Cette fatigue est loin de m’être particulière. Et c’est elle qui vous ôte de plus en plus toute envie d’échanger des idées avec quiconque. J’ai presque renoncé à écouter le contenu des paroles et me borne à écouter la manière dont elles sont énoncées.
Witold Gombrowicz, Journal (1), Gallimard, p. 71.
Les poules ne pondent pas d’œuf. Personne ne pond. Il n’y a pas moyen. Elles les déterrent.
Henri Michaux, « En marge de Qui je fus », Œuvres complètes (1), Gallimard, p. 132.
Les promenades dans une ville souffrent de cette imperfection que Proust attribue au présent.
Michel Besnier, Cherbourg, Champ Vallon, p. 11.
Soirs ! Soirs ! Que de soirs pour un seul matin !
Îlots épars, corps de fonte, croûtes !
On s’étend mille dans son lit, fatal déréglage !
Henri Michaux, « Plume précédé de Lointain intérieur », Œuvres complètes (1), Gallimard, p. 599.
Tout se mélange. Il n’y a pas la vie d’un côté, la mort de l’autre. Il n’y a pas ici la raison, et la folie sur cette autre rive, en face, bien séparée. Il n’y a même pas la santé, qui un beau jour s’arrêterait d’un coup, pour faire place à la maladie. Très avant dans le territoire du chagrin, le bonheur a encore ses enclaves, ses bons moments, ses rémissions.
Renaud Camus, Vie du chien Horla, P.O.L., p. 111.
Le soir, pour réserver les moments de solitude qui sont si nécessaires, j’allais rôder de mon côté. Un cahier sous le bras, je passais l’eau et remontais l’avenue Nemanjina, noire et déserte, jusqu’au Mostar, un bistrot paisible éclairé comme un paquebot où tous les « pays » bosniaques se retrouvaient pour entendre leur magnifique musique à l’accordéon. Je n’étais pas plutôt assis que le patron m’apportait un godet d’encre violette et une plume rouillée. De temps en temps, il venait voir par-dessus mon épaule si la besogne avançait. Qu’on puisse couvrir une page d’affilée lui paraissait prodigieux. À moi aussi. Depuis que la vie était devenue si divertissante j’avais le plus grand mal à me concentrer. Je prenais quelques notes, comptais sur ma mémoire et regardais autour de moi.
Nicolas Bouvier, L’usage du monde, Payot & Rivages, p. 37.
Rêves irrévocables
Aucun réveil ne peut révoquer
Ce dont une nuit on a rêvé
Alors sur le quai de la gare
Tu te réveilleras trop tard
Tu verras ta vie s’éloigner
Comme ce qui s’évade du miroir
Quand on ouvre ses yeux dans le noir
Le poisson rouge, à l’abri de deux fléaux majeurs : l’ennui et la rage de l’expression.
Jean-Pierre Georges, L’éphémère dure toujours, Tarabuste, p. 100.
car on est prisonnier de la vie du corps. si le corps s’éteint, et il s’éteint progressivement dans la vie, le corps est un éteignoir pour la vie.
Charles Pennequin, « Le harcèlement textuel », Pamphlet contre la mort, P.O.L., p. 103.