long d’un week-end raté. Une femme un peu ample, un peu blonde, un peu pas jeune, contemplait de sa caisse à travers les grandes baies nues, arrondies, le gris panorama et elle répétait pour elle-même, à de réguliers intervalles : « Ah non, ce temps, j’vous jure… » J’ai acheté là quelques cartes postales racornies, aux couleurs « faites main ». Je les ai maintenant sous les yeux. Elles rendent bien l’esprit du lieu. La salle à manger de l’hôtel, légèrement tremblée comme par un soupçon que peut-être on ne dort pas, est vraiment une vision de cauchemar. Mais la Promenade en pédalo sur le lac (circa 1953) fouaille mieux encore la mémoire hallucinée. Le pédalo est flanqué à chaque bord par la haute silhouette d’un cygne de bois, au bec orange dont l’orange glisse un peu vers les sapins du fond. La souriante promeneuse — et pourtant elle sait, cette femme sait quelque chose, et moi d’elle, de ses malheurs vers 1961 — a un chemisier bleu, son ami une chemisette verte et les cheveux très calamistrés. Passe à l’arrière-plan, sur l’embarcadère blanc du Chalet de la Plage, une jeune famille d’au moins cinq enfants. La plus jeune des petites filles porte une jupe du même vert cru que la chemisette du si bien coiffé pédaleur. On sent qu’on se battra pour elle, à la sortie de bals de village, les samedis soirs.

Renaud Camus, Buena Vista Park, Hachette/P.O.L., pp. 63-64.

David Farreny, 30 juil. 2005
beauté

Vivre dans la beauté, voilà l’exigence où nous devons nous barricader absolument ; refuser ses banlieues, leurs commodités, leurs accoutumances ; renouveler chaque fois l’expérience de l’émerveillement, de la solitude, de la nuit s’il y faut la nuit. Ne pas transiger sur ce point. Ne pas écouter la voix du bon sens, de la résignation, de la fatigue. Suivre les fleuves, se mettre à l’écoute du silence, creuser toujours davantage notre absence au monde, puisqu’elle est notre seule éternité, le seul frémissement de notre sourire, la pierre philosophale où se transmue l’instant en son essence poétique, qui est probablement de n’être rien (et nous avec lui) : une fraîcheur contre notre visage, un souffle venu de la rivière, une fallacieuse fulgurance des signes, leur évidence coite.

Renaud Camus, Aguets. Journal 1988, P.O.L., p. 300.

Élisabeth Mazeron, 19 août 2005
dire

Nous n’aurons pas connu la terre. Encore une saison de passée. Ce que j’en ai vécu, je serais incapable de le dire.

Renaud Camus, L’épuisant désir de ces choses, P.O.L., p. 115.

David Farreny, 11 fév. 2006
mystères

La bonté, la compassion, la fidélité, l’altruisme demeurent donc près de nous comme des mystères impénétrables, cependant contenus dans l’espace limité de l’enveloppe corporelle d’un chien.

Michel Houellebecq, La possibilité d’une île, Fayard, p. 79.

David Farreny, 11 mars 2008
empêche

Ce qui l’empêche de se lever est une certaine pesanteur, le sentiment d’être à l’abri quoi qu’il arrive, le pressentiment d’un lieu de repos qui lui est préparé et n’appartient qu’à lui ; ce qui l’empêche de rester couché est une inquiétude qui le chasse de sa couche, sa conscience, son cœur qui bat interminablement, sa peur de la mort et son besoin de la réfuter, tout cela l’empêche de rester couché et il se relève. Ces hauts et ces bas, ainsi que quelques observations rapides et insolites faites par hasard sur ces chemins constituent sa vie.

Franz Kafka, « Journaux », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 501.

David Farreny, 9 nov. 2012
équidistant

L’œil équidistant de la lune quand on se déplace.

Emmanuelle Guattari, Ciels de Loire, Mercure de France, p. 103.

Cécile Carret, 23 sept. 2013
techniques

Elles ont songé à écrire un livre sur les techniques de rencontre : Julie avait parlé à un type devant la balance des fruits et légumes dans un Sainsbury’s. Elle cherchait l’icône des carottes. Un type l’avait aidée ; tout de suite, ça avait été des galanteries. La scène n’avait pas duré, cependant elle gardait l’idée de rencontrer un type à la balance, de faire semblant de chercher l’image d’un fruit.

Elles auraient classé les rencontres par lieux. Que faire dans tel lieu ? Par âges. Par saisons.

Évidemment, Julie avait raconté sa pratique du croche-patte.

Alain Sevestre, Poupée, Gallimard, p. 289.

Cécile Carret, 19 mars 2014
fraîcheur

La grande valeur pratique des certitudes ne doit pas nous dissimuler leur fragilité théorique. Elles se flétrissent, elles vieillissent, tandis que les doutes gardent une fraîcheur inaltérable… Une croyance est liée à une époque ; les arguments que nous lui opposons et qui nous mettent dans l’impossibilité d’y adhérer bravent le temps, de sorte que cette croyance ne dure que grâce aux objections qui l’ont minée.

Emil Cioran, « La chute dans le temps », Œuvres, Gallimard, p. 566.

David Farreny, 28 fév. 2024
après-demain

Je ne sais pas ce que me réserve demain ; mais pour après-demain, il n’y a vraiment aucun suspense.

Éric Chevillard, « lundi 23 mai 2022 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 17 mars 2024

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