Ah fromage voilà la bonne madame
Voilà la bonne madame au lait
Elle est du bon lait du pays qui l’a fait
Le pays qui l’a fait était de son village
Ah village voilà la bonne madame
Voilà la bonne madame fromage
Elle est du pays du bon lait qui l’a fait
Celui qui l’a fait était de sa madame
Ah fromage voilà du bon pays
Voilà du bon pays au lait
Il est du bon lait qui l’a fait du fromage
Le lait qui l’a fait était de sa madame
Benjamin Péret, « Le grand jeu », Œuvres complètes (1), Éric Losfeld, p. 71.
Et moi faut-il que je m’obstine, en tâcheron consciencieux du désastre, à relever encore mot à mot ce néant ? Il n’a d’autre recommandation à la phrase que d’être la vérité.
Renaud Camus, « jeudi 27 août 1998 », Hommage au carré. Journal 1998, Fayard, p. 359.
Ainsi, lorsque la main, errant légèrement sur le Grand-Trésor caché dans la nuit et sous des voiles, rencontre le bien fragile et sans prix d’un sein nu. Délicieuse étude : la douceur, la chaleur, le poids, la vie généreuse, innocente et désarmée. Toute l’attention dont l’esprit est capable se concentre dans cette bienheureuse main. Oh ! qu’elle soit très attentive et que, sans bouger de toute la nuit, maintenant que nous allons dormir, elle se pénètre, pour ne plus l’oublier de la vérité qu’elle tient !
Valery Larbaud, « Mon plus secret conseil... », Œuvres, Gallimard, p. 691.
La joie vient de se retrouver dehors quand on s’est perdu dedans.
Jean-Paul Sartre, Cahiers pour une morale, Gallimard, p. 514.
La salamandre ne soupçonne rien de la moucheture noire et jaune de son dos. Il ne lui est pas venu à l’esprit que ces taches sont disposées en deux chaînettes ou se rejoignent en une seule sente compacte en fonction de l’humidité du sable, de la nuance vivante ou mortuaire du terrarium.
Ossip Mandelstam, Voyage en Arménie, L’Âge d’Homme.
Mais le stade est nommé dans l’Écriture, direz-vous ? D’accord ; mais avouez aussi avec moi qu’il est indigne de vous de regarder ce qui se passe dans le stade, les coups de pied, les coups de poing, les soufflets et les mille insolences qui dégradent la majesté de l’homme, image de Dieu. Vous ne parviendrez jamais à approuver ces courses insensées, ces efforts pour lancer le disque, et ces sauts non moins extravagants ; jamais vous ne louerez cette vigueur inutile ou fatale, encore moins cette science qui travaille à nous donner un corps nouveau, comme pour réformer l’œuvre de Dieu. Non, non, vous haïrez ces hommes que l’on n’engraisse que pour amuser l’oisiveté des Grecs.
Tertullien, Contre les spectacles, Vivès.
Les objets français contribuaient à me rassurer, ils avaient quelque chose de grêle, de gai, de moins « sérieux » que les objets allemands. Les bicyclettes par exemple étaient fines et légères, elles ressemblaient aux allumettes. Les autos paraissaient plus hautes sur pattes, on eût dit de vieilles dames de bonne famille. Il y avait en France des barrières de ciment qui imitaient les troncs d’arbres avec nœuds dans le bois et écorce et des allumettes qui s’enflammaient quand on les frottait sur le pantalon. Les pièces de monnaie avaient un trou au milieu. C’était un peu comme en Italie, tout semblait plus maigre, plus alerte, plus rapide qu’en Allemagne.
Georges-Arthur Goldschmidt, La traversée des fleuves. Autobiographie, Seuil, p. 171.
J’entraîne Mam en promenade, par la rue Basse, le boulevard du Salan, la rue Blaise-Raynal. Partout veillent les souvenirs, les premiers, ceux, miraculeux, de l’enfance, lorsque le tragique de la vie, la désespérance et la douleur nous sont épargnés. Ce sont les parties hautes des façades, vers lesquelles on lève rarement les yeux, qui conservent et me rappellent les jours abolis, le temps magique et bref où j’ai vécu au présent, le bonheur qu’il y avait à être avant qu’un doute affreux ne me vienne, qui ne m’a plus quitté. Mam marche à petits pas glissés, parle, sans se soucier de savoir si je peux l’entendre, du passé, de ses grands-parents. Depuis quatre ans, elle a déserté le présent. Et j’en suis là, aussi. Tout mon bonheur était dans l’espérance et il n’est plus temps.
Pierre Bergounioux, « jeudi 1er novembre 2007 », Carnet de notes (2001-2010), Verdier, p. 803.
Mes chers, je n’ai pas besoin du veilleur de nuit, n’en suis-je pas un moi-même quant à la somnolence, aux déambulations nocturnes et au tempérament frileux ? Vous chauffez-vous convenablement au soleil ? Cherchez-moi s’il vous plaît pour l’été ou l’automne un endroit où on vit à la mode végétarienne, où on est continuellement bien portant, où même seul on ne se sent pas abandonné, où même une bûche comprend l’italien, etc., bref, un bel endroit impossible. Adieu. On pense beaucoup à vous.
Franz Kafka, « lettre à Elsa et Max Brod (4 février 1913) », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 706.