délibérer

Ce que je veux dire, c’est qu’ils étaient hommes, et femmes, à délibérer en compagnie de la douleur, à la tenir, comme le reste, en respect.

Pierre Bergounioux, Miette, Gallimard, p. 29.

Élisabeth Mazeron, 6 oct. 2004
plein

Voilà bien la vie calme, placide, de l’Antiquité, sans crainte et sans larmes. Un tombeau ancien : jamais un emblème de pleurs.

Ce sont des amours, des scènes mythologiques sur le sarcophage, n’ayant aucun rapport avec la personne (histoire d’Achille, les Amazones, etc.). La mort était chose si simple, quand elle venait naturellement.

Quand on mourait jeune, alors cela paraissait anormal, et on plaignait. « Il s’endormit plein de jours. »

Ernest Renan, Voyage en Italie, Arléa, p. 37.

David Farreny, 25 déc. 2004
justifié

Debout à six heures. À peine dépasserai-je une page, et avec quelle peine ! Surpris, encore, toujours, du coût de l’opération, toute simple, en apparence, au prix de quoi on comprend ce qui nous a rendu heureux ou mélancolique, quels composants, quelle configuration, dans la nature des choses, éveillèrent notre sympathie ou nous rendirent défiant, dépité. Ce qu’on a éprouvé était justifié. Nous entendons le langage du monde comme celui de nos semblables.

Pierre Bergounioux, « samedi 28 mars 1992 », Carnet de notes (1991-2000), Verdier, p. 156.

David Farreny, 20 nov. 2007
calcinés

Mais c’est contre les enseignements de mon expérience que je postule une règle au jeu, contre l’évidence que j’imagine une fin — c’est la même chose, au bout du compte, et on s’empresse de l’oublier pour reprendre la partie. De même pour le bâillement, le sourire qu’on devine quand on a sorti de la malle des grimaces, des mots qui pourtant ne prêtent pas à rire. Il y a sans doute un agacement mesuré, une mine (qui traînent, eux aussi, dans la malle) calculés pour frapper d’un léger discrédit les faiblesse de la treizième année, ce dont s’avise le bonhomme qui en a presque quinze et qui entreprend derechef de sortir les affiquets ad hoc. […] Si loin que mon regard porte, je n’aperçois que lambeaux tailladés, débris calcinés sur le chemin des âges traversés, sept ans, onze, quatorze.

Pierre Bergounioux, L’orphelin, Gallimard, p. 26.

Élisabeth Mazeron, 2 juin 2010
sien

Mon père était grand et raide. Le front large, les yeux perçants, il impressionnait. Quelle que soit la saison (avant 1975, bien sûr, je parle de l’ancien régime), il portait une chemise blanche, des boutons de manchette, une cravate et un costume croisé, de rigueur dans les ministères. Sa langue de travail était restée le français.

Il fumait beaucoup et j’aimais lui apporter son étui de métal. J’allumais sa dernière cigarette de la journée. Je garde cette image de lui, pensif. Ma mère lit un journal à ses côtés, perdue dans les volutes.

Parfois, il venait me chercher à l’école. Il discutait avec le directeur. Je me tenais à distance, un peu effrayé par ces hommes sérieux qui semblaient avoir tant à se dire. Il arrivait qu’il assiste à mes entraînements de taekwondo. Il s’adossait à un arbre, silencieux, attentif – les yeux mi-clos. J’étais fier de lui. Fier de sa présence, fier de son regard. Il me souriait, avant de disparaître.

Il était né dans une famille de paysans qui survivait à la frontière vietnamienne, dans les années 1920. Ils étaient neuf ou dix enfants. Tout est incertain dans la terre grasse des rizières, où les os blanchissent en une saison. Pour ces paysans, pas d’état civil, pas d’histoire, mais le décompte des heures et des bêtes.

Mon père a eu un destin à part : son propre père l’a choisi pour être éduqué. Pourquoi lui plutôt qu’un autre, c’est une énigme. Ses frères et sœurs étaient aux champs, à repiquer le riz ou à garder les troupeaux. Lui était à l’école à Phnom Penh. Il ne m’a jamais parlé de cette époque, mais il a dû se sentir heureux et bien seul, dans la capitale où les élèves riaient de ses pauvres vêtements.

Il est devenu instituteur, puis inspecteur d’école primaire, puis chef de cabinet au ministère, pendant près de dix ans. Il lisait beaucoup, des journaux, des revues, des livres. Sans parler des dossiers innombrables qu’on venait lui faire signer jusqu’à la maison, tard le soir. Il aimait discuter et réfléchir. Je sais qu’il aurait voulu progresser davantage dans la connaissance. Pas facile quand on a été un petit paysan de la frontière, et qu’on a soi-même neuf enfants.

L’enseignement était son combat. Il admirait Jules Ferry et l’école publique française. Il avait une idée fixe : pas de développement économique et social sans éducation. Il n’en démordait pas. Il était pur, jusqu’à la naïveté.

À sa façon, mon père avait réussi, mais la vie matérielle ne l’intéressait pas. Des tiges d’acier dépassaient des pilotis et du toit de la maison. Il s’en moquait, vivant pour son métier. Très vite, sous les Khmers rouges, il n’a plus eu le droit de porter de lunettes. Alors l’éducation n’a plus compté que dans la propagande. Alors ce monde n’a plus été le sien.

Rithy Panh, L’élimination, Grasset, p. 79.

Cécile Carret, 7 fév. 2012
damnatio

Je traîne en attendant l’heure dans le premier hall à droite, dans la gare d’Austerlitz. Au-dessus des grandes portes aux arcades monumentales, comme une épigraphe romaine ayant subi la damnatio, les larges inscriptions BUFFET, BAGAGES ont été effacées dans la pierre. Comme une suite à la fermeture des petites gares dans les campagnes.

Emmanuelle Guattari, Ciels de Loire, Mercure de France, p. 129.

Cécile Carret, 26 sept. 2013
impasse

Quart de tour à droite vers les fraises.

Quart de tour à gauche vers les tomates.

Et quand l’automne sera revenu pense monsieur Songe qu’est-ce que je vais devenir ? Rabâcher quart de tour à droite et à gauche sans plus arroser ? Me reposer l’affreuse question de l’opportunité de mes exercices et du bien-fondé de mon existence ? Si la chaleur s’en va mon angoisse de l’après-midi en sera moindre mais alors qu’en espérer puisqu’elle n’atteindra plus son paroxysme ? Elle demeurera moyenne et je serai condamné à ne plus noter que du médiocre ?

Et il ajoute pour sortir d’une impasse il faut en prendre une autre.

Robert Pinget, Monsieur Songe, Minuit, p. 58.

Cécile Carret, 7 déc. 2013
assaut

L’engagement n’est rien, l’assaut, quotidien, solitaire contre les normes changeantes de toute société est tout.

Philippe Louche, « 18 mai 2020 », Rien (ou presque). 🔗

David Farreny, 26 fév. 2024
trésors

Tous les trésors que nous accumulons dans nos placards, dans nos armoires, dans nos tiroirs, forment ce déchet dont Emmaüs ne voudra pas.

Éric Chevillard, « mardi 11 juin 2019 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 6 mars 2024

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