nabots

La musique corrompue par la théorie, la technique, d’où l’effondrement de la personnalité et un rapetissement si brutal des compositeurs qu’on ne saura bientôt plus quel nom donner à ces nabots.

Witold Gombrowicz, Journal (2), Gallimard, p. 165.

David Farreny, 22 mars 2002
désapprit

Ils couchèrent en plein air, près des tertres de croix. Ils virent luire tristement dans la nuit les petites lampes des monuments funèbres. Ils mangèrent du pain aigre et des olives amollies. On ne sait pas s’ils volèrent. Ils furent magiciens ambulants, charlatans de campagne, et compagnons de soldats vagabonds. Pétrone désapprit entièrement l’art d’écrire, sitôt qu’il vécut de la vie qu’il avait imaginée. Ils eurent de jeunes amis traîtres, qu’ils aimèrent, et qui les quittèrent aux portes des municipes en leur prenant jusqu’à leur dernier as. Ils firent toutes les débauches avec des gladiateurs évadés. Ils furent barbiers et garçons d’étuves.

Marcel Schwob, « Pétrone, romancier », Vies imaginaires, Ombres, pp. 56-57.

David Farreny, 28 mars 2002
concrétions

Il fait une journée splendide, très chaude mais sans oiseaux ni parfums ni espérance. J’esquisse un plan, jette, dirait-on, des grains de sable dans le vide, autour desquels pourraient se former des concrétions. Il me manque toujours l’arête. Je m’en remets sur l’avancée d’apporter ses propres rails, d’engendrer sa substance. Les mots, en revanche, tombent d’eux-mêmes, épousent la vision. Je couvrirai une page au prix d’un travail inélégant, brutal — la course à travers la sapinière, dans la frange interdite, sous le soir.

Pierre Bergounioux, « dimanche 2 septembre 1984 », Carnet de notes (1980-1990), Verdier, p. 336.

David Farreny, 25 mars 2006
mains

Je vous attends infiniment et je serais triste de finir la journée sans vous avoir vue ; à chaque moment j’oublie une chose que je devrais vous dire.

Je vous embrasse les mains.

Rainer Maria Rilke, « mardi matin », Lettres à une amie vénitienne, Gallimard, p. 25.

David Farreny, 10 fév. 2007
malaise

En ce terrible septième jour, personne ne vint me voir. Le malaise posta ses gardes à l’entrée de l’hôpital, dépêcha ses émissaires aux portes de la ville, prévint les uns et les autres que toute tentative d’approche était vaine et qu’il entendait régner sans partage. Il régna donc, dictant ses conditions auxquelles je me soumis sans regimber. Je gisais au fond du lit, souhaitant qu’il s’incarnât, qu’il prît les traits de quelque vieillard cacochyme et grincheux, cassant, qui envahirait ma chambre de ses tics impatients, m’obligeant à caler ma respiration sur la sienne. Cependant c’était un jour sans incarnations, et je dus me contenter d’une grande désorganisation qui me jeta tantôt dans une veille asthénique, tantôt dans un sommeil sans repos, travail épuisant.

Mathieu Riboulet, Un sentiment océanique, Maurice Nadeau, p. 40.

Élisabeth Mazeron, 13 oct. 2007
ruine

Tactiques, géographies, temps qu’il fait et propos civils ne sont pas du côté des morts. À nous en prélude l’humidité, la confusion, la fadeur nauséeuse des jours, un peu de salive au coin des lèvres, une stupeur immobile, qui ne valent cependant ni quitus ni consentement à ces perspectives de ruine.

Mathieu Riboulet, Mère Biscuit, Maurice Nadeau, p. 44.

Élisabeth Mazeron, 7 nov. 2007
adhérence

J’aurais voulu de la compassion, de cette sorte que j’éprouve moi-même devant certains regards, par exemple, celui des vieillards trop faibles physiquement pour voir le monde au-delà de leur environnement domestique, des enfants à qui l’on cache certaines clefs de ce monde, des animaux qui s’orientent, le museau au ras du sol, et qui tous sont dans l’impossibilité de percevoir le sens d’une souffrance qui les accable. Leur être même se confond avec cette souffrance et les regards arrêtés qu’ils lèvent vers les hommes et les femmes avertis et responsables disent leur adhérence au malheur. Je crois sincèrement avoir eu cette crédulité quand je souffrais moi-même sans pouvoir donner d’autre explication que celles que la langue transporte sans plus aller puiser dans le tréfonds des sentiments personnels.

Catherine Millet, Jour de souffrance, Flammarion, pp. 181-182.

Élisabeth Mazeron, 18 mars 2009
compris

Je la voyais autant dire pour la première fois, mais sa forme me pénétra d’un coup. De la nuque pâle, sous les nœuds de la lourde tresse, jusqu’aux fins talons, je devinai son corps, le parcourus, et m’en délectai comme d’une offrande personnelle. Je compris et goûtai le grand front large et les beaux yeux pleins de douceur, j’aimai le nez, la bouche aux fins coins d’ombre, et le dessin du cou, et l’équilibre superbe des épaules. Mon désir volait cet ensemble merveilleux, je ne me reconnaissais plus, j’étais évadé de moi-même.

Quelque chose de considérable venait de se produire, que j’acceptais dévotement. Le jet bref d’un regard avait mis bas tous mes calculs. Dédaigneux de la foule, dont la rumeur montait sans m’atteindre, je n’avais d’yeux que pour cette femme, et tous mes sens convergeaient vers son masque clair. Une magie insoupçonnée dénaturait mes réflexions. Je voyais choir mes fameux plans et mes risibles stratégies, et je me laissais faire, heureux, et subissais ce cher martyre, voluptueusement. Mon passé, douloureux ou puéril, mes bonheurs étriqués, mes remords, Jeanne, l’odeur cadavéreuse de ma vie, l’avenir, tout cela enfin glissait, fondait, croulait en cascade le long de mon être, comme d’un corps un linge fatigué.

Félix Vallotton, La vie meurtrière, Phébus, pp. 74-75.

David Farreny, 13 juil. 2010
œuvre

Pur esprit, non tout à fait cependant, mais dédiant aussi toutes les sèves du corps et l’électricité de ses muscles à l’élaboration de sa grande œuvre, sacrifiant ce corps sans regrets, et s’il faut broyer dans le mortier un cartilage d’oreille pour obtenir le liant désiré qui fera de son tableau un épisode marquant de notre histoire, n’hésitant pas à trancher la sienne au plus ras aussi naturellement que s’il saisissait sur la table la brosse ou le tampon.

Éric Chevillard, Dino Egger, Minuit, p. 34.

Cécile Carret, 27 janv. 2011
filiation

Les vieux amis de monsieur Songe sont célibataires et comme lui toute leur vie n’ont parlé que de leurs neveux. Dans l’esprit de monsieur Songe c’est la seule filiation. Au point qu’il n’imagine même pas que les neveux de ses amis et leurs petits-neveux puissent être mariés. Il se dit donc mais alors il n’y aura pas de dames ? Il nous en faut. Où les trouver ?

Monsieur Songe note trouver dames.

Robert Pinget, Monsieur Songe, Minuit, p. 90.

Cécile Carret, 8 déc. 2013
consistance

Écrire sert à faire sentir la consistance de vide des actions humaines. Voilà à quoi sert la littérature.

Philippe Muray, « 8 août 1985 », Ultima necat (I), Les Belles Lettres, p. 557.

David Farreny, 3 juin 2015

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