ami

Certains de nos camarades constatent parfois que le bonhomme tente de s’éloigner. N’écoutant que son désordre, il se rapproche de la falaise tout en nous remerciant de l’avoir entraîné dans cette promenade. Nos compagnons qui se tiennent là où les arbres cessent de pousser dans la pente trop oblique voient Morlin s’asseoir, placer les coudes en arrière, se propulser d’un coup de bassin et aller d’un rocher contre l’autre, jusqu’à plus complète immobilité. Ils le relèvent encore, ils reboutonnent sa redingote. Mais nous savons qui il est, aucun d’entre nous ne s’autorise à porter la main sur lui plus de quelques minutes. La redingote présente de larges échancrures, ses lambeaux parallèles tombent sous les hanches de l’ami.

François Rosset, Froideur, Michalon, p. 58.

David Farreny, 15 nov. 2002
fonds

En tout cas, il y a eu un temps où j’avais bien vivant dans ma tête un stock passionnel et très simple de matériaux, substance de mon expérience, destiné à être amené par l’expression poétique à une clarté et à une détermination organiques. Et, imperceptiblement mais inévitablement, chacune de mes tentatives se rattachait à ce fonds et, si extravagant que fût le noyau de chaque nouveau poème, jamais il ne me sembla que je m’égarais.

Cesare Pavese, Le métier de vivre, Gallimard, p. 14.

David Farreny, 24 mai 2003
vomir

Me réjouir ? Vomir ?

Witold Gombrowicz, Cosmos, Denoël, p. 96.

David Farreny, 15 fév. 2004
aventure

Je vivais, sans chercher à lui échapper, la situation qui m’était faite. Et ce qui m’avait paru d’abord insoutenable s’imposait à présent comme une œuvre nécessaire qui ne concernait pas seulement les objets autour de moi mais ma vie spirituelle tout entière. Comme je l’avais pressenti devant la feuille blanche, j’avais à accepter sans réserve la vacuité fondamentale des êtres, et par-dessus tout, celle de mon être propre. J’avais à m’incorporer, jusqu’à la plus parfaite identification, cette blancheur nulle à l’orée de laquelle je me tenais toujours debout, silencieux — absent, profondément, aux quelques objets qui subsistaient encore. Un consentement infini montait en moi dans l’immobilité de mes sens et dans la suspension de toute activité de l’intellect. Je m’aventurais vers un oui de tout mon être à ce qui en était la radicale négation. Et pour lors, je n’étais rien de plus que cette aventure.

Claude Louis-Combet, Blanc, Fata Morgana, p. 69.

Élisabeth Mazeron, 22 mars 2010
cela

Je me tus. Une sauterelle venait de bondir sur une de mes jambes. Les épreuves avaient métamorphosé mon corps. Les maladies nerveuses provoquaient une multiplication de lambeaux de peau parasites. Partout grossissaient sur moi de vastes écailles ligneuses et des excroissances. La sauterelle accrochait à cela ses pattes.

Antoine Volodine, Des anges mineurs, Seuil, p. 94.

Cécile Carret, 10 sept. 2010
œuvre

Pur esprit, non tout à fait cependant, mais dédiant aussi toutes les sèves du corps et l’électricité de ses muscles à l’élaboration de sa grande œuvre, sacrifiant ce corps sans regrets, et s’il faut broyer dans le mortier un cartilage d’oreille pour obtenir le liant désiré qui fera de son tableau un épisode marquant de notre histoire, n’hésitant pas à trancher la sienne au plus ras aussi naturellement que s’il saisissait sur la table la brosse ou le tampon.

Éric Chevillard, Dino Egger, Minuit, p. 34.

Cécile Carret, 27 janv. 2011
beauté

(Qu’est-ce que ce besoin que nous avons de beauté ? Un caractère acquis, un réflexe conditionné, une convention linguistique ? Et la beauté physique, en soi, qu’est-ce ? Un signe, un privilège, un don irrationnel du sort, comme – ici – la laideur, la difformité, la déficience ? Ou bien un modèle sans cesse changeant que nous forgeons, plus historique que naturel, une projection de nos valeurs et notre culture ?)

Italo Calvino, La journée d’un scrutateur, Seuil, p. 33.

Cécile Carret, 8 janv. 2012
figures

M’installe au bureau, dans la nuit profonde, et peine à repartir, après la triste interruption de vendredi. J’essaie de décrire l’espèce d’idole peinte qui tenait la Parfumerie Bleue puis passe aux hommes, à ces commerçants qu’on voyait plantés sur leur pas de porte, comme des figures barométriques, et sous le regard desquels il fallait passer. Ça m’agaçait. Je sentais confusément les atteintes d’un pour-autrui que les étroites, les mesquines cervelles où il se formait rendaient amer, mal assimilable. On devenait, à son corps défendant, un personnage du texte médiocre, tout intérieur, que ces contemplatifs rogues brochaient, du matin au soir, à partir des péripéties, non moins médiocres, répétitives, du spectacle de la rue. Le bonheur, la liberté que j’éprouvais, deux ou trois jours durant, entre la fin juillet et le début août, tenaient à ce qu’ils étaient momentanément absentés, partis en vacances. Le monde était purgé des interprétations dénigrantes ou malignes, des regards urticants qui lui conféraient une partie de sa réalité.

Pierre Bergounioux, « samedi 21 septembre 2002 », Carnet de notes (2001-2010), Verdier, p. 285.

David Farreny, 26 janv. 2012
simplement

— Et vous, que faites-vous ?

— La même chose que le serveur de Pest qui prend huit commandes de café à la fois. L’un des clients commande le café clair et tiède, l’autre noir et brûlant, le troisième noisette et froid, et le serveur crie au garçon de comptoir : « huit cafés ! » tout simplement.

Dezsö Kosztolányi, Portraits, La Baconnière, p. 103.

Cécile Carret, 22 juin 2013
inopportunément

Non seulement un enfant non voulu quelquefois naît de tes accouplements mais, par la suite, il lui arrive encore de surgir inopportunément quand tu baises.

Éric Chevillard, « mardi 16 juin 2015 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 16 juin 2015
lâche

Nul ne serait donc suffisamment lâche pour ne jamais mourir ?

Éric Chevillard, « samedi 30 mars 2024 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 13 avr. 2024

mot(s) :

auteur :

rechercher 🔍fermer