être

L’être est un non-sens, mais un non-sens qui a des dents.

Antonin Artaud.

Bilitis Farreny, 21 mars 2002
Norvégiens

Les Norvégiens sont translucides ; exposés au soleil, ils meurent presque aussitôt.

Michel Houellebecq, Lanzarote, Flammarion, p. 18.

David Farreny, 22 mars 2002
géométrique

Toutes ces citations ne plairont pas à tous, et celui qui les propose est sans doute le seul lieu géométrique du plaisir et de l’intérêt que chacune contient.

Roland Barthes, « Plaisir aux classiques », Œuvres complètes (1), Seuil, p. 63.

David Farreny, 11 sept. 2004
écoute

Mais le mal répondait, il répondait comme le mal, d’une voix tonitruante qui n’écoute rien.

Le souffle, où était le souffle ?

Mon œuf seulement écoutait le monde. Seulement mon œuf absorbait encore le monde…

Henri Michaux, « Vents et poussières », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 172.

David Farreny, 9 nov. 2005
égards

Ce café très chaud l’a réconforté. Une cigarette, maintenant, donne au wagon désert une odeur confortable. Ce sera sa petite chambre jusqu’à Tarente. Taranto, accent sur la première syllabe.

Lucas, il faut vous habituer à cette idée : vous vous attendiez à décrire, à partir de Salerne, une courbe inclinée vers la droite et suivant le rivage de la mer, mais c’est vers la gauche que vous serez entraîné, gravissant l’arête centrale de la péninsule et redescendant ensuite vers une autre mer qui a un beau nom : Ionienne. Avertissez de ce changement d’itinéraire votre sens de la direction et votre sens géographique, parce qu’ils méritent qu’on ait de ces égards pour eux et parce qu’ils souffrent sans qu’ils sachent pourquoi, mais d’une manière qui est perceptible pour nous, lorsque nous sommes dans l’impossibilité de dire, par exemple, dans notre chambre, rue Berthollet : Orléans est devant moi, un peu sur la droite, et Nancy à peu près en face de mon oreille gauche. Ici, il n’y a aucun doute : assis de trois quarts sur la banquette, face à la locomotive qu’on vient d’attacher au convoi, il a Tarente devant lui et il tourne — résolument — le dos au Vomero.

Je verrai donc Tarente ce soir, et non pas Messine ou Palerme.

Valery Larbaud, « Mon plus secret conseil... », Œuvres, Gallimard, p. 664.

David Farreny, 2 nov. 2009
lieu

Lorsque, quelques semaines plus tard, près de Waterbury, Connecticut, je me suis retrouvée seule dans une chambre au design de motel des années 1960 miraculeusement préservé […] je me suis rappelé que c’est dans les chambres étrangères que nous pouvons saisir la sensation la plus juste parce que la plus égarée de notre existence, non pas dans la chambre familière, celle à laquelle j’aspirais à chaque instant de mon voyage – m’y retrouver enfin, m’y couler – mais dans l’espace toujours réfractaire d’un lieu désaffecté qu’on ne parviendra pas à soumettre. Qu’est-ce que je venais faire ici ?

Nathalie Léger, Supplément à la vie de Barbara Loden, P.O.L., p. 53.

Cécile Carret, 16 mars 2012
drame

Et c’est la Mer qui vint à nous sur les degrés de pierre du drame :

Avec ses Princes, ses Régents, ses Messagers vêtus d’emphase et de métal, ses grands Acteurs aux yeux crevés et ses Prophètes à la chaîne, ses Magiciennes trépignant sur leurs socques de bois, la bouche pleine de caillots noirs, et ses tributs de Vierges cheminant dans les labours de l’hymne,

Avec ses Pâtres, ses Pirates et ses Nourrices d’enfants-rois, ses vieux Nomades en exil et ses Princesses d’élégie, ses grandes Veuves silencieuses sous des cendres illustres, ses grands Usurpateurs de trônes et Fondateurs de colonies lointaines, ses Prébendiers et ses Marchands, ses grands Concessionnaires des provinces d’étain, et ses grands Sages voyageurs à dos de buffles de rizières,

Avec tout son cheptel de monstres et d’humains, ah ! tout son croît de fables immortelles, nouant à ses ruées d’esclaves et d’ilotes ses grands Bâtards divins et ses grandes filles d’Étalons — une foule en hâte se levant aux travées de l’Histoire et se portant en masse vers l’arène, dans le premier frisson du soir au parfum de fucus,

Récitation en marche vers l’Auteur et vers la bouche peinte de son masque.

Saint-John Perse, « Amers », Œuvres complètes, Gallimard, p. 265.

Guillaume Colnot, 3 avr. 2013
espoir

Pour revenir aux parties de cache-cache, elles aiment à la folie ce jeu qui apprend à se séparer et à garder espoir alors même qu’on patiente dans la solitude et l’obscurité, comme disait Freud. Et comme il est ardu de conserver cet espoir lorsque c’est Manon qui cherche et qu’elle n’est pas douée pour trouver.

Emmanuelle Pyreire, Foire internationale, Les Petits Matins, p. 39.

Cécile Carret, 13 avr. 2013
souriez

Mon ami me fait asseoir devant l’appareil pour me photographier. Ce que je viens d’apprendre grâce lui ne me sert pas à grand-chose à présent. Moi aussi, je lorgne l’objectif, soudain j’ai le trac, car le moment où l’on fixe un instant de notre vie fugitive est tout de même solennel. Je m’efforce de minauder avec naturel. Il m’encourage à être spontané, à me montrer un peu plus jovial. Pour résumer, il s’agit de l’ancien cri de guerre : souriez ! Je dois faire bonne figure à la vie, au monde, à tout ce qui m’entoure. Ce n’est pas facile, mais je vais essayer.

Dezsö Kosztolányi, Portraits, La Baconnière, p. 99.

Cécile Carret, 22 juin 2013
île

ÎLE est un pronom personnel transgenre. Pour le ou la naufragé(e), la solitude sera moins cruelle.

Éric Chevillard, Le désordre azerty, Minuit, p. 57.

Cécile Carret, 4 fév. 2014
terreur

Pour que la Russie s’accommodât d’un régime libéral, il faudrait qu’elle s’affaiblît considérablement, que sa vigueur s’exténuât ; mieux : qu’elle perdît son caractère spécifique et se dénationalisât en profondeur. Comment y réussirait-elle, avec ses ressources intérieures inentamées, et ses mille ans d’autocratie ? À supposer qu’elle y arrivât par un bond, elle se disloquerait sur-le-champ. Plus d’une nation, pour se conserver et pour s’épanouir, a besoin d’une certaine dose de terreur.

Emil Cioran, « Histoire et utopie », Œuvres, Gallimard, p. 451.

David Farreny, 17 mars 2024
dilemme

Le temps favorise à la longue les nations enchaînées qui, amassant des forces et des illusions, vivent dans le futur, dans l’espoir ; mais qu’espérer encore dans la liberté ? ou dans le régime qui l’incarne, fait de dissipation, de quiétude et de ramollissement ? Merveille qui n’a rien à offrir, la démocratie est tout ensemble le paradis et le tombeau d’un peuple. La vie n’a de sens que par elle ; mais elle manque de vie… Bonheur immédiat, désastre imminent — inconsistance d’un régime auquel on n’adhère pas sans s’enferrer dans un dilemme torturant.

Emil Cioran, « Histoire et utopie », Œuvres, Gallimard, p. 451.

David Farreny, 17 mars 2024
missive

Mais à qui écrire ? Personne en vue. Et pas d’enveloppe, pas de papier à lettres. J’ai quand même expédié ma première missive, je l’ai pliée en petit bateau, j’ai collé le timbre dessus et j’ai écrit : « Au premier qui la ramassera. » Ne restait plus qu’à ouvrir le vasistas et à la jeter, comme dans une boîte aux lettres.

Voilà comment cela s’est passé. Avec mon coauteur, la vodka, nous nous sommes peu à peu pris de passion pour la chose épistolaire.

Sigismund Krzyzanowski, Rue Involontaire, Verdier, p. 14.

Cécile Carret, 6 mai 2024

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