cohérence

Mais la seule cohérence qui vaille, c’est celle qui arrive à répondre, en profondeur, de toutes les incohérences de surface.

Renaud Camus, « jeudi 21 janvier 1999 », Retour à Canossa. Journal 1999, Fayard, p. 65.

David Farreny, 20 mars 2002
sébile

Avec l’argent récolté aujourd’hui, grâce à la générosité des passants, Crab va pouvoir finir de payer sa sébile. Dès demain, tout sera bénéfice.

Éric Chevillard, Un fantôme, Minuit, p. 96.

David Farreny, 24 mars 2002
pensée

On se donne bien du mal pour décortiquer les arguments d’un tel sur Mozart, ou sur Kounellis. Vain labeur. Car ce qui exprime le plus clairement la teneur de ses opinions, c’est sa cravate. Le fond de sa pensée c’est sa gourmette.

Renaud Camus, Éloge du paraître, P.O.L., p. 79.

David Farreny, 7 juil. 2002
vigne

L’aspect des vignes revêt partout un caractère extrêmement désordonné en raison de la technique de propagation en usage : le marcottage ou provignage. La plantation initiale d’une parcelle s’effectue grâce à des boutures le plus souvent non racinées et plantées dans des trous ou des fossés assez espacés. Ensuite, les ceps sont multipliés par l’enfouissement dans le sol des sarments jugés vigoureux, lesquels sont séparés de la souche-mère après enracinement. On aboutit ainsi à une densité allant de 10 000 à 40 000 ceps à l’hectare. Un tel procédé, comme on peut s’en douter, donne une physionomie très opposée à celle des vignes actuelles bien peignées. Au bout de quelques décennies, même si la plantation initiale est disposée en lignes, le plus grand désordre règne dans la vigne, qui peut même être tout encombrée de bois mort. La conduite est basse, et dans ce cas, la vigne s’appuie sur des échalas, ou bien haute, et alors elle court souvent, à la façon méditerranéenne, d’arbre en arbre. Beaucoup de vignes sont, en effet, complantées d’arbres fruitiers variés, pratique qui nuit évidemment à la qualité de la production, tout comme l’édification de haies arborées entre les parcelles. Dans les vignes-jardins, deux techniques élaborées, probablement héritées de l’Antiquité, sont utilisées : la conduite sur treillage en berceau constituant une allée ombragée et sur treillage en toiture ou pergola recouvrant toute la surface d’une parcelle.

Jean-Robert Pitte, Histoire du paysage français, Tallandier, p. 144.

Guillaume Colnot, 13 sept. 2002
étiologie

L’impossibilité d’agir a toujours été chez moi une maladie à l’étiologie métaphysique.

Fernando Pessoa, Le livre de l’intranquillité (1), Christian Bourgois, p. 182.

David Farreny, 9 fév. 2003
diffère

Quelque chose, quelque part diffère.

Henri Michaux, « Les grandes épreuves de l’esprit et les innombrables petites », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 362.

David Farreny, 8 déc. 2005
cible

Fini de rire

le temps ne nous ratera pas

la cible

est bien trop grosse

Le givre a pris place

sous le ciel étoilé

il a tout cadenassé

l’air gît pétrifié dans les poumons

l’homme en pyjama appelle

vainement dans la nuit

une bête domestique

Jean-Pierre Georges, Je m’ennuie sur terre, Le Dé bleu, p. 56.

Élisabeth Mazeron, 23 juin 2006
Asti

J’ai poussé un autre cri de terreur le jour du 15 août. Incrustée dans la porte d’entrée pour le moindre bruit dans les escaliers, je l’attendais depuis huit heures du matin avec notre pique-nique dans mon fourre-tout. Avec l’Asti spumante. Je prenais parfois la bouteille dans mes bras : il doit venir, il viendra. Je vérifiais la fraîcheur de mon mouchoir parfumé pour son front moite. Nous n’irons pas à Chevreuse. Il a préparé un itinéraire. Pas sur le quai du métro, je te dis pas sur le quai du métro. Je viendrai te chercher ici. Pourquoi insistait-il ? J’ai froid dans le dos. S’il tarde, l’Asti sera tiède. Nous l’enterrons. […] Je l’ai attendu pendant deux heures. Tous sont partis dans les bois. Ne tremble pas, ma lèvre, surtout ne tremble pas. Ce privilège est pour les peupliers. Il viendra, ne te décourage pas, ma lèvre. Mon cahier, fermé jusqu’à demain après-midi. Comment parviendrai-je à écrire si j’oublie de vivre…

Violette Leduc, La chasse à l’amour, Gallimard, p. 234.

Cécile Carret, 5 juin 2007
imbécillité

J’étais là, j’étais debout, c’était tout ce que je pouvais faire. J’avais cessé de comprendre. Ma curiosité intellectuelle, qui était à peu près ma seule fierté, faisait faillite ; je renonçais à l’analyse, aux hypothèses, à la méthode. Je ne gardais pour moi que ma stupeur et mon angoisse — ou plutôt c’était elles, en vérité, qui me gardaient, comme je m’approchais de moi-même, enfin, retrouvant mon imbécillité fondamentale et adhérant à elle, faisant corps avec elle dans ma toute-solitude et m’en tenant là.

Claude Louis-Combet, Blanc, Fata Morgana, p. 62.

Élisabeth Mazeron, 16 mars 2010
convaincre

Allée des orangers : les cloches dans la nuit lancent un petit espoir de convaincre, tellement dissous qu’il atteint toujours le cœur de la cible.

Gérard Pesson, « dimanche 5 janvier 1992 », Cran d’arrêt du beau temps. Journal 1991-1998, Van Dieren, p. 51.

David Farreny, 22 mars 2010
sien

Mon père était grand et raide. Le front large, les yeux perçants, il impressionnait. Quelle que soit la saison (avant 1975, bien sûr, je parle de l’ancien régime), il portait une chemise blanche, des boutons de manchette, une cravate et un costume croisé, de rigueur dans les ministères. Sa langue de travail était restée le français.

Il fumait beaucoup et j’aimais lui apporter son étui de métal. J’allumais sa dernière cigarette de la journée. Je garde cette image de lui, pensif. Ma mère lit un journal à ses côtés, perdue dans les volutes.

Parfois, il venait me chercher à l’école. Il discutait avec le directeur. Je me tenais à distance, un peu effrayé par ces hommes sérieux qui semblaient avoir tant à se dire. Il arrivait qu’il assiste à mes entraînements de taekwondo. Il s’adossait à un arbre, silencieux, attentif – les yeux mi-clos. J’étais fier de lui. Fier de sa présence, fier de son regard. Il me souriait, avant de disparaître.

Il était né dans une famille de paysans qui survivait à la frontière vietnamienne, dans les années 1920. Ils étaient neuf ou dix enfants. Tout est incertain dans la terre grasse des rizières, où les os blanchissent en une saison. Pour ces paysans, pas d’état civil, pas d’histoire, mais le décompte des heures et des bêtes.

Mon père a eu un destin à part : son propre père l’a choisi pour être éduqué. Pourquoi lui plutôt qu’un autre, c’est une énigme. Ses frères et sœurs étaient aux champs, à repiquer le riz ou à garder les troupeaux. Lui était à l’école à Phnom Penh. Il ne m’a jamais parlé de cette époque, mais il a dû se sentir heureux et bien seul, dans la capitale où les élèves riaient de ses pauvres vêtements.

Il est devenu instituteur, puis inspecteur d’école primaire, puis chef de cabinet au ministère, pendant près de dix ans. Il lisait beaucoup, des journaux, des revues, des livres. Sans parler des dossiers innombrables qu’on venait lui faire signer jusqu’à la maison, tard le soir. Il aimait discuter et réfléchir. Je sais qu’il aurait voulu progresser davantage dans la connaissance. Pas facile quand on a été un petit paysan de la frontière, et qu’on a soi-même neuf enfants.

L’enseignement était son combat. Il admirait Jules Ferry et l’école publique française. Il avait une idée fixe : pas de développement économique et social sans éducation. Il n’en démordait pas. Il était pur, jusqu’à la naïveté.

À sa façon, mon père avait réussi, mais la vie matérielle ne l’intéressait pas. Des tiges d’acier dépassaient des pilotis et du toit de la maison. Il s’en moquait, vivant pour son métier. Très vite, sous les Khmers rouges, il n’a plus eu le droit de porter de lunettes. Alors l’éducation n’a plus compté que dans la propagande. Alors ce monde n’a plus été le sien.

Rithy Panh, L’élimination, Grasset, p. 79.

Cécile Carret, 7 fév. 2012

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