trop

La « bien-pensance » n’est pas une « mal-pensance » qu’on appellerait ainsi par antiphrase. La bien-pensance pense bien, ce point est absolument acquis. Mieux vaut mille fois, s’il faut qu’une pensée règne, que ce soit elle qui règne plutôt que la mal-pensance. La bien-pensance pense vraiment bien. La bien-pensance a raison. Seulement l’obscène, si je puis me répéter (je ne me suis guère gêné jusqu’à présent), l’obscène c’est d’avoir trop raison. La bien-pensance a trop raison.

Renaud Camus, Du sens, P.O.L., p. 260.

David Farreny, 19 mai 2002
dignité

Il serait certes très sympathique de ma part, libéral et démocratique, d’entrer dans cette vision égalitaire des choses. Mais je ne le peux pas. Je n’ai plus le temps de faire des concessions, et de ne pas vivre de toute urgence selon ce que je pense : qui est à peu près, au fond, que « la vie de l’esprit », comme dit noblement Finkielkraut, est l’avenir de l’homme, non pas son avenir promis, certes, mais son avenir idéal, celui vers lequel il doit tendre, constamment, de toutes ses forces, le seul garant de sa dignité mais aussi le principal instrument de son bonheur.

Renaud Camus, Aguets. Journal 1988, P.O.L., p. 90.

Élisabeth Mazeron, 19 août 2005
surpassent

Deux journées de voyage éloignent l’homme — et à plus forte raison le jeune homme qui n’a encore plongé que peu de racines dans l’existence — de son univers quotidien, de tout ce qu’il regardait comme ses devoirs, ses intérêts, ses soucis, ses espérances ; elles l’en éloignent infiniment plus qu’il n’a pu l’imaginer dans le fiacre qui le conduisait à la gare. L’espace qui, tournant et fuyant, s’interpose entre lui et son lieu d’origine, développe des forces que l’on croit d’ordinaire réservées à la durée. D’heure en heure, l’espace détermine des transformations intérieures, très semblables à celles que provoque la durée, mais qui, en quelque manière, les surpassent.

Thomas Mann, La montagne magique, Fayard, p. 8.

David Farreny, 3 juin 2007
solipsiste

Il y a dans l’amoureux un solipsiste dépité.

Richard Millet, L’amour mendiant, La Table ronde, p. 43.

David Farreny, 5 déc. 2007
a

Il se leva, fit un salut et chanta :

Quand on n’a pas ce que l’on aime

Il faut aimer ce que l’on a.

Il fit un salut et se rassit.

Witold Gombrowicz, Cosmos, Denoël, p. 167.

Cécile Carret, 11 déc. 2007
sérieux

Étrange, ce gauchissement de toute formule sitôt qu’elle est confrontée avec la vie. Si grande soit-elle, une philosophie, plus elle est proche de la vie, plus son ridicule — par une sorte de feinte, de cabriole démoniaque — s’affirme considérable : on met alors droit dans le mille et il a nom « bêtise ». C’est avec effroi qu’on s’aperçoit que plus c’est sérieux, moins c’est sérieux.

Witold Gombrowicz, Journal (1), Gallimard, pp. 400-401.

David Farreny, 12 mars 2008
valable

Malheur, pourquoi ne nous vois-je plus en accord ? Malheur ! Pourquoi à trois heures de l’après-midi la lumière dans le chemin creux, le battement des trains sur les rails, ton visage, pourquoi tout cela n’est-il plus l’événement que cela a été ce matin encore, valable jusque dans l’avenir le plus lointain ? Malédiction, pourquoi contrairement à l’image bien connue du vieillissement puis-je moins que jamais fixer, retenir, apprécier les moments de la journée ou de la vie ? Malédiction, pourquoi suis-je donc au vrai sens du terme si distrait ? Malédiction, malheur de malheur.

Peter Handke, « Essai sur la journée réussie », Essai sur la fatigue. Essai sur le juke-box. Essai sur la journée réussie, Gallimard, pp. 155-156.

David Farreny, 31 oct. 2009
réglage

Le vent dans les peupliers, le réglage se fait de l’intérieur.

Jean-Pierre Georges, L’éphémère dure toujours, Tarabuste, p. 77.

David Farreny, 27 juin 2010
ciment

Dans les maisons sans sous-sol, malgré carreaux et tapis, les jambes sentent qu’elles s’appuient sur la terre, l’humidité traverse tout, les jambes se soudent aux genoux, ennui du ciment.

Paul Morand, « 18 mars 1973 », Journal inutile (2), Gallimard, p. 38.

David Farreny, 7 août 2010
ouvre

Mais, pour le lecteur, quelle aubaine, un écrivain qui a du style ! Voici enfin toute l’expérience humaine reformulée. Tout est neuf – pas trop tôt ! C’est un enfant qui nous parle et qui, de plus, connaît tous les mots. La fleur, l’oiseau, la mort, le cageot, nous allons de révélation en révélation : c’était donc ça ! Il n’y a que les écrivains et la neige – mais elle fond – pour donner au monde un tel bain de fraîcheur.

Une langue que l’on comprend mais qu’on ne parle pas, que l’on sait lire mais pas écrire – étrange pays que nous visitons, où ne vit qu’un habitant – le premier ou le dernier homme ? l’un et l’autre sans doute. Un no man’s land de poussière grise et de végétation agressive – possiblement carnivore – en défend souvent l’accès. Et ces rouleaux hérissés, griffus, ronces ou barbelés ? On tâte du bout du pied le sol : il n’aurait tout de même pas des mines ? ! C’est autre chose en effet que l’allée de gravier blanc qui zigzague sur cinq mètres, entre deux parterres de gazon fleuri, jusqu’à la porte de notre maisonnette. Beaucoup vont reculer. Si l’on insiste pourtant, insensiblement le terrain change. Ou serait-ce seulement notre foulée qui gagne en aisance ? Le monde s’ouvre avec le livre. Nous avons à présent trouvé la vitesse de lecture qui convient, les volumes anguleux, les figures grimaçantes, toutes les formes revêches qui nous effrayaient au début s’y inscrivent harmonieusement : s’ensuit une nouvelle évidence qui cependant échappe au lieu commun de la représentation. Bonne gifle d’eau glacée sur nos têtes dodelinantes, réveil de la conscience assoupie, trop longtemps bercée par l’ennui ordinaire des jours, opacifiée par les idées reçues et leur formulation proverbiale.

Mais l’écrivain dépourvu de style, tenant de l’écriture blanche, neutre, plate, sans effets ni métaphore, fait le jeu de l’état des choses, redouble inutilement le réel, étend sur le sol la fameuse carte géographique aux dimensions du monde imaginée par Borges ; littérature de miroitier bègue à l’usage des singes et des perroquets. Faudra-t-il donc aussi mourir deux fois ?

Éric Chevillard, Le désordre azerty, Minuit, p. 91.

Cécile Carret, 24 fév. 2014
talonnade

Tout voyage est une talonnade de plus dans la boule de ce monde que nous finirons par envoyer rouler pour de bon derrière nous.

Éric Chevillard, « mercredi 23 juillet 2014 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 10 août 2014
spectateur

Le pessimiste est un spectateur. L’optimiste, un spectacle.

Jaime Fernández.

David Farreny, 26 fév. 2024
ressassée

Le visage des célébrités m’accable comme une information ressassée. C’est bon, c’est bon, on a compris. Ta gueule !

Éric Chevillard, « mercredi 10 juin 2020 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 28 fév. 2024

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