polyèdres

C’est son défaut d’accommodation à cette constante double valence de toutes notions et c’est son entêtement à éliminer les envers qui mettent la pensée de l’occidental en même situation qu’une géométrie plane en regard des polyèdres.

Jean Dubuffet, Asphyxiante culture, Minuit, p. 45.

David Farreny, 14 avr. 2002
chose

L’efficacité thérapeutique du pont naissait de son application directe à l’inimitié forte, concentrée de l’endroit.

Il ne mesurait guère plus de six ou sept mètres. À l’extrémité mobile, pour la dilatation, sous la plaque de garde-grève, on devinait le profil en double té des poutres principales. Elles reposaient sur une platine de fer scellée, elle-même, sur le sommier en pierre de taille. Le platelage en tôle striée masquait les entretoises. Mais il était facile de descendre le massif de la culée et on pouvait les voir par-dessous, avec leur contreventement en croix de Saint-André. Les traverses étaient agrafées sur les longerons. Elles étaient renforcées par des cornières de butée qui servaient à lutter, m’expliquerait plus tard le chef de gare, contre l’arrachement produit par le freinage des convois. Le tout était enduit d’une épaisse peinture grise, qui avait dégouliné sur les flancs des poutres et maculait la pierre très tenace — du granite, sans doute — à joints creux, du sommier. Voilà pour la chose.

Pierre Bergounioux, Simples, magistraux et autres antidotes, Verdier, pp. 30-31.

David Farreny, 9 août 2005
couler

Le spectacle des passants me fait douter que la vie n’est qu’urgence, tension permanente de toutes les forces, fatigues, désespoirs. J’aimerais aller d’un pas tranquille par les rues, l’esprit en repos. Mais il y a trop longtemps que j’ai perdu ce droit et presque tous les autres. C’est à la table de travail, à peiner, interminablement, que je trouve une sorte de paix. J’aimerais comprendre un peu ce qui s’est passé avant de couler à pic.

Pierre Bergounioux, « mercredi 20 avril 1983 », Carnet de notes (1980-1990), Verdier, p. 200.

Élisabeth Mazeron, 28 sept. 2008
rendre

S’éloigner d’elle dans l’espace est surtout un moyen de s’éloigner d’elle dans le temps, dans mon temps à moi, et il s’agit de faire rendre à cet espace un maximum de temps.

Valery Larbaud, « Mon plus secret conseil... », Œuvres, Gallimard, p. 664.

David Farreny, 2 nov. 2009
carabes

Quant aux insectes, leurs formes, couleurs, contact, mouvements sont ceux de petits jouets très perfectionnés, amoureusement peints, de menus automates. Lorsqu’on les tire, l’hiver, des troncs d’arbres abattus, plus ou moins vermoulus où ils ont cherché refuge, ils sont engourdis au point de rester sans mouvement lorsque la lumière, subitement, les atteint. On n’a pas tant l’impression de traquer des êtres vivants, des carabes, surtout, que de voler des gemmes, des pièces d’or dans les coffres fracturés du bois.

Pierre Bergounioux, Chasseur à la manque, Gallimard, p. 39.

Cécile Carret, 14 avr. 2010
royal

La neige a de grands pieds, le petit tailleur ne peut faire autrement que de marcher dessus, mais il ne pèse rien et, parvenu au sommet de la montagne, il continue quelques temps encore sur sa lancée, dans l’azur, voilà un prodige que les frères Grimm se sont bien gardés de rapporter, soucieux seulement des ruses et des astuces de leur personnage et lui déniant les pouvoirs merveilleux ou magiques dont ils ont doté avec générosité les héros des autres contes, on se demande pourquoi ce traitement différent tandis que le petit tailleur sous nos yeux s’élève bel et bien dans les airs simplement en agitant les jambes et en secouant les épaules pour forcer l’aigle royal à lâcher prise, lequel en effet finit par le laisser choir dans un buisson qui amortit sa chute.

Éric Chevillard, Le vaillant petit tailleur, Minuit, p. 52.

Cécile Carret, 25 avr. 2011
calvinisme

« C’est un homme comme vous et moi ! » m’a-t-il assuré avant de se rendre compte de la bêtise qu’il proférait, et puis me regardant en souriant, se remettant de lui-même à sa place : celle d’un chauffeur, quoiqu’il fût surtout instituteur et travaillât comme chauffeur, l’été, pour arrondir ses fins de mois.

Il m’a parlé plus librement du baryton, le disant généreux, drôle, séduisant, pourvu même d’une copine.

« Une copine ? » ai-je répété, aussi agacé par ce mot que par l’adjectif « sympa », et inquiet de savoir quelle femme accepterait de coucher avec un gnome, sinon, peut-être, une prostituée ou une actrice de films pornographiques spécialisés.

« Oui, une femme qui le suit partout.

— Une groupie ?

— Non, une femme normale », a-t-il fini par dire, sans se rendre compte de l’ambiguïté de l’adjectif normal, souriant doucement comme on le fait lorsqu’on évoque un maître qui témoigne de la bonté, sans entrer dans les détails auxquels nous pensions tous deux, sur cette terre calviniste, songeant, moi, qu’il ne pouvait faire l’amour que d’une seule manière, allongé à la façon d’une divinité priapique, et que la femme que j’avais vue avec lui devait avoir un rôle avant tout hygiénique, consolateur, maternel.

« En tout cas, il n’est pas laid, ai-je murmuré.

— Et pourquoi le serait-il ?

— C’est quand même un gnome. Une espèce de monstre. »

Pour un peu, le chauffeur m’aurait jeté par la portière ; mais ce vertueux, cet indigné, qui rêvait de venger son ami d’un soir, était bridé par son calvinisme.

Richard Millet, La fiancée libanaise, Gallimard, p. 143.

David Farreny, 27 sept. 2012
équitable

— En combien de temps terminez-vous un cercueil ?

Sur un ton professionnel :

— Le modèle en sapin est cloué en quatre heures. Quelle rapidité pour un appartement éternel !

— Et un berceau, un berceau à bascule ?

— En un temps identique, à peu près. C’est équitable.

Dezsö Kosztolányi, Portraits, La Baconnière, p. 68.

Cécile Carret, 12 juin 2013
vis-à-vis

Volupté de voir ensuite à côté de soi dans la lumière changeante d’un cinéma le chatoiement du profil, la bouche, la joue, l’œil. Le summum était le léger corps à corps tel qu’il se produisait parfois de lui-même ; un simple attouchement fortuit eût alors fait l’effet d’une transgression. N’avais-je dès lors pas tout de même une amie ? La pensée d’une femme ne m’était pas connue comme concupiscence ou désir, mais seulement comme l’image idéale du beau vis-à-vis – oui, mon vis-à-vis devait être beau ! – à qui, enfin, je pourrais raconter. Raconter quoi ? Simplement raconter.

Peter Handke, Le recommencement, Gallimard, p. 17.

Cécile Carret, 3 août 2013
goût

Séparées à la naissance, ces jumelles se retrouvèrent à l’âge de 40 ans grâce à un dossier conservé par les services sociaux. Et là, grande émotion, si elles ne se ressemblaient en rien au physique, elles se découvrirent avec stupeur un goût commun pour la musique, les voyages et le cinéma !

Éric Chevillard, « vendredi 29 avril 2016 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 29 avr. 2016
après-demain

Je ne sais pas ce que me réserve demain ; mais pour après-demain, il n’y a vraiment aucun suspense.

Éric Chevillard, « lundi 23 mai 2022 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 17 mars 2024
covalentes

Drôle de destin, que d’être fait d’atomes s’enchaînant les uns aux autres par des liaisons covalentes ! On est comme qui dirait un « composé organique ». Comme tel, on n’a pas d’avenir. On se sent, tel le dronte, promis à l’extinction. Il aurait mieux valu être une pierre dure rotacée, on n’aurait pas eu tous ces soucis.

Olivier Pivert, « Nostalgie de l'inorganique », Encyclopédie du Rien. 🔗

David Farreny, 4 mai 2024

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