descendants

Mes descendants marchent au-dessus de moi.

Nathalie Quintane, Chaussure, P.O.L., p. 107.

David Farreny, 20 mars 2002
esprit

Et comme la vie et le travail se trouvaient dissociés, on a tiré au cordeau des voies rapides remparées de glissières en acier zingué, connectées au moyen d’échangeurs et de rocades où il vaut mieux éviter de se tromper parce qu’il n’est plus question de faire demi-tour et de recommencer. Le droit à l’hésitation, le goût ténu de liberté ont disparu de la circulation. Elle a pris la fixité d’un destin où il me semble reconnaître, lorsque je me hasarde sur les autoroutes de ceinture, l’esprit désastreux du présent.

Pierre Bergounioux, La fin du monde en avançant, Fata Morgana, pp. 33-34.

David Farreny, 17 oct. 2006
surcroît

Est-ce qu’une sonnerie de téléphone ou une mouche ne risquent pas d’arracher quelqu’un à sa lecture au moment précis où toutes les parties constituantes convergent vers l’unité d’une solution dramatique ? Et que se passera-t-il si le lecteur voit son frère, supposons, entrer dans sa chambre pour lui dire quelque chose ? La noble tâche de l’écrivain est gâchée à cause d’un frère, d’une mouche ou d’un téléphone. Pouah, vilaines mouches, pourquoi vous attaquer à une race qui n’a plus de queue pour s’en débarrasser ? Considérons ceci de surcroît : cette œuvre unique et exceptionnelle que vous avez élaborée, ne fait-elle pas partie d’un ensemble de trente mille autres, non moins uniques, qui paraissent chaque année avec régularité ? Détestables parties ! Devons-nous construire un tout pour qu’une parcelle de partie de lecteur absorbe une parcelle de partie de cette œuvre, et encore partiellement ?

Witold Gombrowicz, Ferdydurke, Gallimard, p. 105.

Cécile Carret, 13 mai 2007
évanoui

Une poche me brasse. Pas de fond. Pas de portes, et moi comme un long boa égaré. J’ai perdu même mes ennemis.

Oh espace, espace abstrait.

Calme, calme qui roule des trains. Calme monumentalement vide. Plus de pointe. Quille poussée. Quille bercée.

Évanoui à la terre…

Henri Michaux, « Face aux verrous », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 490.

David Farreny, 4 mars 2008
auscultation

La maison ? Lumière avare, vacillante. Couleurs mortes. Ombres vertes. Sur toute surface, toujours une mouche en auscultation. Troupeaux de chaises de multiples espèces, du formica au Renaissance. Abondance d’objets, rares ou banals, sur grande variété de meubles. Leurs corps aveugles embarrassent les déplacements. Livres, vieux journaux enrobés de poussière, paquets de photographies, boîtes et pots, médicaments. Murs intranquilles, portant le poids d’images si enfoncées dans leurs cadres proliférants qu’on a l’impression de ne jamais parvenir à les atteindre.

Pierre Jourde, Festins secrets, L’Esprit des péninsules, p. 48.

David Farreny, 2 déc. 2009
bidule

L’excès de sérieux de ce bidule, sa constance, son obstination cessa soudain de les intimider. S’ensuivit une phase de familiarisation durant laquelle ils lui firent prendre des formes. Docile, elle couvrit l’abat-jour, pendouilla à l’espagnolette, aux patères, s’enroula dans la plante verte, occupant chaque fois la place avec un confort immédiat, puis s’affalant, k. Ils se l’envoyèrent d’un bout de la pièce à l’autre, tentant d’un coup de poignet rétro de la faire revenir, façon boomerang, qu’elle refusa d’ailleurs d’imiter, et, incapable de virer, elle alla s’écraser contre le mur sans rebondir, glissa pour s’avachir au sol et s’aplatir aussitôt, comme une crêpe butée, une crêpe qui aurait désiré rester crêpe contre vents et marées, k.

Alain Sevestre, Les tristes, Gallimard, p. 112.

Cécile Carret, 10 déc. 2009
soupesé

1) Ayant soupesé la gibecière du chasseur de mammouth, l’invention de la roue sans plus attendre.

4) Le pianotement mélodieux des ongles sur les tables (par modification moléculaire de la kératine ; et nos cheveux quand nous remuons la tête en rythme font de la musique pour nos danses).

5) L’élucidation de la vieille et lassante énigme de l’œuf et de la poule, ainsi résolue : la première poule naquit du deuxième œuf et le premier œuf fut pondu par la deuxième poule.

20) Le moteur à blouse (?)

21) L’indispensable trigore (?)

22) Le jeu des treize boules (?)

23) Le cycle des Contes de l’avant-vieille et du surlendemain.

24) Le suffering-ball, simple sac de cuir empli de sable qui – par ricochet, déplacement, transfert – encaisse les douleurs à notre place.

25) Le parapluie inoubliable.

26) La séparation chirurgicale de la poésie et de la mièvrerie sur toute la longueur de la langue de chair.

33) Une couleur nouvelle (rien d’un boueux mélange de celles que nous connaissons) correspondant à certain état intérieur de contentement dans le malheur.

41) Les douze lois du hasard et leurs combinaisons.

42) Étendue à l’homme, la faculté du chat d’être pour soi-même brosse et coussin.

46) La Lettre aux habitants des mondes sublunaires suivie de leur amicale réponse

49) Mon père, récit biographique si précis dans son évocation – jusqu’aux organes, jusqu’à l’os, atomes et molécules compris – et d’une langue si délicate, si soignée, si stimulante, que le cœur du défunt se remit à battre ; et que chaque lecteur fervent à son tour ressuscite son propre père.

54) Une traduction fidèle et désopilante de la Bible.

58) Le dernier mot.

94) L’amour, comment l’obtenir et le garder (une méthode).

Éric Chevillard, Dino Egger, Minuit, pp. 12-45.

Cécile Carret, 25 janv. 2011
autre

Il y a des années que je ne touche plus la femme qui a le courage de vivre avec moi. Ça ne m’empêche pas de l’aimer. Ça m’empêche d’en toucher une autre.

Georges Perros, Papiers collés (3), Gallimard, p. 50.

David Farreny, 24 mars 2012
inepte

Esti l’épiait par une fente entre ses cils. Les yeux de la fille n’étaient même pas complètement fermés. Elle aussi l’épiait de la même façon, par une fente entre ses cils. Esti ouvrit les yeux. La fille aussi ouvrit les yeux.

Elle lui adressa un gloussement. Elle gloussa si bizarrement qu’Esti en eut presque froid dans le dos. Elle croisa ses échasses. Son jupon de dentelle se souleva, on voyait ses genoux et ses cuisses, un fragment dénudé de ses pattes de moineau. Elle gloussa de nouveau. Elle gloussait avec une coquetterie inepte, sans équivoque.

Ah, que c’était répugnant. Cette fille était amoureuse de lui. Amoureuse de lui, cette larve, ce poulet, ce vermisseau. Ces jambes étaient amoureuses de lui, ces yeux et aussi cette bouche, cette horrible bouche. Elle voulait danser avec lui à cet obscène bal pour enfants, avec sa huppe, avec son nœud couleur fraise, ce petit masque, ce petit spectre de bal. Ah, que c’était répugnant.

Dezsö Kosztolányi, Kornél Esti, Cambourakis, p. 60.

Cécile Carret, 26 août 2012
triomphe

L’Arc révèle le vide de tout Triomphe.

Petr Král, Cahiers de Paris, Flammarion, p. 195.

David Farreny, 2 avr. 2013
opposé

Ils ne savaient reconnaître le crime que dans le parti opposé, cependant qu’ils tiraient gloire chez eux de ce qui chez l’adversaire méritait le mépris. Tandis que chacun tenait les morts des autres pour tout juste dignes d’être enterrés de nuit et sans lumière, il fallait que les siens fussent revêtus du suaire de pourpre, il fallait que retentisse l’eburnum et que l’aigle s’envole, qui s’élance vers les dieux, vivante image des héros et des croyants.

Ernst Jünger, Sur les falaises de marbre, Gallimard, p. 57.

Cécile Carret, 27 août 2013
hauteur

Il y a un cerf en bronze au milieu de la forêt, au bout d’une allée qui se sépare en deux pour aller jusqu’au château. Le cerf est sur ses pattes, campé sur un socle de pierre qui ressemble à ceux des cimetières ou des hommages aux grands hommes. Il est vif, altier. Il est maître de lui ; il n’est pas pourchassé ou défait, ni sur ses gardes. Même capturé par la statue, il est libre. Il est au-dessus de la séparation des chemins si bien qu’on doit passer le long, sous sa hauteur.

Emmanuelle Guattari, Ciels de Loire, Mercure de France, p. 33.

Cécile Carret, 22 sept. 2013

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