intrigue

Moi, je ne sais pas ce qui se passe, je n’ai jamais su ce qui se passait. Certaines personnes, certains livres semblent le savoir, mais ces livres ne m’intéressent pas. Ils ont l’intérêt de la fiction, ils ont une intrigue. Mais je ne crois pas qu’il y ait d’intrigue.

Leonard Cohen, interview.

David Farreny, 22 mars 2002
capter

Il lui semblait que jamais personne ne lui avait prêté une attention aussi soutenue, aussi polie et amicale. Tout le monde s’était tu alentour. La mère de Charlotte, immobile, courbée, serrait le saladier sur son ventre, et ainsi semblait en prière, recueillie pour mieux absorber les paroles d’Herman. Un petit sourire bienveillant soulevait délicatement le coin des lèvres de Métilde. Herman exulta de se sentir pathétique : l’avait-il jamais été pour quiconque, avait-il été, seulement une fois, émouvant ? Alors la pensée de Rose devenait fort abstraite, supplantée par le plaisir intense d’attirer à lui la sympathie de ses voisines, et de capter leur esprit encore inconnu et obscur.

Marie NDiaye, Un temps de saison, Minuit, pp. 58-59.

David Farreny, 18 déc. 2005
ellipse

La belle formule « Je ne dois pas » qui, dans son caractère absolu, semble le signe le plus certain d’une transcendance de l’impératif moral, ne serait-elle pas plutôt une ellipse efficace qui sous-entend toute la considération d’un calcul compliqué ?

Cesare Pavese, Le métier de vivre, Gallimard, p. 134.

David Farreny, 3 mars 2008
gravifique

On n’est pas fait pour les dévers. On n’a pas l’organisation penchée qui permettrait de compenser la fuite du sol, l’allure dissymétrique du dahu. Lorsqu’on ne s’échine pas à surmonter la limitation que la hauteur a partout dressée, c’est en bas, dans la combe, qu’on a sa place naturelle. Tout y ramène, le relief et la vertu gravifique, l’espace plus ou moins découvert, l’eau, la lumière qu’on trouve à l’état pur, et non pas en décoction, pleines d’ombre et de terre, d’herbe et de branchages. C’est dans la verticale que s’inscrit l’axe directeur de l’expérience, en bas que se concentrent ses occasions et ses objets, qu’elle a son penchant.

Pierre Bergounioux, Le chevron, Verdier, p. 12.

Élisabeth Mazeron, 3 mars 2008
possibles

Il croyait avoir acquis avec le temps une sorte de sens pour les endroits où des juke-box étaient possibles. Dans les centres des villes il y avait peu d’espoir, ni dans les quartiers rénovés ni à proximité de monuments, des parcs ou des allées (sans même parler des quartiers résidentiels). Presque jamais il n’était tombé dessus dans des villes thermales ou des stations de ski (mais les localités voisines, à l’écart et pour ainsi dire jamais nommées, en étaient susceptibles : ô Samedan près de Saint-Moritz), presque jamais dans des ports de plaisance ou dans des stations balnéaires (mais bien dans des ports de pêche et plus fréquemment encore aux départs des bacs : ô Douvres, ô Ostende, ô Reggio de Calabre, ô Le Pirée, ô Kyle of Lochalsh avec le bac pour les Hébrides intérieures, ô Aomori tout au nord de la principale île japonaise Hondo avec le bac pour Hokkaido, entre-temps supprimé), moins souvent dans des établissements sur la terre ferme ou à l’intérieur des terres que sur des îles ou à proximité des frontières.

Peter Handke, « Essai sur le juke-box », Essai sur la fatigue. Essai sur le juke-box. Essai sur la journée réussie, Gallimard, pp. 92-93.

David Farreny, 31 oct. 2009
milieu

Pas de milieu : ou on est seul, abandonné, ou on est aimé, c’est-à-dire traqué, isolé, enfermé.

Paul Morand, « 11 mars 1975 », Journal inutile (2), Gallimard, p. 460.

David Farreny, 2 sept. 2010
chafouin

Arrêtons-nous quelques instants sur le jeune Angus Napier. C’est un garçon de petite taille à l’air apeuré quoique dangereux, sournois bien qu’une innocence parfois égarée dans son regard, naïve et butée comme celle d’un ange, fasse concurrence à cet aspect chafouin et donne l’impression d’un enfant assez fou, capable de torturer quelqu’un à mort tout en le serrant en larmes contre lui, lui vouant son amour et sa vie entre deux séances au fer rouge – plagiant ainsi, donc, par anticipation l’habitus de l’acteur Elisha Cook Junior qui va naître à San Francisco dans dix ans, comme Richard Widmark un 26 décembre, avant de venir grandir ici même à Chicago, puis d’aller déployer à Hollywood ses talents de comédien de second plan.

Jean Echenoz, Des éclairs, Minuit, p. 65.

Cécile Carret, 9 oct. 2010
mènent

Ses escaliers crèvent les plafonds ; puis j’enrage de manquer d’imagination pour deviner où ils mènent et visiter cette étoile.

Éric Chevillard, Dino Egger, Minuit, p. 104.

Cécile Carret, 18 fév. 2011
ordonner

Quelque chose de plus avisé que nous se charge, sans doute, à notre insu, de meubler la mémoire et d’ordonner l’oubli. Prétendre garder trace, comme je fais, du passé relève de l’enfantillage. Le temps se moque bien des fugaces occupants qui prétendent fixer son impalpable et tragique substance.

Pierre Bergounioux, « mardi 29 août 2006 », Carnet de notes (2001-2010), Verdier, p. 673.

David Farreny, 15 fév. 2012
infiltrer

Il se blottissait contre elle le soir sur la natte. Ils regardaient la lune par la fenêtre. Elle restait froide, le dos tourné. Lui éprouvait un sentiment cotonneux, d’une mollesse épouvantable. Alors ils ne prononçaient plus un mot, et c’était comme si quelque chose de la mort, quelque chose du moins relevant de notre misère à tous, était venu rôder là sur leur natte et s’infiltrer dans l’interstice suave, trop suave, de leurs corps enlacés.

Julien Péluchon, Pop et Kok, Seuil, p. 37.

Cécile Carret, 9 mars 2012

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