bureau

Songe, Milena, que le bureau n’est pas une institution arbitraire et stupide (il est cela aussi et surabondamment, mais ce n’est pas ici la question ; il relèverait d’ailleurs plutôt du fantastique que du stupide), mais que jusqu’ici, c’est ma vie ; je ne puis m’arracher à lui ; ce ne serait peut-être pas mauvais, mais jusqu’ici, précisément en fait je n’ai pas su le faire, c’est bien ma vie ; je peux me conduire avec lui miteusement, travailler moins que personne (je le fais), bousiller le travail (je le fais), faire quand même l’important (je le fais), accepter comme un dû le traitement le plus charmant qui soit concevable en son sein, mais mentir pour courir soudain en homme libre, moi qui ne suis qu’un employé, à un endroit où ne m’appellerait rien d’autre que le battement normal du cœur, non, je ne peux pas.

Franz Kafka, Lettres à Milena, Gallimard, p. 153.

David Farreny, 20 mars 2002
Occident

Mais — la rareté du ciel lorsqu’il blanchit, les rues identiques les unes aux autres, le dimanche soir en Occident…

François Rosset, Froideur, Michalon, p. 163.

David Farreny, 15 nov. 2002
rien

Rester debout n’était plus, pour elle, de ces choses qu’on peut faire sans y songer et dont l’importance ne se révèle qu’à l’instant où elles nous sont irrémédiablement ravies. Le fond, de proche en proche, lorsqu’il est venu, n’est peut-être pas aussi terrible puisqu’on a dépouillé la station debout, la faculté d’aller, celle de comprendre si tant est qu’on ait jamais compris ou qu’il y ait à comprendre. Il reste si peu de choses que tout ce qu’on est encore susceptible de concevoir et de vouloir, c’est de devenir véritablement rien.

Pierre Bergounioux, La maison rose, Gallimard, p. 88.

Élisabeth Mazeron, 15 sept. 2004
imposteur

Depuis le temps qu’il le cultive, c’est un sujet qu’il pourrait traiter les yeux fermés, la tête en bas, et en commençant par la fin. Sa propre dextérité, en la matière, l’agace un peu, même. Elle lui donne parfois, paradoxalement, le sentiment d’être un imposteur. Non pas un imposteur par défaut : un imposteur par excès.

Renaud Camus, Voyageur en automne, P.O.L., p. 14.

David Farreny, 21 déc. 2004
gravifique

On n’est pas fait pour les dévers. On n’a pas l’organisation penchée qui permettrait de compenser la fuite du sol, l’allure dissymétrique du dahu. Lorsqu’on ne s’échine pas à surmonter la limitation que la hauteur a partout dressée, c’est en bas, dans la combe, qu’on a sa place naturelle. Tout y ramène, le relief et la vertu gravifique, l’espace plus ou moins découvert, l’eau, la lumière qu’on trouve à l’état pur, et non pas en décoction, pleines d’ombre et de terre, d’herbe et de branchages. C’est dans la verticale que s’inscrit l’axe directeur de l’expérience, en bas que se concentrent ses occasions et ses objets, qu’elle a son penchant.

Pierre Bergounioux, Le chevron, Verdier, p. 12.

Élisabeth Mazeron, 3 mars 2008
annihilation

Et le temps durait. Ce n’était pas l’affaire d’une heure ou d’un jour, mais, comme dans les contes d’endormissement, une extension pour ainsi dire infinie d’une temporalité homogène, identique à elle-même, au sein de laquelle nul instant ne se différenciait.

À l’infinitude d’une durée dont le seul avenir ne pouvait être qu’une vacance toujours plus vaste, répondait mon entière passivité, plus pleine d’elle-même, dans sa disponibilité vidée de projets, plus paisible et plus grave à mesure que l’angoisse en moi se desserrait. Ce fut comme une immense maturation du cœur dans l’absorption d’une constante contemplation du vide et de sa blancheur. Je ne formulais pas de théorie. Je ne cherchais pas à penser mon expérience à la lumière d’un système. Simplement, je coïncidais avec un état que la lente et irrésistible annihilation de mon univers entretenait en moi d’une façon continue.

Claude Louis-Combet, Blanc, Fata Morgana, pp. 68-69.

Élisabeth Mazeron, 19 mars 2010
vérifier

Tout en marchant, je n’ai pas pu m’empêcher, en passant devant une vitrine, d’y vérifier à quelque distance mon reflet. J’aurais préféré me trouver plus élancé, mais ça n’a pas été le cas.

Christian Oster, Rouler, L’Olivier, p. 133.

Cécile Carret, 30 sept. 2011
répandent

Pour pouvoir parler aux jeunes filles, j’ai besoin d’avoir des personnes plus âgées autour de moi. Le léger trouble qu’elles répandent donne de la vie à ma conversation, il me semble aussitôt que les exigences qu’on me pose sont diminuées ; si les paroles que je laisse échapper sans examen ne conviennent pas à la jeune fille, elles peuvent toujours être placées à l’intention de la personne plus âgée, auprès de laquelle je puis encore, quand cela devient nécessaire, aller chercher de l’aide en grande quantité.

Franz Kafka, « Journaux », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 175.

David Farreny, 13 oct. 2012
coiffeur

J’ai cessé d’aller chez le coiffeur à l’âge de quatorze ans à cause de l’odeur de la laque, du crissement des doigts de la shampouineuse sur mes cheveux mouillés, et de la douleur de ma nuque sur le bac en forme de U. Je coupe moi-même mes cheveux, ce qui étonne mes amis puisque avec l’expérience, je me rate peu.

Édouard Levé, Portrait, P.O.L., p. 20.

Cécile Carret, 30 mars 2014
sec-beurre

[…] le sandwich au saucisson. Il s’agit d’un modèle très courant de sandwich, classique au point d’être désigné sous l’appellation familière de sec-beurre mais qui me semblait, depuis quelques années, moins souvent proposé par les établissements, moins souvent désiré par les consommateurs, au point que l’on pouvait s’interroger sur l’éventualité d’une basse tendancielle du taux de sec-beurre.

Jean Echenoz, « Trois sandwich au Bourget », Caprice de la reine, Minuit, p. 108.

Cécile Carret, 26 avr. 2014

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