pleine

Une phrase pleine… Qui me donnerait une phrase pleine ? Mais ce serait me tuer.

Renaud Camus, « lundi 3 janvier 1994 », La campagne de France. Journal 1994, Fayard, p. 13.

David Farreny, 22 mars 2002
civilisation

Comble de la civilisation : mentir sans mentir.

Dominique de Roux, Immédiatement, La Table ronde, p. 50.

David Farreny, 1er janv. 2006
contredire

Un spectre hante la société actuelle : celui d’une critique à laquelle elle n’aurait pas pensé. Dans le but de se protéger de cette menace, elle ne cesse de sécréter ses propres contestataires et les pousse en avant : objecteurs de substitution, rebelles de remplacement, succédanés de perturbateurs, ersatz de subversifs, séditieux de synthèse, agitateurs honoraires, émeutiers postiches, vociférateurs de rechange, révoltés semi-officiels, provocateurs modérantistes, leveurs de tabou institutionnels, insurgés du juste milieu, fauteurs de troubles gouvernementaux, émancipateurs subventionnés, frondeurs bien tempérés, énergumènes ministériels. C’est avec ces supplétifs que l’époque qui commence a entrepris de mener la guerre contre la liberté.

D’une façon plus générale, la civilisation qui se développe sous nos yeux ne parvient à une parfaite maîtrise et un contrôle total qu’à condition d’inclure en elle l’ensemble de ce qui paraît la contredire. C’est elle, et elle seule désormais, qui encadre les levées de boucliers et les tollés de protestation. Elle s’est attribué le négatif, qu’elle fabrique en grande série, comme le reste, et dont elle sature le marché, mais c’est afin d’en interdire l’usage en dehors d’elle. L’ « anticonformisme », la « déviance », la « transgression », l’ « exil du dedans » et la « marginalité » ne sont plus depuis belle lurette que des produits domestiqués. Et les pires « mauvaises pensées » sont élevées comme du bétail dans la vaste zone de stabulation bétonnée de la Correction et du Consensus. Ainsi toute pensée véritable se retrouve-t-elle bannie par ses duplicatas.

Philippe Muray, Après l’histoire, Les Belles Lettres, pp. 13-14.

David Farreny, 19 janv. 2008
euh

De temps à autre, l’un ou l’autre de nos camarades s’évapore de la sorte ; alors, enfonçant la tête entre les épaules, nous disons : — Euh… (que peut-on dire d’autre) ; et une légère consternation flotte dans l’air. Pourtant, dans notre belle majorité, nous tous, employés, sommes déjà en train de mourir. Nous qui avons passé la quarantaine, chaque année plus vieux d’une année. Au cimetière, […] chacun de nous se supportait lui-même tel un sac rempli de décès.

Witold Gombrowicz, Journal (1), Gallimard, p. 89.

David Farreny, 4 mars 2008
fusées

Viendrez-vous bientôt dîner chez moi à votre tour ? demande à l’araignée une autre araignée empêtrée dans sa toile, d’une toute petite voix.

C’est reparti. Le vaillant petit tailleur rêvait qu’il rêvait, et moi de même, tandis que le réel imperturbable chauffait ses pierres plates au soleil.

En se baissant pour ramasser dans l’herbe un fer à cheval porte-bonheur, le petit tailleur trouve un trèfle à quatre feuilles. Donc, ça marche.

Une perdrix décolle lourdement : nous en sommes encore aux tout premiers vols habités, les fusées ce sera pour plus tard.

Éric Chevillard, Le vaillant petit tailleur, Minuit, p. 52.

Cécile Carret, 25 avr. 2011
sweet

Rentrer, c’est toujours plus ou moins regagner sa niche, la queue entre les pattes. Ce n’est pas très glorieux. Preuve que le vent du large n’a pas voulu de nous, qu’il ne nous a pas déposés sur le rivage d’un nouveau monde. Niche, sweet niche. Mon coussin, ma balle. Et pourtant, nous rentrons soulagés, bien contents d’en avoir fini avec le dérangement du voyage. Comme il fut long et douloureux, cet exil normand, et comme cela va être doux de revoir la tête de la boulangère (avec ses bonnes joues et la boule de son petit chignon, ne dirait-on pas la maman brioche ?).

Puis nous avons fait le plein de sensations fortes. Nous aspirons à la quiétude.

Tout de même, nous n’oublierons pas la brûlure du soleil ni la fraîcheur des sorbets.

Éric Chevillard, Le désordre azerty, Minuit, p. 32.

Cécile Carret, 4 fév. 2014
rôle

100 millions d’Américains ont pris 40 kilos pour le rôle.

Éric Chevillard, « vendredi 2 mai 2014 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 2 mai 2014
repas

– Je vais te nourrir au sein, mon enfant, dit l’ogresse à son nouveau-né. Une inquiétude passa sur le visage du bébé : ça ne ferait jamais que deux repas.

Éric Chevillard, « lundi 1er septembre », L’autofictif. 🔗

Cécile Carret, 12 sept. 2014
isolement

Quel crime faut-il commettre, déjà, pour être mis à l’isolement ?

Éric Chevillard, « mercredi 18 septembre 2019 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 17 mars 2024
pragmatique

L’homme de génie, affligé d’une atrophie du vouloir-vivre aggravée d’une hypertrophie de l’intellect, souffre, à cause de ce déséquilibre interne, d’un sentiment d’étrangeté au monde. Il y vit et l’observe comme s’il y était en exil. L’homme ordinaire, quant à lui, doté d’une intelligence soumise au vouloir-vivre qui anime le monde, parvient à s’en faire une représentation pauvre et superficielle mais pragmatique. Même s’il y éprouve l’adversité, il y agit avec l’aisance et l’efficacité d’un familier. Le monde est son monde. Ce qu’il y fait, ou ce qu’il y produit, s’inscrit dans l’époque et en épouse la forme. Voilà pourquoi, par exemple, l’artiste de talent, d’une intelligence de même étoffe, mais plus fine, s’emploie à fabriquer des ouvrages teintés de l’air du temps qui ne laissent pas de plaire à ses contemporains. Attentif à leurs goûts ou à leurs préoccupations, il sait y répondre au moment opportun. Misant aussi sur leur inculture due, justement, à leur affairement, il leur vend comme une nouveauté de sa facture une forme empruntée à des génies anciens. En comparaison, l’artiste de génie fait figure d’infirme social. S’aviserait-il d’être de saison, il attraperait aussitôt un rhume de cerveau.

Frédéric Schiffter, « Génie et pharmacie », Le philosophe sans qualités, Flammarion.

David Farreny, 26 mai 2024

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