déchaussée

Je l’ai accompagnée jusqu’à la chambre. Je l’ai assise sur le lit. Je l’ai déchaussée. J’ai eu le courage de m’occuper d’elle. Je me suis dit qu’elle m’aimait, maintenant. Que c’était de l’amour. Qu’est-ce que je vais faire ? me suis-je dit. Viens, a-t-elle suggéré. Je l’ai prise. Ç’a été bien. Ça marchait.

Christian Oster, Une femme de ménage, Minuit, p. 118.

David Farreny, 13 avr. 2002
vérifier

On rentre par Bassoues, par Montesquiou, Barran. Qu’importe qu’on ne voie plus très bien les créneaux sur les tours, et les torsions de la flèche, sur le clocher ? On connaît déjà ces petites villes obscures, et les hautes pierres dont elles sont fières. Il ne s’agit que de les vérifier dans la nuit, et de s’en réjouir encore obscurément.

Renaud Camus, « dimanche 3 janvier 1993 », Graal-Plieux. Journal 1993, P.O.L., p. 12.

David Farreny, 1er août 2002
vingt-deux

Comprenant soudain que le monde fut créé pour les filles de vingt-deux ans et demi, conçu et organisé pour elles, autour d’elles, que toute entreprise en ce monde ne vise en dernier lieu qu’à satisfaire les filles de vingt-deux ans et demi, vise même à ne satisfaire qu’elles, que le vaste et complexe système de l’Univers n’a d’autre raison d’être que le plaisir et la gloire et le chant des filles de vingt-deux ans et demi, que toutes les forces mises en œuvre depuis le moindre effort tendent à accroître encore le pouvoir déjà excessif des filles de vingt-deux ans et demi, Crab récupère ses fonds, rompt tous ses contrats, se retire de l’affaire et remet sa démission.

Éric Chevillard, Un fantôme, Minuit, pp. 128-129.

David Farreny, 12 mars 2008
rincée

Puis, dans toute son extension, la mer parut, le bateau gronda et prit de la vitesse. L’eau, très basse au-dessous de nous, que l’étrave ouvrait en éventail, chassant l’un après l’autre ses plis, qui s’écroulaient et se dissolvaient comme une lessive rincée, prenait au loin un aspect lisse, avec des friselis épars, dont l’éclat ne durait que quelques secondes, répercutés en chaîne, naissant et mourant dans le clignement de nos yeux, que nous ne tardâmes pas à protéger.

Christian Oster, Trois hommes seuls, Minuit, p. 88.

Cécile Carret, 21 sept. 2008
sort

La forme, c’est toujours une insoumission au sort (qui n’est même pas de mourir, mais de crever). Les plus grands souverains s’y sont pliés comme les plus petits, et peut-être ferions-nous bien, rois de nous-mêmes, de les imiter dans notre administration de notre propre existence. En ce qui me concerne, je m’y emploie assez activement, et ne m’approche qu’au prix d’un méticuleux décorum (d’autant que je me sais pas commode). Éternellement : « Credo che bisogna essere molto formali nel mangiare da soli. »

Renaud Camus, « mardi 29 août 2006 », L’isolation. Journal 2006, Fayard, p. 349.

David Farreny, 4 août 2009
frange

Quand j’écoute les prisonniers de guerre, si je les plains d’avoir été victimes d’événements qui leur échappaient, avec le sentiment d’avoir été, moi, victime de mon choix, lorsqu’ils racontent comment ils ont comblé le néant de tant d’années, je les jalouse. Ils recevaient des livres, faisaient du théâtre, montaient des spectacles. Ils avaient des clous, de la colle. Ils ont pu vivre dans l’imaginaire. Quelques fois, quelques heures, mais qui comptaient.

Vous direz qu’on peut tout enlever à un être humain sauf sa faculté de penser et d’imaginer. Vous ne savez pas. On peut faire d’un être humain un squelette où gargouille la diarrhée, lui ôter le temps de penser, la force de penser. L’imaginaire est le premier luxe du corps qui reçoit assez de nourriture, jouit d’une frange de temps libre, dispose de rudiments pour façonner ses rêves. À Auschwitz, on ne rêvait pas, on délirait.

Charlotte Delbo, Auschwitz et après (2), Minuit, p. 90.

Cécile Carret, 27 août 2009
éternité

À l’école, la nonne nous a dit que ça durerait pour l’éternité, a-t-elle continué en enlevant la peau de sa truite. Et quand nous avons demandé combien de temps durait l’éternité, elle a répondu : « Pensez à tout le sable de l’univers, toutes les plages, toutes les carrières de sable, le fond des océans, les déserts. À présent, imaginez tout ce sable dans un sablier, comme un gigantesque minuteur. Si un grain de sable tombe chaque année, l’éternité est la longueur de temps nécessaire pour que tout le sable du monde s’écoule dans ce sablier. » Rendez-vous compte ! Ça nous a terrifiées.

Claire Keegan, L’Antarctique, Sabine Wespieser, p. 19.

Cécile Carret, 19 déc. 2010
nouvelle

Me voilà bientôt grande comme la girafe à laquelle je ressemble, selon papa, et la transformation commence. Je m’intéresse aux vieilles robes de ma cousine. Des tissus à fleurs avec de fines ceintures vernies et des chaussures pointues assorties qui me font mal aux orteils. Je rentre de l’école en clopinant et annonce la nouvelle. Maman ma fait « Chuuut ! » et me donne la ceinture élastique et les serviettes pour absorber le sang. Je me dis que c’est l’équivalent des journaux de papa pour son menton.

« Ne laisse pas ton père les voir », recommande-t-elle. Toujours à cacher les femmes, comme si nous étions défendues.

Claire Keegan, L’Antarctique, Sabine Wespieser, p. 239.

Cécile Carret, 23 déc. 2010
tenir

L’immédiateté de l’Idée de la vie consiste en ceci, que le concept n’existe pas comme tel dans la vie, que, par conséquent, son être-là se soumet alors aux multiples conditions et circonstances de la nature extérieure et peut apparaître dans les formes les plus misérables ; la fertilité de la Terre fait croître la vie en tous lieux et de toutes les manières. Le monde animal est, ou peu s’en faut, encore moins capable que les autres sphères de la nature de présenter un système rationnel d’organisation qui soit en lui-même indépendant, de tenir ferme aux formes qui seraient déterminées par le concept, et de les empêcher, face à l’imperfection et aux mélanges des conditions, de se confondre entre elles, de se gâter et de passer en d’autres. — Cette faiblesse du concept dans la nature en général ne soumet pas seulement la formation des individus à des contingences extérieures — l’animal développé (et l’homme en tout premier lieu) est exposé à des monstruosités —, mais elle soumet aussi entièrement les genres aux variations de la vie universelle extérieure de la nature, dont l’animal vit, en y étant accordé, l’alternance, ce qui fait qu’il n’est qu’une alternance de santé et de maladie. Le contexte de la contingence extérieure ne contient presque que de l’étranger ; c’est continuellement qu’il exerce une violence et fait peser une menace de dangers sur le sentiment de l’animal, qui est un sentiment d’incertitude, d’anxiété et de malheur.

Georg Wilhelm Friedrich Hegel, « Le genre et les espèces », Encyclopédie des sciences philosophiques, II. Philosophie de la nature, Vrin, pp. 323-324.

David Farreny, 7 fév. 2011
image

Je donnerais tout pour une image qui m’entraîne à sa suite dans un bruit de départ général.

Philippe Muray, « 20 août 1978 », Ultima necat (I), Les Belles Lettres, p. 9.

David Farreny, 2 mars 2015

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