centre

À titre personnel, je préfère les personnages « entre deux âges » ; je ne me suis jamais intéressé — et ne m’intéresse toujours pas — aux riches, ni aux pauvres, ni aux hommes politiques, ni aux délinquants, ni aux artistes (mis à part le cas particulier de l’artiste raté, qui me paraît emblématique : on est tous un peu ratés, on est tous un peu artistes). En matière de description sociale, je suis définitivement classes moyennes ; mais ce concept social-démocrate n’a peut-être aucun sens en zone parfaitement libérale. Au milieu de l’aéroport de Houston, juste avant de m’envoler vers l’Europe, je prends clairement conscience qu’au-delà des différences dans la mise en œuvre de nos deux stratégies, on peut probablement y déceler un même objectif : viser en plein centre.

Michel Houellebecq, « Compte rendu de mission : viser en plein centre », Lanzarote, Flammarion, p. 69.

Élisabeth Mazeron, 4 mars 2008
reflètent

Mardi – Les vitres teintées de l’immeuble de bureaux A reflètent les vitres teintées de l’immeuble de bureaux B. Les employés de l’immeuble A se regardent-ils travailler dans le reflet tendu ? Le métro aérien trouble-t-il les sosies qu’il sépare ? Subtil décalage des passagers inattentifs, bientôt assis et attablés de même.

Anne Savelli, Fenêtres. Open space, Le mot et le reste, p. 13.

Cécile Carret, 21 juil. 2008
repentir

Pourquoi se corriger, se repentir ? La nature s’en charge.

Paul Morand, « 25 juin 1970 », Journal inutile (1), Gallimard, p. 408.

David Farreny, 25 mai 2009
pitié

je fume une cigarette

tout nu dans mon lit

la nuit est tombée

le réveil fait tic-tac

j’entends des pas dans l’escalier

des voix qui s’engueulent

des bruits de radio de télé

un robinet qui coule

l’amour attend blotti

dans mes deux couilles

j’ai envie de baiser ce soir

mais le téléphone sonne absent

la ville aura-t-elle

pitié de moi ?

William Cliff, Marcher au charbon, Gallimard, p. 95.

David Farreny, 20 déc. 2009
raté

Trouvé sous la porte de l’atelier un coin de papier journal griffonné avec un prénom presque illisible, mais qui n’était pas le mien et un nom qui, à une lettre près, me désignait. Écriture troublante de mage ou d’analphabète. Est-ce que j’aurais raté une annonciation ?

Gérard Pesson, « lundi 22 janvier 1996 », Cran d’arrêt du beau temps. Journal 1991-1998, Van Dieren, p. 223.

David Farreny, 27 mars 2010
abri

Le poisson rouge, à l’abri de deux fléaux majeurs : l’ennui et la rage de l’expression.

Jean-Pierre Georges, L’éphémère dure toujours, Tarabuste, p. 100.

David Farreny, 22 mai 2010
forme

J’étais fatigué. Je ne répliquais rien, la lassitude m’empêchait de desserrer les lèvres. En dépit des démangeaisons qui m’accablaient atrocement, je ne remuais pas la masse de peau guenilleuse qui me recouvrait et que l’attraction lunaire faisait croître, je le sentais. Un éclair de chaleur zébra le ciel et, pendant une seconde, j’eus la folle certitude que les vieilles allaient redéclencher la fusillade et en finir, puis je me rendis compte qu’hélas il n’en serait rien. L’attente reprit. J’avais envie de répondre à Nayadja Aghatourane, de hurler à travers la nuit chaude que l’étrange est la forme que prend le beau quand le beau est sans espérance, mais je restais bouche close et j’attendais.

Antoine Volodine, Des anges mineurs, Seuil, p. 96.

Cécile Carret, 11 sept. 2010
ordres

En route, en route, nous chevauchions à travers la nuit. Elle était sombre, sans lune ni étoiles, plus sombre encore que ne le sont habituellement les nuits sans lune ni étoiles. Nous avions une mission importante, le chef portait sur lui des ordres dans une enveloppe scellée. Inquiets à l’idée que nous pourrions le perdre, l’un de nous allait de temps à autre devant pour le toucher et s’assurer qu’il était toujours là. Une fois, juste comme j’allais voir moi-même, le chef n’y était plus. Nous ne fûmes pas trop effrayés, c’est bien ce que nous avions craint tout le temps. Nous décidâmes de rebrousser chemin.

Franz Kafka, « En route, en route… », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 568.

David Farreny, 17 déc. 2011
comme

Perdre la parole, c’était comment ? C’était comme parfois dans les rêves où on doit courir, fuir, ou, mieux encore, sauver quelqu’un, quelqu’un de très proche, le sortir de l’eau, du feu, de l’abîme, l’arracher à la bête, aux griffes du démon, et on ne bouge pas de place, lourd comme un sac de pierre.

Peter Handke, Par une nuit obscure je sortis de ma maison tranquille, Gallimard, p. 68.

Cécile Carret, 21 juil. 2013
émerillonné

De courir derrière son petit frère, à cause des parents, ça l’avait rendue méchante. Au début elle avait été éperdument essoufflée.

– Viens là, viens tout de suite !

Il courait devant, l’œil rond et la fossette creusée, tout émerillonné, avec la jouissance sadique des évasions enfantines.

À la fin elle était devenue la chef. À force. Parce qu’il avait bien voulu ; c’est comme ça grandir, au bout d’un moment comme une viande attendrie on veut bien faire ce qu’on nous demande.

Emmanuelle Guattari, Ciels de Loire, Mercure de France, p. 91.

Cécile Carret, 23 sept. 2013
aubergiste

Les gens se trompent quand ils croient qu’ils mettent au monde des enfants. Ils accouchent d’un aubergiste ou d’un criminel de guerre suant, affreux, avec du ventre, c’est celui-là qu’ils font naître, pas des enfants. Alors les gens disent qu’ils vont avoir un petit poupon, mais en réalité ils ont un octogénaire qui pisse de l’eau partout, qui pue et qui est aveugle et qui boite et que la goutte empêche de bouger, c’est celui-là qu’ils mettent au monde. Mais celui-là, ils ne le voient pas, afin que la nature puisse se perpétuer et que le même merdier se poursuive à l’infini.

Thomas Bernhard.

David Farreny, 9 déc. 2014

mot(s) :

auteur :

rechercher 🔍fermer