preuve

Plus haut, sur le plateau, là d’où l’on voit le clocher de Plieux, le moulin de Rochegude, les cyprès en bouquet de Saint-Créac, jaillis en île des Morts de l’étroit cimetière, au-dessus de toute la Gascogne, plus haut les allées sont plus blanches, à mesure qu’elles s’approchent du château : plus sableuses, et leurs courbes plus lentes, plus nobles, plus amoureuses d’une lumière plus heureuse. On sent qu’il doit y avoir du bonheur sans nous, dans les entours de ce lierre, de cette grille, de cette cour d’honneur et de ce grand espace à découvert. Par les belles après-midi d’octobre, et de novembre encore, tout est silence et soleil pâle, le long du jardin potager ; en ces parages règne un ordre sans preuve, et l’on se dit que la vie n’est pas plus vraie, pas plus drue, pas plus exacte en ses rendez-vous, dans les lieux de la terre où son cœur bat plus vite, apparemment, dans les ateliers d’artistes, au creux des métropoles de l’esprit, dans les salles de concert quand le chef vient de lever sa baguette, au bord des piscines des plus beaux êtres de ce monde.

Renaud Camus, Onze sites mineurs pour des promenades d’arrière-saison en Lomagne, P.O.L., pp. 19-20.

David Farreny, 23 mars 2002
nommeuse

Car notionneuse est capitalement la culture ; la notion est la cellule de sa texture ; notionneuse et nommeuse.

Jean Dubuffet, Asphyxiante culture, Minuit, p. 75.

David Farreny, 14 avr. 2002
illusion

Le soir avait pris possession de la cuisine, noyé les angles, dénaturé les choses familières au point qu’elles restaient insolites, étrangères, même lorsque je m’efforçais de reconstituer l’apparence qu’elles auraient eue si ce n’avait pas été la nuit, s’il ne s’était pas fait ce silence inquiet qui prélude à la dispersion. Ceux qui restaient encore, dans la grande salle, devaient percevoir comme la sournoise indifférence des choses auxquelles on demande, et de qui l’on reçoit ou croit recevoir un peu de la constance, de la patience qu’on leur voit face au temps. Comme si ce que nous appelions la maison rose, l’évidence immémoriale de la chair et du temps, le secret berceau de la création nous trahissait tous, dénonçait dans l’ombre l’illusion que c’était de croire que nous étions au monde.

Pierre Bergounioux, La maison rose, Gallimard, p. 100.

Élisabeth Mazeron, 15 sept. 2004
index

Swann aurait eu plaisir, sans doute, à s’asseoir un moment sur ce rocher qui n’est, en lui-même, qu’un émoi de gros cailloux sans conséquence. La vue embrasse, de là, un haut plateau en cirque sur la rive gauche de la Cure. Près du village du Vieux-Dun se trouvait, d’après Chemin faisant, un oppidum. Lacarrière relate qu’il a cherché en vain, dans ce village « si peu gaulois », un café, mais qu’en pénétrant, un peu plus au sud, dans le hameau de Mézauguichard, il y découvrit une « buvette » (ce mot lui plaît), La Petite Halte. Il ne trouva, à l’intérieur, que trois ou quatre vieillards qui parlaient de la mort. Chemin faisant n’a pas encore, sans doute, le statut de classique littéraire et pourtant j’ai eu un plaisir étrange à découvrir cette buvette perdue, parce qu’un livre en parlait. Je lis la France. Le monde est un index fautif à la bibliothèque universelle, un instrument cafouilleur de vérification chipoteuse.

Renaud Camus, « jeudi 24 avril 1980 », Journal d’un voyage en France, Hachette/P.O.L., p. 63.

David Farreny, 30 juil. 2005
don

Le don de soi est le secret pour traverser l’affolant.

Henri Michaux, « Les grandes épreuves de l’esprit et les innombrables petites », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 420.

David Farreny, 8 déc. 2005
malade

Il s’agit d’une maladie contractée à la naissance. C’est la naissance même qui l’a rendu malade. La naissance fut sa première maladie. C’est bien là le problème. Celui de parler à un vieux malade.

Charles Pennequin, Bibi, P.O.L., p. 74.

David Farreny, 28 déc. 2005
jardin

Je veux qu’on agisse, et qu’on allonge les offices de la vie tant qu’on peut, et que la mort me treuve plantant mes chous, mais nonchalant d’elle, et encore plus de mon jardin imparfait.

Michel de Montaigne, « Que philosopher c’est apprendre à mourir », Essais (I), P.U.F., p. 89.

David Farreny, 31 oct. 2009
important

Chaque fois que je la remarque chez un confrère, j’en suis éberluée : comment peut-on s’abolir au profit de son personnage ? Il y a de l’étourderie, je l’ai appris, à en méconnaître la réalité ; ce qu’on représente pour autrui, il faut l’assumer ; d’autre part, si on a des capacités, il est bon de les utiliser, il est légitime, le cas échéant, de s’en prévaloir ; la vérité d’un homme enveloppe son existence objective et son passé ; mais elle ne se réduit pas à ces pétrifications. Reniant en leur nom l’incessante nouveauté de la vie, l’important incarne à ses propres yeux l’Autorité contre laquelle tout jugement se brise ; aux questions toujours inédites qui se posent à lui, au lieu de chercher honnêtement des réponses, il les puise dans cet Évangile : son œuvre ; ou bien il se donne en exemple, tel qu’autrefois il fut ; par ces ressassements, quel que soit l’éclat de ses réussites, il prend du retard sur le monde, il devient un objet de musée. Cette sclérose ne va pas sans mauvaise foi ; si on s’accorde un peu de crédit, pourquoi se retrancher derrière son nom, sa réputation, ses hauts faits ? L’important ou bien feint de mépriser les gens ou prétend à leur vénération ; c’est qu’il n’ose pas les aborder sur un pied d’égalité ; il abdique sa liberté parce qu’il en redoute les dangers.

Simone de Beauvoir, La force des choses (I), Gallimard, pp. 167-168.

Élisabeth Mazeron, 19 déc. 2009
atours

Et puis, il faudrait surtout que la colère islamiste soit dirigée contre ce que l’Occident a de pire : la rapacité financière, la consommation effrénée, l’égoïsme du bien-être. Or, les commanditaires des pieux carnages du 11 septembre et leurs admirateurs n’ont aucunement le souci de remédier à la misère du monde ou de sauvegarder la planète : le réchauffement climatique est le cadet de leur souci. Ils haïssent l’Occident non pour ce qu’il a de haïssable ou de navrant, mais pour ce qu’il a d’aimable et même pour ce qu’il a de meilleur : la civilisation des hommes par les femmes et le lien avec Israël.

C’est le destin claquemuré qu’ils font subir aux femmes, le mépris où ils les tiennent et le désert masculin de leur vie qui rend fous les fous de Dieu : fous de violence, fous de hargne et de ressentiment contre le commerce européen entre les sexes, contre l’égalité, contre la séduction, contre la conversation galante ; fous, enfin, du désir frénétique de quitter la terre pour jouir de l’éternité dans les jardins du paradis où les attendent et les appellent des jeunes filles « parées de leurs plus beaux atours ».

Alain Finkielkraut, « Au pays du progressisme déconcertant », L’imparfait du présent, Gallimard, p. 233.

Élisabeth Mazeron, 9 janv. 2010
dehors

C’est cette nuit-là que je me suis dit que si je m’éloignais encore plus, alors je nous verrais du dehors, où résidait notre meilleure part, et même si ce que je découvrais de ce point de vue, se ramenait à rien, du moins posséderais-je une certitude.

Le moment était venu où je pouvais me tenir quitte des réclamations du passé lorsqu’il est resté en suspens, des vœux inconsidérés qu’ont faits les disparus. J’avais un an de plus, ou de moins, s’agissant de la vie mienne qui attendait plus bas que je la rejoigne.

Pierre Bergounioux, Le premier mot, Gallimard, p. 50.

Élisabeth Mazeron, 11 mai 2010
tare

Je vois sur ma table la photographie de l’être que j’étais à ce lever de ma vie d’homme, et, sous la toison de boucles brunes, jadis orgueil de ma mère, mais déjà bien assagies, je distingue un profil assez fin. Un front égal, un œil pâle, bien placé, mais sans éclat sous des paupières maladives, un nez court et busqué, une lèvre supérieure proéminente, où pointent les prémices d’une moustache retardataire, une bouche aux lèvres épaisses, volontiers entrouvertes sur des dents assez belles, mais écartées, et, subitement, la fuite d’un tout petit menton raté, d’un mauvais petit menton de hasard, qui entache l’ensemble et le tare de sa défaillance.

Félix Vallotton, La vie meurtrière, Phébus, p. 41.

David Farreny, 13 juil. 2010
but

Mon but ? Il m’atteindra tôt ou tard.

Jean-Luc Sarré, Ainsi les jours, Le Bruit du temps, p. 46.

David Farreny, 8 oct. 2014
échelle

Même à l’échelle d’une vie, on tombe de haut.

Éric Chevillard, « jeudi 12 mars 2020 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 17 mars 2024
avant-goût

Je ne saurais dire pourquoi l’idéal d’une vie heureuse me paraît aussi crédible et aussi rassurant que le slogan d’une « guerre propre ». Comme beaucoup j’ai le sentiment que ce monde n’est pas fait pour moi ou que je ne suis pas fait pour ce monde. Je me tourne et me retourne dans l’existence tel un insomniaque dans son lit, en proie à l’énervement et à l’hébétude. Après des moments très brefs d’euphorie que m’apportent un flirt, une étreinte, une conversation entre amis, une page de lecture ou d’écriture, que sais-je encore, je passe par de longues périodes d’abattement, encombré d’un moi bouffi et inexistant. Quand je ne regrette pas mes rendez-vous manqués avec les occasions de la vie, j’anticipe le deuil qu’il me faudra faire de mes plaisirs. De même que la fièvre altère l’arôme d’un bon vin, ma mélancolie donne un avant-goût de pourriture à ce qu’il m’est donné de savourer, et c’est bien moins l’étonnement devant ce qui arrive qui me pousse à « philosopher », que le blasement – une sorte de lancinant chagrin d’amour sans objet.

Frédéric Schiffter, Sur le blabla et le chichi des philosophes, P.U.F., p. 18.

David Farreny, 14 mai 2024

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