lieux

J’ai peur que le livre de Jourda ne me donne une insomnie, comme tous les écrits qui évoquent précisément des lieux quelconques.

Renaud Camus, « lundi 5 mai 1980 », Journal d’un voyage en France, Hachette/P.O.L., p. 157.

David Farreny, 30 juil. 2005
étonnement

Nous portons toute la misère du monde

les pires injustices toutes les

atrocités sont en nous

elles sont au monde parce qu’elles

sont en nous et je ne comprends

pas que cela constitue

un sujet d’étonnement

Jean-Pierre Georges, Je m’ennuie sur terre, Le Dé bleu, p. 57.

Élisabeth Mazeron, 23 juin 2006
magot

Si c’était la solitude que j’étais venu chercher ici, j’avais bien choisi mon Île. À mesure que je perdais pied, j’avais appris à l’aménager en astiquant ma mémoire. J’avais dans la tête assez de lieux, d’instants, de visages pour me tenir compagnie, meubler le miroir de la mer et m’alléger par leur présence fictive du poids de la journée. Cette nuit-là, je m’aperçus avec une panique indicible que mon cinéma ne fonctionnait plus. Presque personne au rendez-vous, ou alors des ombres floues, écornées, plaintives. Les voix et les odeurs s’étaient fait la paire. Quelque chose au fil de la journée les avait mises à sac pendant que je m’échinais. Mon magot s’évaporait en douce. Ma seule fortune décampait et derrière cette débandade, je voyais venir le moment où il ne resterait rien que des peurs, plus même de vrai chagrin. J’avais beau tisonner quelques anciennes défaites, ça ne bougeait plus. C’est sans doute cet appétit de chagrin qui fait la jeunesse parce que tout d’un coup je me sentais bien vieux et perdu dans l’énorme beauté de cette plage, pauvre petit lettreux baisé par les Tropiques.

Nicolas Bouvier, Le poisson-scorpion, Payot, pp. 123-124.

Élisabeth Mazeron, 23 avr. 2008
drogué

La drogue est bonne. Drogué sait le lien. Drogué sait la bonne est drogue. Il l’aime. La drogue est bonne. La drogue donne. Drogué sait, va vers la bonne drogue. La drogue bonne donne du bonheur. Drogué a vu le lien. La drogue est bonne à Drogué. Drogué sait aller au bon. La vie va vers le bon. L’aime. Connaît le lien entre Drogué et le bon de la bonne drogue. Drogué donne de la bonne drogue. Drogué va vers la bonne drogue. La drogue sait donner. Drogué a un lien avec la drogue. La drogue donne. Drogué connaît. La drogue est bonne à donner à Drogué. La drogue est bonne, la drogue est vraiment bonne, est un bonheur.

Christophe Tarkos, « Oui », Écrits poétiques, P.O.L., p. 220.

David Farreny, 21 mai 2009
mémoire

– J’arrive ! hurla-t-il.

C’étaient ces voix exigeantes, toujours les mêmes, dont les sonorités lui perçaient la mémoire jusqu’aux couches les plus primitives, jusqu’à la strate première de sa naissance et même avant, jusqu’à la période du dortoir, quand ses grands-mères manipulaient sa forme embryonnaire et feulaient au-dessus de lui pour lui transmettre leur vision du monde.

Il écarta le rideau, il sortit. Il se tint sur le seuil pendant cinq minutes, massif comme un yack.

— J’écoutais un quatuor de Baldakchan, dit-il.

Antoine Volodine, Des anges mineurs, Seuil, p. 178.

Cécile Carret, 3 oct. 2010
mènent

Ses escaliers crèvent les plafonds ; puis j’enrage de manquer d’imagination pour deviner où ils mènent et visiter cette étoile.

Éric Chevillard, Dino Egger, Minuit, p. 104.

Cécile Carret, 18 fév. 2011
travaille

Car c’est là l’essentiel, Rossmann : ne pas déranger Brunelda. Elle entend tout, c’est sans doute le chant qui lui a ainsi aiguisé les oreilles. Tu es, par exemple, en train de rouler le baril d’eau-de-vie qui est derrière les armoires pour le sortir de l’appartement, et, naturellement, tu fais un peu de bruit d’abord parce qu’il est lourd et ensuite parce qu’il y a là toutes sortes de choses qui t’empêchent de le rouler d’un seul coup jusqu’à la porte ; pendant ce temps, disons que Brunelda est couchée sur le canapé et qu’elle travaille à attraper des mouches, car les mouches la gênent affreusement ; tu te figures donc qu’elle ne s’inquiète pas de toi, et tu continues à rouler ton tonneau, elle reste couchée tranquillement ; mais au moment où tu ne t’y attends plus, et où tu fais le moins de bruit, elle s’assied tout d’un coup et frappe le canapé jusqu’à ce qu’on ne se voie plus à force de poussière, — je n’ai pas battu le canapé depuis que nous sommes ici, je ne peux pas puisqu’elle est toujours couchée dessus —, et la voilà qui se met à pousser des cris horribles, des cris d’homme des heures durant. Les voisins lui ont bien défendu de chanter, mais personne ne saurait l’empêcher de crier, il faut qu’elle crie ; d’ailleurs maintenant, c’est devenu moins fréquent car, avec Delamarche, nous nous surveillons sévèrement. Et puis, ces hurlements lui faisaient beaucoup de mal. Une fois, elle s’est évanouie et, comme Delamarche était justement là, j’ai dû appeler l’étudiant d’à côté qui l’a arrosée avec le liquide d’une grande bouteille ; il a parfaitement réussi, mais cette drogue avait une odeur insupportable qu’on sent encore en tournant le nez vers le canapé. Cet étudiant est certainement notre ennemi, comme tout le monde dans la maison ; aussi fais-y bien attention et ne te laisse aller à parler à personne.

— Mais, voyons, Robinson, dit Karl, voilà un service bien pénible ! Le joli poste pour lequel tu m’as recommandé là !

Franz Kafka, « L’oublié », Œuvres complètes (1), Gallimard, pp. 197-198.

David Farreny, 17 mars 2011
fonctionnaires

Le Premier sous-secrétaire d’État du puits de la montagne, les frères des deux sous-secrétaires, et d’autres seigneurs, étalant leurs vêtements noirs, étaient assis côte à côte, depuis le pied du mur qui entoure le Palais des glycines jusque devant le Palais de la gloire ascendante. Le Maire du palais, très élégant, la taille élancée, s’arrêta un moment, pour ajuster le sabre qu’il portait à la ceinture, avant de passer devant eux. Cependant, le Chef des fonctionnaires attachés à la Maison de l’Impératrice était debout devant le Palais pur et frais ; je l’observais et je songeais que, sans doute, il ne s’assiérait point, quand, soudainement, le Maire du palais ayant fait quelques pas, son frère s’assit. « Quelle conduite merveilleuse, pensais-je encore, aura donc tenue, autrefois, le Maire du palais, pour mériter d’avoir un tel prestige en ce monde ? »

Sei Shônagon, Notes de chevet, Gallimard, p. 171.

David Farreny, 12 avr. 2011
quel

J’aime les animaux, je suis connu pour cela, je serai vétérinaire quand je serai grand. Un jour, j’ai demandé à ma mère si les animaux aussi avaient un cœur qui battait comme le nôtre :

— Mais bien sûr. D’ailleurs, tu sais, nous sommes des animaux, nous aussi.

— On est des animaux ?

— Mais oui !

— On est quel animal ?

Éric Chevillard, Le vaillant petit tailleur, Minuit, p. 35.

Cécile Carret, 25 avr. 2011
Elseneur

Ainsi, c’était en vain que les châteaux fameux s’échelonnaient sur la route, que l’histoire et la poésie s’associaient pour me retenir ; je suis partie ! J’ai opposé à toutes ces séductions la brutale vigueur de mes chevaux ; j’ai couru avec la rapidité barbare d’un commis voyageur en retard, d’un banqueroutier poursuivi ou d’un farfadet en mission ; enfin, j’ai touché la frontière : j’étais à Elseneur !

Léonie d'Aunet, « Lettre II. Christiania », Voyage d’une femme au Spitzberg, Hachette, p. 57.

David Farreny, 8 sept. 2011
spectateur

Le pessimiste est un spectateur. L’optimiste, un spectacle.

Jaime Fernández.

David Farreny, 26 fév. 2024

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