solitude

Je crois profondément que la civilisation a été inventée pour rendre possible la solitude.

Renaud Camus, Du sens, P.O.L., p. 327.

David Farreny, 19 mai 2002
taille

Il me vient à l’esprit que l’être n’a pas de taille. On le savait. Je le sens. C’est grave. Ce n’est pas tranquillisant.

Comment espérer jamais trouver la quiétude si l’on n’a d’assiette que métaphysique.

Agir gèle en moi.

Henri Michaux, « L’infini turbulent », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 923.

David Farreny, 26 juin 2004
giflait

Près de nous, un vieux poirier tordait sa pyramide de branches, mangées de lichens et de mousses… quelques poires y pendaient à portée de la main… une pie jacassait, ironiquement, au haut d’un châtaignier voisin… tapi derrière la bordure de buis, le chat giflait un bourdon… Le silence devenait de plus en plus pénible, pour Monsieur… Enfin, après des efforts presque douloureux, des efforts qui amenaient sur ses lèvres de grotesques grimaces, monsieur me demanda :

— Aimez-vous les poires, Célestine ?

— Oui, monsieur…

Je ne désarmais pas… Je répondais sur un ton d’indifférence hautaine. Dans la crainte d’être surpris par sa femme, il hésita quelques secondes… et soudain, comme un enfant maraudeur, il détacha une poire de l’arbre et me la donna… Ah ! Si piteusement ! Ses genoux fléchissaient… sa main tremblait…

Octave Mirbeau, Le journal d’une femme de chambre, Gallimard, p. 85.

Cécile Carret, 11 mars 2007
droit

Un homme qui est né dans un monde déjà occupé, s’il ne lui est pas possible d’obtenir de ses parents les subsistances qu’il peut justement leur demander, et si la société n’a nul besoin de son travail, n’a aucun droit de réclamer la moindre part de nourriture et, en réalité, il est de trop. Au grand banquet de la nature, il n’y a point de couvert disponible pour lui ; elle lui ordonne de s’en aller, et elle ne tardera pas elle-même à mettre son ordre à exécution, s’il ne peut recourir à la compassion de quelques convives du banquet. Si ceux-ci se serrent pour lui faire face, d’autres intrus se présentent aussitôt, réclamant les mêmes faveurs. La nouvelle qu’il y a des aliments pour tous ceux qui arrivent remplit la salle de nombreux postulants. L’ordre et l’harmonie du festin sont troublés, l’abondance qui régnait précédemment se change en disette, et la joie des convives est anéantie par le spectacle de la misère et de la pénurie qui sévissent dans toutes les parties de la salle, et par les clameurs importunées de ceux qui sont, à juste titre, furieux de ne pas trouver les aliments qu’on leur avait fait espérer.

Thomas Malthus, « Apologue du banquet », Essai sur le principe de population.

David Farreny, 27 mars 2007
déréliction

À la fin, tu m’en auras servi bien assez de cette boisson douce-amère, de cette liqueur noir de jais, de ce poison très lent qu’on accumule comme un venin d’abeille. Tu m’auras abreuvé jusqu’à plus soif avec ce lait ténébreux, ce mauvais sang, cette mélancolie dont je tire mon miel, qui avive la douleur et la volupté, qui fait si mal et qui fait du bien obscurément. J’aurai eu ma dose, j’en serai sevré, j’espère, de cette eau-de-vie fatale, de ce mauvais alcool qui cogne fort, rejette toujours un peu plus dans la déréliction et entérine le fait, s’il en était besoin, que l’on a perdu d’avance, que tout est joué depuis le commencement.

Hubert Voignier, Le débat solitaire, Cheyne, p. 63.

Élisabeth Mazeron, 21 fév. 2008
défaut

Veuillez ne pas régler mon visage

Le défaut est en moi

Ma bouche est une forêt après l’incendie

Mon cœur un petit squelette de poisson

Elles sont belles ces cicatrices

C’est mon visage

La mort est le récit de la mort

La tête qui tombe de la guillotine pense

«  Ce n’est qu’un instant  »

L’animal blessé fuit et la mort court à ses côtés

Ensuite c’est la monotonie intense

Tel un disque rayé

rayé

rayé

Jerzy Skolimowski.

David Farreny, 15 fév. 2010
paquet

Le paquet de copies est là ; il me regarde, je le regarde, on se regarde. C’est un moment d’intense désir.

Antoine Émaz, Lichen, encore, Rehauts, p. 50.

Cécile Carret, 4 mars 2010
ordinaireté

Je tourne en vain autour d’un souvenir très flou, peut-être imaginaire, d’une terrasse en Périgord, un jour d’hiver — mais c’était peut-être au printemps : il suffit que ce ne soit pas pendant la saison. Ici, dans le parc, les jardiniers taillent les haies. Il fait assez frais, mais très beau. Marcher sur la terrasse, au-dessus du viale, entre la villa et ma maison, leurs travaux d’un côté, donc, et de l’autre la ville… Il n’y a pas dans l’année d’époque moins touristique, à Rome. On n’aperçoit pour ainsi dire pas d’étrangers, le long des rues. Ce silence, cette lenteur, cette tranquillité, cette merveilleuse ordinaireté de la beauté, ce pourrait donc être la vraie vie ? Un jour si beau être cette chose si rare, un jour comme un autre ?

Renaud Camus, « mardi 3 février 1987 », Vigiles. Journal 1987, P.O.L., p. 42.

David Farreny, 9 oct. 2010

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