remarque

Je remarque que la douleur abrutit, abêtit, écrase.

Cesare Pavese, Le métier de vivre, Gallimard, p. 119.

David Farreny, 24 mai 2003
fustigé

J’ai longé la clôture jusqu’à ce qu’elle s’interrompe. J’ai continué. Il m’a semblé que le temps glissait plus mal. J’ai poussé plus fort sur mes jambes. La neige était infestée de branches mais c’était prévu, normal. C’étaient les dernières images. Je savais depuis le commencement qu’à la fin je serais fustigé. La fuite recommencée du temps était âpre. J’ai pu observer une pause. Je savais qu’elle ne serait qu’une pause et non un artifice de l’indolence, de l’oubli où l’on voudrait vivre toujours.

Pierre Bergounioux, La maison rose, Gallimard, p. 124.

Élisabeth Mazeron, 15 sept. 2004
comment

Je conduis Jean à la séance de judo, tire Paul de la crèche, reviens au gymnase, plie du linge, prépare le dîner, surveille les petits. Comment acquérir de nouvelles lumières, plus de raison ?

Pierre Bergounioux, « jeudi 5 mai 1983 », Carnet de notes (1980-1990), Verdier, p. 203.

David Farreny, 14 mars 2006
bourgeois

Le quotidien fait le bourgeois. Il se fait partout ; toutefois le quotidien de l’un peut désorienter jusqu’à la mort l’homme de l’autre quotidien, c’est-à-dire l’étranger, ce quotidien fût-il le plus banal, le plus gris, le plus monotone pour l’indigène.

Dans le quotidien de ce pays, il y a l’issang. Vous passez dans l’herbe humide. Ça vous démange bientôt. Ils sont déjà vingt à vos pieds, visibles difficilement, sauf à la loupe, petits points rouges mais plus roses que le sang.

Trois semaines après, vous n’êtes plus qu’une plaie jusqu’au genou, avec une vingtaine d’entonnoirs d’un centimètre et demi et purulents.

Vous vous désespérez, vous jurez, vous vous infectez, vous réclamez du tigre, du puma, mais on ne vous donne que du quotidien.

Henri Michaux, « Ecuador », Œuvres complètes (1), Gallimard, p. 228.

David Farreny, 3 mars 2008
rien

Retrouverions-nous son Temps, on resterait séparé de l’enfant par les dix mille virginités perdues. Rien ne sépare, n’éloigne, comme la perte de la virginité. Quoi de plus difficile que de se représenter « l’avant », tout ce qui venait « avant », non réalisé encore, tout ce qui vint pour la première fois, tout ce qui autrefois élan, appel, est devenu satisfaction, c’est-à-dire rien du tout.

Henri Michaux, « Passages », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 302.

David Farreny, 12 mars 2008
morveux

La matinée est bien avancée lorsque je peux m’asseoir enfin à la table de travail, obéir à l’injonction impérieuse que m’adresse, du fond du temps, le morveux de dix-sept ans qui découvrit qu’il était permis d’être un peu fixé sur ce qui se passe alors qu’il avait abandonné toute espérance à ce sujet. Je suis un instant à surmonter l’effroi qui m’empoigne chaque fois que je me retrouve au pied de la muraille puis je trace un mot, un autre et continue petitement.

Pierre Bergounioux, « vendredi 13 avril 1984 », Carnet de notes (1980-1990), Verdier, p. 299.

Élisabeth Mazeron, 11 nov. 2008
initiale

À rebours de cela, et pour contredire le stéréotype critique qu’est à son tour devenue la hantise du stéréotype dans la création littéraire, outre le fait qu’une métaphore qui était un cliché lorsque Proust l’employait ne nous gêne plus dès lors que ce cliché n’en est plus un aujourd’hui, il faut surtout relever ceci : il est peu d’événements de langue aussi bouleversants qu’une phrase rendant subitement sa raison d’être initiale à un stéréotype, libérant, par la façon dont ce dernier est pris dans un mouvement de langue qui l’excède, la puissance qui l’a justement élevé au rang de cliché, lui redonnant vie en le décollant, en l’arrachant à son destin de cliché.

Bertrand Leclair, Théorie de la déroute, Verticales, p. 22.

Cécile Carret, 26 août 2009
percé

Entre femme et homme depuis peu l’hostilité s’est installée. Hommes et femmes sont de nos jours sans exception brouillés. Moi, par exemple, depuis bien longtemps, c’est à peine si j’ai un ennemi — et, quant à moi, cela ne peut plus être le cas —, mais s’il y en a un, c’est une femme. Non seulement on ne nous aime plus, mais on nous combat. Et si l’amour entre en jeu il ne sert plus qu’à entretenir la guerre. Tôt ou tard la femme qui t’aime sera d’une façon ou d’une autre déçue par toi, et tu ne sauras même pas pourquoi. Elle t’aura, comme elle va l’expliquer, percé à jour, mais sans te dire en quoi elle t’a percé à jour. Et à aucun moment elle ne te laissera oublier que tu es percé à jour, car elle ne te laisse presque jamais seul, en tout cas bien moins qu’auparavant dans le jeu de l’amour. Elle est continuellement présente, c’est à peine si tu peux encore échapper au mal qu’elle pense de toi. Toi-même tu ne te penses pas en hâbleur, menteur et tricheur, et tu aimerais être un homme bon, comme à votre début. Mais tu es contraint de te voir comme tout cela dans et par ses yeux, qui à partir de maintenant ne te lâchent plus, et dans lesquels, quoi que tu fasses ou ne fasses pas, ce sera une confirmation de sa mauvaise opinion et de son amère déception. Fais ce que tu veux : tu es et restera celui qui est percé à jour.

Peter Handke, Par une nuit obscure je sortis de ma maison tranquille, Gallimard, pp. 119-120.

David Farreny, 19 fév. 2014
moins

Comment démontrer à une femme qu’elle perd moins en n’ayant pas d’enfant, que l’homme en s’en faisant faire ?

Philippe Muray, « 22 juin 1986 », Ultima necat (II), Les Belles Lettres, p. 101.

David Farreny, 2 mars 2016

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