mort

Pour l’Occidental contemporain, même lorsqu’il est bien portant, la pensée de la mort constitue une sorte de bruit de fond qui vient emplir son cerveau dès que les projets et les désirs s’estompent. L’âge venant, la présence de ce bruit se fait de plus en plus envahissante ; on peut le comparer à un ronflement sourd, parfois accompagné d’un grincement. À d’autres époques, le bruit de fond était constitué par l’attente du royaume du Seigneur ; aujourd’hui, il est constitué par l’attente de la mort. C’est ainsi.

Michel Houellebecq, Les particules élémentaires, Flammarion, pp. 104-105.

David Farreny, 22 mars 2002
berme

La micheline courait sur une corniche sinueuse, étayée, par places, de piliers noyés, de pans maçonnés. À droite, lorsqu’on montait, le roc grossièrement dressé à coups de pic coulissait tout contre la vitre. Il répercutait le mugissement du diesel logé sous la bosse à évents, derrière la cabine. On avait l’impression d’être emporté dans la carcasse de quelque pachyderme dont la micheline avait, aussi, l’allure déhanchée ou bien, comme Jonas, dans la panse du Béhémot. Je ne sais plus quelle crainte l’emportait, l’écrasement contre la muraille ou la chute fracassante dans les écueils et les bouillons de la rivière. La berme, par moments, n’excédait pas le mètre quatre cent trente-cinq d’écartement standard de la voie et, sous le bas de caisse du wagon, lorsqu’on tournait, il y avait le vide. On se disait, tout bas, que ça ne pouvait pas continuer bien longtemps.

Pierre Bergounioux, « Le pont de Bonnel », Un peu de bleu dans le paysage, Verdier, p. 10.

David Farreny, 27 avr. 2002
sorbets

Peut-être seraient offerts des sorbets, mais plus pour le nom que pour la chose.

Renaud Camus, Notes sur les manières du temps, P.O.L., pp. 312-313.

David Farreny, 12 mars 2008
hors

Elle semble bien comprendre ma question, une question d’homme, celle qui se pose aux lecteurs de La Princesse de Clèves, au moment où l’héroïne, lorsqu’elle se trouve enfin libre de répondre au désir du duc de Nemours, qui l’a si fort troublée, choisit plutôt « le repos ». Il y a une paix de l’intimité solitaire, hors d’atteinte de l’intrusion masculine et en général de l’intrusion, me dit-elle : être chez soi, travailler ou ne rien faire, écouter de la musique, et dont elle évoque un exemple. Ou plutôt une sensation qu’elle éprouve fréquemment, et dont elle essaie de me donner une idée : quand elle va faire des longueurs à la piscine, et que les cheveux et les oreilles étroitement enserrés dans un bonnet, elle-même contenue par l’eau qui l’enveloppe étroitement et l’isole, seule avec le tout d’elle-même, sans dérangement au moins pendant ce temps-là. L’exemple est énigmatique, et suggestif.

Pierre Pachet, Sans amour, Denoël, p. 77.

Cécile Carret, 13 mars 2011
panorama

Puis on me mit au lit dans une grande chambre au sommet de la maison, dans un dortoir de douze lits, aux murs revêtus de planches vernies. C’était si haut – on ne voyait, de toutes parts, que le ciel descendre jusqu’en bas des grandes fenêtres – qu’on se serait cru en pleine mer, dans le poste de commandement d’un navire. La neige tourbillonnait dans le vide.

Pour découvrir l’immense panorama il fallait aller sur le balcon, et toute la vallée se déployait alors. Un seul coup d’œil permettait d’être partout à la fois, de savoir bien avant les habitants du village qu’un camion rouge était en train d’arriver ou qu’on faisait traverser la route à un troupeau de vaches dont on entendait de loin les clarines.

Ce fut, dès lors, tous les jours, la même aventure du regard. Pendant les huit ans que je passais dans ce pensionnat appelé Collège Florimontane, je ne m’en lassais pas. Toute la vallée, avec ses pentes, ses maisons, ses habitants, était à la disposition du regard. Tout à la fois, on pouvait voir les gens traverser la place du village et sur la pente, à une demi-heure de marche de là, le fermier en train de rajuster sa barrière autour du potager carré.

Georges-Arthur Goldschmidt, La traversée des fleuves. Autobiographie, Seuil, p. 173.

Cécile Carret, 10 juil. 2011
antiquité

L’hymne est adapté d’une chanson napolitaine. Dans tous les villages de l’Österland, du Götaland, on entonne Sankta Lucia avec la ferveur d’un Caruso glorifiant le Pausilippe. La lueur des bougies se répand dans les rues, tremble sur les neiges, comme la lave qui coule du Vésuve fait scintiller la mer. Le suédois, remplaçant l’italien, lui emprunte un peu de soleil et de catholicité, troublant au fond de l’âme ces sentiments qui tressaillent au chant grégorien. Est-il possible d’obtenir plus d’effets avec moins d’apprêts ? On ne peut entendre ces accords sans avoir la gorge nouée — et si l’on devait se joindre au chœur, l’auditeur percevrait des sanglots dans nos voix. On ignore ce qu’il faut admirer le plus : la modestie de la mise en scène, sa naïveté, sa familiarité, sa beauté, son mystère, son antiquité, sa longévité. On sait simplement que, pour nous, quelque chose s’est perdu qui ne se retrouvera jamais — la jeunesse, la foi, l’étincelle ?

Il est aussi des mots trop froids qui fondent dès que notre langue les touche. De ceux que le suédois a cristallisés autour de la racine snösnöblandad, neige fondue, snöblind, aveuglé par la neige, snöbollskrig, bataille de boules de neige, snöglopp, neige mouillée —, le plus fragile et le plus beau est sans doute snölykta, qui désigne la lanterne de neige, une pyramide de boules à l’intérieur de laquelle on glisse un lumignon, et que l’on place au débouché d’une allée, au pied d’un perron, partout où elle peut égayer la nuit. Comme les couronnes de bougies de Sankta Lucia, la flamme brille au cœur de la neige, rougeoie, chancelle, chatoie, tente l’impossible union de la glace et du feu : c’est le printemps qui se débat dans l’hiver.

Thierry Laget, « Discours de Stockholm », «  Théodore Balmoral  » n° 74, printemps-été 2014, pp. 48-49.

David Farreny, 7 juil. 2014
ressassement

Écrire : autojustification, par l’extase, du ressassement.

Richard Millet, « 31 mars 1997 », Journal (1995-1999), Léo Scheer.

David Farreny, 20 avr. 2024
éclat

Et c’est un vrai printemps qui est venu, terriblement jeune. Il resplendit avec trop d’éclat pour nos yeux.

Sigismund Krzyzanowski, Rue Involontaire, Verdier, p. 22.

Cécile Carret, 12 mai 2024

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