aboie

Désir qui aboie dans le noir est la forme multiforme de cet être

Henri Michaux, « Face aux verrous », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 437.

David Farreny, 22 juin 2002
balle

Dans les cœurs fervents refermés sur eux-mêmes, de brèves expériences dévorent notre humain tissu comme un feu qui couve en secret dans la cale d’un navire consume le coton dans sa balle.

Herman Melville, Billy Budd, Gallimard, p. 145.

David Farreny, 4 déc. 2003
mûr

Bien que je ne voie pas encore le terme de ma vie, un sentiment secret m’assure pourtant que mon heure est proche. Je suis mûr pour la mort, et il me paraît trop absurde, alors que je suis mort spirituellement, et que la fable de l’existence est achevée pour moi, de devoir durer encore quarante ou cinquante ans, comme m’en menace la nature. Cette seule idée me fait frémir. Mais, comme il en est de tous ces maux qui dépassent l’imagination, cette perspective me semble un songe et une illusion qui ne se vérifieront jamais.

Giacomo Leopardi, « Dialogue de Tristan et d’un ami », Petites œuvres morales, Allia, p. 241.

David Farreny, 9 nov. 2005
non-accomplissement

J’appelais aussi : « Oh ! toi, qui m’es tellement et pour qui je ne suis presque plus rien peut-être, mirage toujours au milieu de mon horizon, visage si beau toujours à distance, combien mon être est dans la misère quand je songe à notre amour. Oh ! non-accomplissement. Je ne sais plus chercher mon bien. Je ne sais plus fuir mon mal. Les terres labourées sont derrière moi. Oh ! comme la pensée de cela est difficile à porter. »

Henri Michaux, « Vents et poussières », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 172.

David Farreny, 9 nov. 2005
coalescence

[…] un coupe-poils à pile sans fil en mousse absorbante avec sa ventouse, une caisse à outils pour tout casser comme sans les outils, un microfournil à ondes fulgurantes, une console en kit à monter sans peine en cinquante semaines pour te consoler de la vacuité des emplois du temps, un, deux, trois, ho ! hisse ! commande aux Trois Suisses, chasse tes doutes en écrivant à la Redoute, ouvre le courrier personnalisé de monsieur Leclerc qui t’envoie sympa la photo couleur de son rôti d’porc, arbore-toi, réveille-toi le teint, décore-toi le corps avec des machins succincts qui font super bien, existe, montre que tu résistes, sois le vrai groupie de toi le pianiste, le gai guitariste, le batteriste, mais en moins jazz triste, le Francis Lopez de la supérette où t’achètes ton steak en barquettes, ah ! maman, maman, les docteurs, ils m’ont dit, je devrais pas te le dire à toi, pourquoi j’ai des absences côté coalescence avec l’existence, effet de faille, tas de paille de peu de pathie, atonie, bout de chosité sans nervosité, préjudice de sensibilité, ralenti du libidiné, recroquevillé dans le trou de soi, que de dégâts, que de dégâts […]

Christian Prigent, Une phrase pour ma mère, P.O.L..

David Farreny, 24 fév. 2007
trait

Le visage vert pâle, la bouche un lacet noir lâchement noué – tout au moins ce qu’on voyait le matin vers cinq heures au clair de lune. Je n’avais pas trouvé le sommeil, une fois de plus, et j’étais allé à la fenêtre : d’équerre, dans la sienne en saillie, se tenait la voisine, une veuve de guerre ; nous n’avions jamais parlé ensemble.

(Ingerbartels, Ingerbartels, Ingerbartels, l’horloge derrière moi prononça le nom plusieurs fois puis rit comme une baleine : ho ho ho ! : donc 4 heures 45. Auto noire sur route noire ; ses pattes antérieures pelletaient sans répit. Une motocyclette invisible pétilla soudainement et tira à sa suite les perles de sons rapetissant progressivement.)

J’ouvris ma fenêtre ; sa main tripota de même devant elle, gestes mesurés ; chacun se glissa dans son ouverture : était-elle aussi malade du cœur ? (J’avais emménagé depuis peu ; mais en ces occasions je suis très direct – et pourquoi pas ? La vie est si brève !)

« Nous sommes deux à ne pas pouvoir dormir » constatai-je d’une voix pyjama (raffinée, la grammaire : Nous ! Deux : si cela n’est pas suggestif ? !). Cependant elle était forte aussi ; elle inclina brièvement la tête, puis reporta son attention sur la lune élimée qui s’était fichée au-dessus du vieux cimetière. Par malheur, il y avait aussi là-bas à l’est quelques nuages du matin guère plus épais qu’un trait quoique trop ondulatoires à mon goût ; les droits sont plus propres). « Ce nuage me plaît ! » décida-t-elle d’un maxillaire hardi.

Arno Schmidt, « Voisine, mort et solidus », Histoires, Tristram, p. 49.

Cécile Carret, 17 nov. 2009
oeil

L’œil creux, la lèvre mince, violacée, trois dents grises.

Éric Chevillard, Le désordre azerty, Minuit, p. 110.

Cécile Carret, 24 fév. 2014
aubergiste

Les gens se trompent quand ils croient qu’ils mettent au monde des enfants. Ils accouchent d’un aubergiste ou d’un criminel de guerre suant, affreux, avec du ventre, c’est celui-là qu’ils font naître, pas des enfants. Alors les gens disent qu’ils vont avoir un petit poupon, mais en réalité ils ont un octogénaire qui pisse de l’eau partout, qui pue et qui est aveugle et qui boite et que la goutte empêche de bouger, c’est celui-là qu’ils mettent au monde. Mais celui-là, ils ne le voient pas, afin que la nature puisse se perpétuer et que le même merdier se poursuive à l’infini.

Thomas Bernhard.

David Farreny, 9 déc. 2014
déplaisent

Je ne peux écrire qu’en touchant à des choses dangereuses, inflammables, et qui déplaisent. Je ne peux écrire qu’en déplaisant à une majorité de gens, puisqu’une majorité de gens me déplaisent.

Philippe Muray, « 23 novembre 1985 », Ultima necat (I), Les Belles Lettres, p. 569.

David Farreny, 3 juin 2015
abolie

Sitôt apparue abolie, la jolie passante est une étoile filante, la preuve en est encore, mon pauvre ami, que ton vœu ne se réalisera pas.

Éric Chevillard, « mercredi 13 septembre 2023 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 18 mars 2024

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