L’homme — son être essentiel — n’est qu’un point. C’est ce seul point que la Mort avale. Il doit donc veiller à ne pas être encerclé.
Henri Michaux, « Un point, c’est tout », Œuvres complètes (1), Gallimard, p. 431.
On a récemment démontré l’existence d’un centre de croissance dans le système nerveux.
On pourrait l’affoler. On pourra l’affoler.
Géant par nervosité. Nain par indifférence.
Henri Michaux, « Passages », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 287.
Il dévorait des yeux la belle fouteuse, et il tira ainsi trois coups sans déconner.
Anonyme du XVIIIe siècle, Le Tartuffe libertin ou le triomphe du vice, Séguier, p. 33.
En pleine course — dans le tohu-bohu d’une partie de barres ou de tout autre jeu — je heurtai l’un de mes camarades qui courait en sens inverse et fus projeté contre un mur, si violemment que je me fendis l’arcade sourcilière jusqu’à l’os. Je restai à genoux — ou à quatre pattes — sur le gravier, tête baissée et saignant en abondance. Il paraît que je perdis connaissance, mais je n’en ai aucun souvenir et crus même, avant qu’on ne me certifiât que je m’étais évanoui, avoir gardé constamment toute ma lucidité. La muraille se trouvant à ma droite et ma tête ayant été blessée du côté gauche, je ne réalisais pas que j’avais dû pivoter sur moi-même avant d’occuper la position d’animal assommé dans laquelle je faisais de mornes réflexions. Il me sembla d’abord que la simple rencontre de mon front avec celui de mon condisciple m’avait ouvert la face ; c’est seulement plus tard qu’on me raconta que je m’étais déchiré contre une aspérité du mur, ou contre un clou planté dans ce mur. Je sentais couler mon sang ; je n’éprouvais pas la moindre douleur mais il me semblait, tant le choc avait été violent, que ma blessure était énorme et que j’étais défiguré. La première idée qui me vint fut : « Comment pourrai-je aimer ? »
Michel Leiris, L’âge d’homme, Gallimard, p. 131.
Que faire de tout cela ? Le jeter ?
Renaud Camus, « dimanche 31 mars 2002 », Outrepas. Journal 2002, Fayard, p. 83.
Appeler qui ? Paul épluche son carnet. Des noms suivis de chiffres s’y empilent comme au flanc d’un monument aux morts, champ infertile hérissé de proches perdus, d’amis d’un soir, d’anciennes amies qui se méprendraient. Reste ce numéro de la jeune femme en gris de l’autre soir, courage. On décroche au loin.
Jean Echenoz, L’équipée malaise, Minuit, p. 64.
Marc avait aussi un fils, qui vivait loin de lui. Trop loin. Il ne souhaitait pas en parler. Il préférait reparler de la femme du métro. Ça l’intéressait de s’intéresser à elle. Ça l’occupait. Moi aussi, dis-je. Marie m’occupe. Je vous trouve vieux, tous les deux, intervint Kontcharski. Vous ne vivez pas assez. Et vous ? dis-je. Qu’est-ce que vous vivez de plus, Cyril ? Je ne voulais pas l’agresser, mais je voulais défendre Marc. Moi, ça m’était égal, je ne prétendais pas vivre, je trouve que c’est une ambition stupide. On vit de toute façon et en fin de compte quelque chose s’est passé. Ou a passé. Bref.
Christian Oster, Trois hommes seuls, Minuit, p. 53.
Si le soleil répare
Les ravages du ciel, que la brise ranime
Les airs dolents — et fuyant, dispersée,
L’ombre grave des nues s’en va dans la vallée ;
Si les oiseaux confient au vent leur cœur
Sans défense, que la lumière
Dans les bois entrouverts, par les dernières
Neiges, insuffle à nouveau désir d’amour
Et nouvelle espérance aux animaux troublés —
Aux âmes lasses des humains, dans la douleur
Ensevelies, peut-il renaître
Le bel Âge, que la détresse et la flamme
Noire du vrai consumèrent
Avant le temps ?
Giacomo Leopardi, « Au printemps », Chants, Flammarion, p. 71.
On souhaite, avec son esprit, mourir et, avec son corps, vivre ; le corps est idiot ; on le savait.
Paul Morand, « 28 juillet 1974 », Journal inutile (2), Gallimard, p. 298.
Tout ce qui a la nature de l’apparition, cela a la nature de la cessation.
Michel Houellebecq, « Loin du bonheur », Configuration du dernier rivage, Flammarion, p. 21.