Les Arpèdres sont les hommes les plus durs et les plus intransigeants qui soient, obsédés de droiture, de droits et plus encore de devoirs. De traditions respectables, naturellement. Le tout sans horizon.
Têtes têtues de bien-pensants, poussant en maniaques les autres à s’amender, à avoir le cœur haut.
Quelle inondation de joie chez tous leurs voisins quand une guerre générale leur fut déclarée, guerre injuste entre toutes !
Henri Michaux, « Voyage en Grande Garabagne », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 44.
Tu viens de me rejoindre. Tu es là. Je t’aime. Tu m’apportes quelques beignets dans une assiette. Du cidre. On parle un peu. On a le temps aujourd’hui. Qui pourrait venir ? Et moi je n’ai pas à m’absenter…
Te regarder.
T’écouter.
C’est tout.
Tu vois : nous sommes pauvres.
Thierry Metz, Le journal d’un manœuvre, Gallimard, p. 107.
S’éloigner d’elle dans l’espace est surtout un moyen de s’éloigner d’elle dans le temps, dans mon temps à moi, et il s’agit de faire rendre à cet espace un maximum de temps.
Valery Larbaud, « Mon plus secret conseil... », Œuvres, Gallimard, p. 664.
Louise ne sourit pas. Elle se lasse. Le va-et-vient, les couleurs agitées, les éclairages multicolores à toutes hauteurs, les allumages en transe, les néons qui s’éteignent, se répondent, clignent, clignotent, se réverbèrent, miroitent, se reflètent sur la chaussée qui les reçoit, les renvoie. Lumières en courses folles. Inintelligibles signaux sans ordres déclenchés. Fusées baroques d’une guerre inconnue. De bas en haut. De haut en bas. Mécanique régulière, verticale, mouvement, pluie perpendiculaire. Sur la foule hâtive en tous sens horizontale et déformée.
— Vertigineux, murmure Louise, allons donc nous asseoir, je n’en peux plus. Regarde donc ces mouvements perpétuels entrecroisés.
Hélène Bessette, La tour, Léo Scheer, p. 45.
Lorsqu’il fut avéré que je ne trouverais pas d’explication toute faite, que l’accident dont je portais les séquelles ne concernait que moi, le mouvement que je me donnais depuis des années, la théorie des jours gris où je m’enfonçais perdirent toute signification. J’avais remis à plus tard de vivre, par égard, d’abord, pour des morts que je n’avais jamais connus vivants, dans l’espoir, ensuite, d’obtenir les éclaircissements dont l’absence parachevait notre infortune. Je m’étais transporté sur le grand théâtre du monde. Ce que j’y avais lu, entendu ne m’était d’aucun véritable secours, ne valait qu’autant que ce qu’il y avait autour était à peu près dépourvu de corps, d’effet de réalité. Je n’étais pas venu préparer un avenir mais tenter d’élucider un passé.
Pierre Bergounioux, Carnet de notes (1980-1990), Verdier, p. 78.
Notre intelligence, certes, élucide les énigmes, éclaire les zones d’ombre, démêle les imbroglios les plus complexes, mais tout aussi sûrement on peut compter sur elle pour embrouiller les situations simples et trouver des nœuds dans l’eau.
Éric Chevillard, « mercredi 12 juin 2013 », L’autofictif. 🔗
La lucidité n’extirpe pas le désir de vivre, tant s’en faut, elle rend seulement impropre à la vie.
Emil Cioran, « De l'inconvénient d'être né », Œuvres, Gallimard, p. 870.
Drôle de destin, que d’être fait d’atomes s’enchaînant les uns aux autres par des liaisons covalentes ! On est comme qui dirait un « composé organique ». Comme tel, on n’a pas d’avenir. On se sent, tel le dronte, promis à l’extinction. Il aurait mieux valu être une pierre dure rotacée, on n’aurait pas eu tous ces soucis.
Olivier Pivert, « Nostalgie de l'inorganique », Encyclopédie du Rien. 🔗