La répétition est une forme ambiguë ; tantôt elle dénote l’échec, l’impuissance ; tantôt elle peut se lire comme une aspiration, le mouvement obstiné d’une quête qui ne se décourage pas : on pourrait très bien faire entendre le récit de drague comme la métaphore d’une expérience mystique (peut-être même cela a-t-il été fait ; car dans la littérature tout existe : le problème est de savoir où).
Roland Barthes, préface à « Tricks » de Renaud Camus, P.O.L., p. 17.
Il avait toujours rêvé de n’être relié au monde que par un regard immobile et tenu, comme un filet d’eau qui ne tombe pas, ne se divise pas, mais renouvelle son équilibre et son silence. On ne le sut qu’après : son regard était un câble enroulé au treuil du fond des vases.
Michel Besnier, Un lièvre en son gîte, Folle Avoine, p. 75.
Les absentes sont toujours là. Les grandes absentes sont de jour en jour plus hautes et l’ombre qu’elles portent plus opaque. Ce qui a été perdu a toujours raison.
Pascal Quignard, Terrasse à Rome, Gallimard, p. 150.
Mais si les mots paraissent vivre lorsqu’on projette le film sémantique ou morphologique, ils ne vont pas jusqu’à constituer des phrases ; ils ne sont que les traces du passage des phrases, comme les routes ne sont que les traces du passage des pèlerins ou des caravanes.
Jean-Paul Sartre, « Liberté et facticité : la situation », L’être et le néant, Gallimard, p. 573.
D’où le pouvoir de définition attaché à tous ces canaux hollandais. Il y a là, de toute évidence, un complexe eau-marchandise ; c’est l’eau qui fait l’objet, en lui donnant toutes les nuances d’une mobilité paisible, plane pourrait-on dire, liant des réserves, procédant sans à-coups aux échanges, et faisant de la ville un cadastre de biens agiles. Il faut voir les canaux d’un autre petit peintre, Berckheyde, qui n’a peint à peu près que cette circulation égale de la propriété : tout est pour l’objet voie de procession ; tel point de quai est un reposoir de barils, de bois, de bâches ; l’homme n’a qu’à basculer ou hisser, l’espace, bonne bête, fait le reste, il éloigne, rapproche, trie les choses, les distribue, les reprend, semble n’avoir d’autre fin que d’accomplir le projet de mouvement de toutes ces choses, séparées de la matière par la pellicule ferme et huilée de l’usage ; tous les objets sont ici préparés pour la manipulation, ils ont tous le détachement et la densité des fromages hollandais, ronds, préhensibles, vernissés.
Roland Barthes, « Essais critiques », Œuvres complètes (2), Seuil, p. 286.
Quant aux insectes, leurs formes, couleurs, contact, mouvements sont ceux de petits jouets très perfectionnés, amoureusement peints, de menus automates. Lorsqu’on les tire, l’hiver, des troncs d’arbres abattus, plus ou moins vermoulus où ils ont cherché refuge, ils sont engourdis au point de rester sans mouvement lorsque la lumière, subitement, les atteint. On n’a pas tant l’impression de traquer des êtres vivants, des carabes, surtout, que de voler des gemmes, des pièces d’or dans les coffres fracturés du bois.
Pierre Bergounioux, Chasseur à la manque, Gallimard, p. 39.
X : il a écrit tellement de livres qu’il pourrait s’incinérer avec.
Jean-Pierre Georges, L’éphémère dure toujours, Tarabuste, p. 120.
Souvenir récurrent. Mon ami A. en phase palliative alors que nous buvons un verre sur sa terrasse à la campagne : « On aimerait bien que ça dure encore un peu ! » Le jardin immobile baignait dans une paisible lumière.
Jean-Luc Sarré, Ainsi les jours, Le Bruit du temps, p. 27.
On nous naît, déjà pas mal, maintenant
« accouche de toi-même mais en silence ! »
Jean-Pierre Georges, Où être bien, Le Dé bleu, p. 17.