Nous avions toujours su qu’il ne s’agirait que d’une bande d’herbe mouillée longeant une route de campagne, et que ce serait à la fin du voyage ce doigt tendu avec obstination vers les graminées fauchées dont la verdeur elle-même nous a fait mal. Déjà, rien ne s’était produit ici, et sans le secours de ce doigt d’un paysan qui nous présentait le tournant, nous ne saurions pas où il est mort. Nous dirions qu’il est mort à l’entrée de Meursac, tout en sachant qu’on ne meurt pas à l’entrée d’un village. On meurt dans la surface précise de sa taille exacte, et ce n’est jamais l’entrée d’un village.
Bernard Lamarche-Vadel, Vétérinaires, Gallimard, p. 80.
Ainsi sait faire la mescaline (si toutefois vous ne lui êtes pas obtus et résistant) vous projetant loin du fini, qui partout se découd, se montre pour ce qu’il est : une oasis créée autour de votre corps et de son monde, à force de travail, de volonté, de santé, de volupté, une hernie de l’infini.
La mescaline refuse l’apaisement du fini que l’homme savant en l’art des bornes sait si bien trouver.
La mescaline, son mouvement tout de suite hors des bornes.
Infinivertie, elle détranquillise.
Et c’est atroce.
Henri Michaux, « L’infini turbulent », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 813.
La neige sur les toits millier de pages
une bande d’étourneaux les notes de Satie
une à une dans l’hiver comme un pincement
les années qui s’ébattent s’emboutissent
déferlement d’inclassables saisons. Cette
promenade toujours refusée par l’Amour menu !
Le coteau n’était-il pas de neige lui aussi
cela devient historique mais vivrais-je cent ans
que rien de plus ne sortirait de ce petit
cadavre. Enfin Jeanne souvenez-vous, Chinon ?
Jean-Pierre Georges, Dizains disette, Le Dé bleu, p. 76.
Il sera le premier à contrôler l’électricité en profitant de la puissance des fleuves, en canalisant cette énergie fourvoyée qui ne servait que la migration libidinale des saumons ; il va la dompter, la domestiquer, non pour aveugler de lumière le théâtre du drame comme nous l’avons fait, mais pour sublimer les choses mêmes, pour en révéler l’éclat intérieur. Une joie inconnue va inonder la Terre. Miroitant corbeau. Crapaud radieux. Tout rayonne. Le terne caillou était donc une pépite.
Éric Chevillard, Dino Egger, Minuit, p. 47.
Petit exercice de sociabilisation. Aborder des inconnus dans la rue par ces mots – Allez, on fait connaissance ?
Éric Chevillard, « jeudi 26 septembre 2013 », L’autofictif. 🔗
Je crois que j’approche du plus aigu, en ce qui concerne le noyau vibrant, le cœur du sujet du roman. Dieu existe encore aujourd’hui, c’est l’enfant. Le péché existe encore, c’est ce qui concerne toutes les occasions de se sentir coupable envers un enfant. L’athéisme est viable, mais extrêmement difficile : moi.
Philippe Muray, « 12 avril 1985 », Ultima necat (I), Les Belles Lettres, p. 547.
Tout acte de courage est le fait d’un déséquilibré. Les bêtes, normales par définition, sont toujours lâches, sauf quand elles se savent plus fortes, ce qui est la lâcheté même.
Emil Cioran, « Écartèlement », Œuvres, Gallimard, p. 955.
Comme si le précieux secret enfoui dans l’obscur pouvait être autre chose qu’une lampe éteinte.
Éric Chevillard, « mardi 28 mars 2023 », L’autofictif. 🔗
Ce qui coule, avec les larmes, ce sont les nerfs dissous par la pitié de soi.
Jérôme Vallet, « Il se dit que si la porte était fermée, il aurait plus chaud », Georges de la Fuly. 🔗