matière

M. Crawley avait apporté ses soins et ses consolations à cette femme délaissée sur son lit de souffrance ; et elle avait quitté le monde, raffermie par ses pieuses exhortations. Depuis bien des années, il était seul à lui témoigner des égards et des attentions. Telle était dès longtemps l’unique consolation de cette âme faible et abandonnée. La matière chez elle avait longtemps survécu à l’esprit.

William Makepeace Thackeray, La foire aux vanités (1), P.O.L., p. 207.

David Farreny, 22 mars 2002
viciait

Oh, c’était bien cela. Lagrand le savait. Tout le monde souhaitait ici la mort du garçon, de ce pauvre, vilain et ridicule enfant bêtement surnommé Titi, et peut-être même jusqu’à la petite Jade qui souhaitait innocemment que Titi meure, ce garçon aride, déprimant comme une tache irrémédiable au revers de tout plaisir possible, de quelque espèce de goût bien légitime qu’on pouvait arriver à prendre à l’existence et que lui, ce manquement tenace, viciait, lui, Titi, qui avait survécu, en les gâtant, à toutes les occasions de joie.

Marie NDiaye, Rosie Carpe, Minuit, p. 214.

David Farreny, 24 déc. 2002
vide

Pour tromper son vide, battre son plein.

Jean-Pierre Georges, Le moi chronique, Les Carnets du Dessert de Lune, p. 65.

David Farreny, 19 nov. 2006
Elseneur

Cueille ce triste jour d’hiver sur la mer grise…

Te souviens-tu de Marienlyst ? (Oh, sur quel rivage,

Et en quelle saison sommes-nous ? je ne sais.)

On y va d’Elseneur, en été, sur des pelouses

Pâles ; il y a le tombeau d’Hamlet et un hôtel

Éclairé à l’électricité, avec tout le confort moderne.

C’était l’été du Nord, lumineux, doux voilé.

Souviens-toi : on voyait la côte suédoise, en face,

Bleue, comme ce profil lointain de l’Italie.

Oh ! aimes-tu ce jour autant que moi je l’aime ?

Cueille ce triste jour d’hiver sur la mer grise…

Oh ! que n’ai-je passé ma vie à Elseneur !

Le petit port danois est tranquille, près de la gare,

Comme le port définitif des existences.

Vivre danoisement dans la douceur danoise

De cette ville où est un château avec des dômes en bronze

Vert-de-grisés ; vivre dans l’innocence, oui,

De n’importe quelle petite ville, quelque part,

Où tout le monde serait pensif et silencieux,

Et où l’on attendrait paisiblement la mort.

Valery Larbaud, « Poésies de A.O. Barnabooth », Œuvres, Gallimard, p. 62.

David Farreny, 1er avr. 2007
conservateur

Je suis un conservateur. Je veux conserver le monde tel qu’il est, non parce qu’il me paraît bon — au contraire, je le juge ignoble — mais parce que je suis dedans et que je ne puis le détruire sans me détruire avec lui.

Jean-Paul Sartre, « vendredi 6 octobre 1939 », Carnets de la drôle de guerre, Gallimard, p. 101.

David Farreny, 3 mars 2008
branle

Il est toujours très difficile de se couper de tout. Ne fût-ce qu’un lundi matin, quand toutes et tous, après un café trop fort avalé debout, ayant passé sous le joug une tête bouffie, se sont rués sur manettes et boutons pour que reprenne sans faute le branle absurde.

Le monde non utilitaire en reste comme hébété. Secoué de vrombissements sourds, il fait de la présence ; il dérangerait presque, sa mauvaise conscience est certaine. J’ai pour ma part « en charge » quelques toits de bâtiments publics, un énorme tilleul, et une petite portion de la rive droite du canal du Berry.

Bien sûr ce n’est pas une profession, ni même une activité. Mais je les assure d’une bienveillance, d’une humaine connivence. Deux hectomètres plus loin, quelqu’un d’autre prend le relais. Sans doute une vieille sur une chaise dépaillée, ou bien quelque grand fils trentenaire qu’on dit déficient intellectuel léger.

Jean-Pierre Georges, « En charge », Trois peupliers d’Italie, Tarabuste, p. 20.

David Farreny, 31 mars 2008
loi

Ce que nous tentâmes de faire, en quittant notamment la cafétéria pour déboucher, au-dessus, dans le restaurant, où nous circulâmes entre des sièges violets recouverts de bagages, de gens lisant les mêmes magazines, d’enfants que leurs parents tentaient d’y maintenir à l’état de repos, avant de déboucher sur le pont numéro sept, où nous découvrîmes une minuscule piscine circulaire, bâchée, au bord de laquelle, en lui tournant le dos, d’aucuns avaient trouvé là encore le moyen de s’asseoir, nouvelle scène, donc, de suroccupation de l’espace, se déroulant en anneau cette fois, mais toujours immobile, c’était la loi du genre.

Christian Oster, Trois hommes seuls, Minuit, p. 90.

Cécile Carret, 21 sept. 2008
ordinaireté

Je tourne en vain autour d’un souvenir très flou, peut-être imaginaire, d’une terrasse en Périgord, un jour d’hiver — mais c’était peut-être au printemps : il suffit que ce ne soit pas pendant la saison. Ici, dans le parc, les jardiniers taillent les haies. Il fait assez frais, mais très beau. Marcher sur la terrasse, au-dessus du viale, entre la villa et ma maison, leurs travaux d’un côté, donc, et de l’autre la ville… Il n’y a pas dans l’année d’époque moins touristique, à Rome. On n’aperçoit pour ainsi dire pas d’étrangers, le long des rues. Ce silence, cette lenteur, cette tranquillité, cette merveilleuse ordinaireté de la beauté, ce pourrait donc être la vraie vie ? Un jour si beau être cette chose si rare, un jour comme un autre ?

Renaud Camus, « mardi 3 février 1987 », Vigiles. Journal 1987, P.O.L., p. 42.

David Farreny, 9 oct. 2010
chafouin

Arrêtons-nous quelques instants sur le jeune Angus Napier. C’est un garçon de petite taille à l’air apeuré quoique dangereux, sournois bien qu’une innocence parfois égarée dans son regard, naïve et butée comme celle d’un ange, fasse concurrence à cet aspect chafouin et donne l’impression d’un enfant assez fou, capable de torturer quelqu’un à mort tout en le serrant en larmes contre lui, lui vouant son amour et sa vie entre deux séances au fer rouge – plagiant ainsi, donc, par anticipation l’habitus de l’acteur Elisha Cook Junior qui va naître à San Francisco dans dix ans, comme Richard Widmark un 26 décembre, avant de venir grandir ici même à Chicago, puis d’aller déployer à Hollywood ses talents de comédien de second plan.

Jean Echenoz, Des éclairs, Minuit, p. 65.

Cécile Carret, 9 oct. 2010
quoi

J’ai entendu des oiseaux. Je ne les ai pas écoutés, j’ai essayé de penser à la vie, pas spécialement à la mienne, au destin des gens, plutôt, puis je suis revenu à la mienne, je n’arrivais plus à me représenter les autres. Je me voyais moi, mais pas nettement, je me sentais comme ce bout de route qui disparaissait dans la pénombre et je me suis demandé si ce n’était pas ce que j’étais en train de faire. Puis je me suis dit que j’exagérais. Je pouvais parfaitement rentrer à Paris et rien de tout ça n’aurait existé. Tout ça quoi, me suis-je dit.

Christian Oster, Rouler, L’Olivier, p. 92.

Cécile Carret, 27 sept. 2011
jeu

Ákos a pris en main ses neuf cartes, avec des doigts experts les a rangées en un rien de temps, les saluant une à une au passage, elles qui parlaient du monde ancien, des temps heureux, le bateleur avec son luth à tête humaine et son épée, la danseuse espagnole en crinoline avec ses castagnettes, le Turc accroupi la pipe à la bouche, l’excuse avec son fou au costume de clown bariolé, au bonnet bicolore à double pointe, et le tout-puissant vingt et un, la carte qui prévaut sur toutes, avec ses soldats, auxquels de ce fait honneur est rendu. Quel familier, quel doux charivari. Assis sur un mur, des amoureux s’embrassent, un soldat d’autrefois prend congé de sa bien-aimée, un navire gagne le large. Il avait un jeu magnifique.

Dezsö Kosztolányi, Alouette, Viviane Hamy, p. 153.

Cécile Carret, 4 août 2012
sauvage

Et, que cela ne mène qu’aux terres inhumaines,

qu’aux ports désaccordés comme de vieux pianos

et qu’il faille carder, sur des métiers nouveaux

la trame usée du même…

Qu’il ferait bon téter ton lait sauvage, ô vie,

que des clous seraient bons pour raviver le sang

qu’une tempête serait bienvenue, violente,

une tempête, une émeute.

J’ai soif de toi, échevelée,

pendant que mon œil fuit

le blanc vol de mouettes

douces comme un sanglot irréel de la chair.

Benjamin Fondane, « Ulysse », Le mal des fantômes, Verdier, p. 28.

David Farreny, 20 juin 2013

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