Je dis que je ne veux rien faire
je m’en vante
que je ne veux pas aimer
travailler décider agir
qu’une vie de lierre de mousse
ou de lichen est mon idéal
quelle prétention que de pauvres
sottises qui contiennent sûrement
à des fins de plausibilité
les traces de microscopiques
parcelles de vérité
Jean-Pierre Georges, Je m’ennuie sur terre, Le Dé bleu, p. 57.
La démagogie s’introduit quand, faute de commune mesure, le principe d’égalité s’abâtardit en principe d’identité.
Antoine de Saint-Exupéry, Pilote de guerre.
Ceux qui me voient venir.
Moi aussi, je les vois venir.
Un jour le froid parlera,
Le froid repoussant la porte montrera le Néant.
Et alors, mes gaillards ? Et alors ?
Petits déculottés qui plastronnez encore,
Gonflés de la voix des autres et des poumons de l’époque,
Tout le troupeau, je le vois dans un seul fourreau.
Vous travaillez ? Le palmier aussi agite ses bras.
Henri Michaux, « La nuit remue », Œuvres complètes (1), Gallimard.
Une identique lumière de néon éclaire les couloirs de l’ISFP. Généreusement arrosé par les subventions ministérielles et régionales, l’ISFP, plus riche que toutes les universités et les lycées réunis de l’académie, avait eu les moyens de se payer de la décoration de standing. Des peintures calculées pour la sérénité du formateur. De la moquette pensée. Celle-ci, bleu violacé, s’accorde superbement avec les murs vert d’eau agrémentés de plinthes jambon de Parme. Cela sent le confort, la joie et la clarté, avec un je ne sais quoi d’audacieux. Hélas, dix ans après, tout cet enthousiasme chromatique enduit en couches généreuses a connu le destin fatal réservé à l’allégresse officielle des surfaces. La mauvaise qualité des jointures de fenêtres t’a compissé tout ça de traînées noires ressemblant aux larmes délayant la crasse sur la face d’une pocharde qui se remémore son enfance. D’innombrables affichettes administratives, extraits de publications officielles, annonces de conférences, dazibaos syndicaux et mutualistes ont tartiné d’ennui le ci-devant vert primesautier. Quant à la moquette, il ne reste de ses fraîches étendues qu’une steppe saccagée par les croquenots pédagogiques et les milliers de cigarettes grillées par des formatrices blêmes et cancéreuses.
De ces colloques spectraux, par-delà le triomphe des non-fumeurs sur les fumeurs, par-delà l’agonie solitaire, dans quelque service d’oncologie à la décoration allègre identiquement dévastée, des didacticiennes abandonnées à la souffrance et au souvenir obsédant des centaines de circulaires ministérielles ingurgitées, persiste cette odeur de cigarettes imprégnant toutes les surfaces, et une fumée, un fantôme de brouillard troublant les couloirs interminables, épaississant la lumière des néons, peut-être le vestige de tant de dossiers remués, de tant de papiers agités, la grande ombre pulvérulente de toutes les vieilles existences bureaucratiques qui se refusent à disparaître.
Pierre Jourde, Festins secrets, L’Esprit des péninsules, pp. 351-352.
Dans les montagnes du Centre, ces gros hôtels aux façades austères, leurs portes discrètement haussées d’insignes de clubs, derrière lesquelles on trouve une poignée de voyageurs de commerce groupés là dans la fumée des gauloises comme des cloportes sous une même mousse.
Nicolas Bouvier, Il faudra repartir. Voyages inédits, Payot & Rivages, p. 65.
La fournaise exalte les odeurs. Jasmin et excréments confondus. Le suave ne paraît jamais loin, dans ces confins, du funèbre, comme si les sensations se rangeaient selon un ordre différent de celui que nous connaissons. D’autres parfums encore, inconnus et violents, toute une invisible forêt de sauces, d’épices et de fleurs mijotant dans le ciel blanc, parmi les palmes et les feuilles sans nombre. Ici l’olfactif concurrence le visuel. Tout ce que diffuse la profusion des plantes, des corps humains, des corps animaux, tout ce qui monte des petites marmites dans lesquelles des femmes usées font cuire des ragoûts d’arlequin dont une cuillerée vous incendie jusqu’à l’os.
Pierre Jourde, Le Tibet sans peine, Gallimard, p. 37.
Souvenir récurrent. Mon ami A. en phase palliative alors que nous buvons un verre sur sa terrasse à la campagne : « On aimerait bien que ça dure encore un peu ! » Le jardin immobile baignait dans une paisible lumière.
Jean-Luc Sarré, Ainsi les jours, Le Bruit du temps, p. 27.
Relu et détruit des élégies de jeunesse (1975). Il ne s’agit pas de soigner ses propres traces mais de lâcher du silence entre les signaux.
Gérard Pesson, « lundi 10 mai 1993 », Cran d’arrêt du beau temps. Journal 1991-1998, Van Dieren, p. 101.
La noblesse humaine est l’œuvre que le temps cisèle parfois dans notre ignominie quotidienne.
Nicolás Gómez Dávila, Scolies à un texte implicite, p. 65.
Sitôt apparue abolie, la jolie passante est une étoile filante, la preuve en est encore, mon pauvre ami, que ton vœu ne se réalisera pas.
Éric Chevillard, « mercredi 13 septembre 2023 », L’autofictif. 🔗