Mémorial, un beau mot, pour une héraldique des souvenirs pieux : mais tous les souvenirs sont pieux, même les moins volontaires, et même les plus impies.
Renaud Camus, Le département de la Lozère, P.O.L., p. 18.
Je remarque que la douleur abrutit, abêtit, écrase.
Cesare Pavese, Le métier de vivre, Gallimard, p. 119.
La mort de l’œuvre a pu naître de la belle intention d’en finir avec la barrière entre l’art et la vie (d’où les happenings, body art, land art, etc.). Mais pour être généreuse, l’intention n’en est pas moins naïve, bornée. Car l’art n’est pas la vie, qui, elle, est imperceptible a priori : l’art est un moyen de percevoir la vie. Il faut une délimitation, un cadre — une forme — pour que notre attention soit disponible à la vie, et c’est cette délimitation qu’opèrent, et nous aident à opérer, ces choses qu’on appelait « œuvres ».
Jean-Philippe Domecq, Artistes sans art ?, 10/18, p. 229.
Dès que j’écris, c’est pour commencer à inventer. À peine est-ce sorti, voilà que je me mets de tous côtés à lui présenter des barreaux de réalité et, ce nouvel ensemble obtenu, à lui en présenter de nouveaux encore plus réels, et ainsi, de compromis en compromis j’arrive à ce que j’écris qui est de l’invention saisie à la gorge et à qui on n’a pas donné la belle existence qui lui semblait promise.
C’est pourtant dans cette honnêteté tardive mais rigoureuse et par degrés, et puis plus rigoureuse encore mais toujours plus tardive que je trouve une des joies et un des supplices d’écrire.
Henri Michaux, Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 291.
Et ainsi l’on oscille entre des états d’âme ou des réseaux de conviction qui sont autant de langages possibles, de citations, d’emprunts, d’essais de vocabulaire et de syntaxe. Quand je suis dans un langage déterminé, celui d’en face me paraît plus séduisant, plus vrai, c’est cela, plus lié à la réalité, de plus d’adhérence au réel : comme si les deux n’étaient pas que langages (sans prise sur la réalité vraie) ; ou bien comme si — mais cela revient au même — le réel n’était pas une invention du langage, une habitude de langage.
Renaud Camus, « jeudi 6 mai 1976 », Journal de « Travers » (1), Fayard, p. 244.
On a les heures du matin et celles de l’après-midi pour aller à sa guise sous le ciel tout proche, d’un bleu cru, acide. On est lavé par la lumière qui pleut des détails importuns, des tristesses tenaces et des menus tracas qu’on apporte de la vie d’en bas, des creux habités, comme les brindilles et les pailles, les bardanes qui restent aux vêtements des courses dans la campagne. Le monde est vaste, le couchant glorieux, la paix infinie et, soudain, quelque chose, quelqu’un est là, qui retient son souffle. On circulait librement parmi les vivants étais des arbres qui supportent le dôme du ciel, dans les chambres tendues de brocart qui sentent la résine. On s’est dit, comme Augustin, au soir de la fête étrange, dans le domaine mystérieux, qu’on était attendu, que cette demeure était la nôtre et l’on n’est plus, maintenant, qu’un intrus.
Pierre Bergounioux, Le chevron, Verdier, p. 52.
Le poisson rouge, à l’abri de deux fléaux majeurs : l’ennui et la rage de l’expression.
Jean-Pierre Georges, L’éphémère dure toujours, Tarabuste, p. 100.
Les crochets aux volets de fenêtres ne se contentaient plus de pendre, ils indiquaient des directions.
Peter Handke, Le recommencement, Gallimard, p. 44.
Il avait coutume de nommer ses vertus et ses défauts, Chambre des communes et Chambre des Lords et, très souvent, la première promulguait une loi que la seconde refusait d’adopter.
Georg Christoph Lichtenberg, Le miroir de l’âme, Corti, p. 135.
L’impalpable épiphanie du rien : cela seul m’aura requis ici-bas.
L’intellect tendu à l’extrême requiert le mode aphoristique. La brièveté est l’âme de l’esprit.
Roland Jaccard, « 7 novembre 1991 », Journal d'un homme perdu, Zulma, p. 227.