Mais le mal répondait, il répondait comme le mal, d’une voix tonitruante qui n’écoute rien.
Le souffle, où était le souffle ?
Mon œuf seulement écoutait le monde. Seulement mon œuf absorbait encore le monde…
Henri Michaux, « Vents et poussières », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 172.
Vagabond à ses heures sorti faire un tour, suivant l’humeur et la saison, en quête de champignons, de charbon ou de mazout pour le poêle, de paysages à prendre en photos ou à imprimer seulement dans sa mémoire, de quelque chose ou de quelqu’un d’autre enfin dont l’absence intenable pousse à aller au dehors à la rencontre de gens à tout hasard disponibles. Guetteur mélancolique des nuages qui vont étoffant le ciel au-dessus des collines et des monts, au large des fenêtres, en un lent mouvement de bateau sur son erre, distribuant au gré de leurs déchirements des éclairages prodigieux sur le relief environnant. Promeneur sans raison à la limite, démuni et livré à lui-même, touchant à une forme de désarroi et d’extase sans mesure, dans l’abandon qui est le sien.
Hubert Voignier, Le débat solitaire, Cheyne, p. 32.
La joie vient de se retrouver dehors quand on s’est perdu dedans.
Jean-Paul Sartre, Cahiers pour une morale, Gallimard, p. 514.
Pendant nos entretiens, j’ai été stupéfait de voir à quel point Duch était décontracté et attentif. Un homme bien tranquille, quelle qu’ait été l’inhumanité de ses crimes. À croire qu’il les a oubliés. Qu’il ne les a pas commis. La question aujourd’hui n’est pas de savoir s’il est humain ou non. Il est humain à chaque instant : c’est pourquoi il peut être jugé et condamné. On ne doit s’autoriser à humaniser ni à déshumaniser personne. Mais nul ne peut se tenir à la place de Duch dans la communauté humaine. Nul ne peut endosser son parcours biographique, intellectuel et psychique. Nul ne peut croire qu’il était un rouage parmi d’autres dans la machine de mort. Je reviendrai sur le sentiment contemporain que nous sommes tous des bourreaux en puissance. Ce fatalisme emprunt de complaisance travaille la littérature, le cinéma et certains intellectuels. Après tout, quoi de plus excitant qu’un grand criminel ? Non, une feuille de papier ne sépare pas chacun de nous d’un crime majeur. Pour ma part, je crois aux faits et je regarde le monde. Les victimes sont à leur place. Les bourreaux aussi.
Rithy Panh, L’élimination, Grasset, p. 78.
Mes exacts contemporains me font l’effet de birbes décatis, j’observe leurs visages détruits en protégeant le mien d’une éventuelle contamination sous un masque fripé que je ne retire plus et dont les plis de plus en plus marqués me prouvent que j’ai raison de prendre ces précautions : voici donc comment se flétriraient mes joues fraîches si je les exposais à ces atmosphères et contacts délétères.
Mes sourcils sont restés noirs et bien plantés. Je m’en coiffe. Raie au milieu. Ma tête d’enfant.
Éric Chevillard, Le désordre azerty, Minuit, p. 79.
Il n’y a que dans les rêves des vivants dont ils furent proches que les morts réellement réapparaissent et peuvent même connaître de nouvelles aventures. Nous dormons pour que vivent les morts. La nuit, ces fantômes s’incarnent dans nos corps. C’est en vérité cela, l’au-delà.
Éric Chevillard, « vendredi 5 septembre 2014 », L’autofictif. 🔗
Ah là là, il devient impossible de prendre le métro aux heures de pointe sans s’exposer aux mains courantes des jeunes femmes !
Éric Chevillard, « lundi 5 août 2019 », L’autofictif. 🔗