rien

J’étais bien content. Ce furent des après-midi merveilleuses. Rien n’arrivait.

Renaud Camus, Onze sites mineurs pour des promenades d’arrière-saison en Lomagne, P.O.L., p. 190.

David Farreny, 23 mars 2002
aboie

Désir qui aboie dans le noir est la forme multiforme de cet être

Henri Michaux, « Face aux verrous », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 437.

David Farreny, 22 juin 2002
bâtiment

À mesure que vous approchez de la vérité, votre solitude augmente. Le bâtiment est splendide, mais désert. Vous marchez dans des salles vides, qui vous renvoient l’écho de vos pas. L’atmosphère est limpide et invariable ; les objets semblent statufiés. Parfois vous vous mettez à pleurer, tant la netteté de la vision est cruelle. Vous aimeriez retourner en arrière, dans les brumes de l’inconnaissance ; mais au fond vous savez qu’il est déjà trop tard.

Michel Houellebecq, Rester vivant, La Différence, p. 44.

David Farreny, 18 sept. 2006
entière

Tout avait vieilli en même temps qu’elle : tout mourrait avec elle ; et ce qui lui survivrait n’était qu’un monde décoloré, aussi imprécis que celui qu’elle n’avait pas connu. Elle ne croyait pas à une résurrection après la mort : et pas davantage à celle du passé dans le souvenir. Ce qui était disparu l’était sans retour, son image pâlissait, puis s’éteignait à son tour définitivement, au point qu’on en arrivait même à douter que cela eût existé vraiment. Elle était tout entière au temps qui passe, et n’y pensait jamais.

Danièle Sallenave, Un printemps froid, P.O.L., p. 249.

Élisabeth Mazeron, 26 fév. 2007
comme

Et à plat, toujours regagnant le plat, elle luisait comme une petite flaque. Mandex la prit et l’étala sur sa main à hauteur de leur visage et, tentant de l’y retenir mais sans l’attraper, il la vit glisser entre ses doigts, fuyant de tous côtés, doucement, toujours sans offenser, quittant les hauteurs comme de l’eau, du sable. Bien par terre, je ne suis bien que par terre. Sa tranquillité les apaisa comme une suprématie facile. Parce qu’ils ignoraient son usage, ils lui prêtèrent une profondeur psychologique, et pourquoi pas, un exemple à suivre.

Alain Sevestre, Les tristes, Gallimard, p. 111.

Cécile Carret, 10 déc. 2009
scepticisme

À la périphérie de nos villes, on propose énormément de chaussures bon marché provenant de pays à bas revenus, des produits en matière plastique mal conçus dans lesquels les pieds ne tardent pas à se tordre de douleur. Les démunis ne connaissent que les chaussures qui font mal. Ils sont persuadés qu’une chaussure ne peut que serrer. Ce qui ne les empêche pas d’être toujours en quête de nouveaux modèles dont ils attendent qu’ils se distinguent si possible des chaussures qu’ils portent en ce moment, parce que celles-ci serrent encore plus que toutes celles qu’ils ont achetées auparavant. Ce sont des êtres éreintés et des êtres chargés de fardeaux qui viennent faire les magasins de chaussures ici dans l’espoir d’être délivrés de leurs douleurs. Mais ils ne sont pas exaucés. Au contraire, ils sont bafoués. On leur refile d’autres instruments de torture pires encore. Ils passent donc leurs journées à boiter et abandonnent souvent la marche bien avant leur mort afin de pouvoir se déplacer pour le restant de leurs jours dans le fauteuil roulant électrique que l’assurance dépendance met à leur disposition. C’est émouvant de regarder comment ils passent et repassent en boitant, désespérés, devant les offres, tous avec l’ardent désir d’être soulagés enfin de leurs souffrances. De voir comme ils achètent ensuite quelque chose à un prix pour lequel on obtient tout juste une paire de lacets dans une boutique sérieuse du sud-ouest de la ville. Et comme ils enfilent alors ces chaussures factices et quittent la boutique avec sur le visage l’expression d’un soulagement passager, mais aussi d’un immense scepticisme.

Matthias Zschokke, Maurice à la poule, Zoé, pp. 167-168.

David Farreny, 11 mars 2010
alevins

Le représentant, un faux jovial à beaux traits de retable. S’excuse d’avance : « Y’aura peu de monde, c’est Pâques, la rentrée des classes. » Je ne lui en demandais pas tant. Malgré quoi les gosses remplissent la salle. Garçons de la Sainte-Trinité, filles de l’Annonciation, et tous les branleurs de la communale. Un parterre d’alevins frétillants qui ne tiennent pas en place.

Nicolas Bouvier, Il faudra repartir. Voyages inédits, Payot & Rivages, p. 58.

Cécile Carret, 18 juin 2012
zone

La mystérieuse zone du plafond qu’on désigne en levant le bras pour enfiler son manteau.

Petr Král, Cahiers de Paris, Flammarion, p. 106.

David Farreny, 29 mars 2013
inverse

Cracovie, où les cuisses miraculeuses s’ouvrent !

Cracovie, c’est l’espionne au poteau d’exécution !

Mais les soldats ne tireront pas.

Sa furie a désemparé la grossière mécanique du temps.

Les hommes recommenceront la vie en sens inverse,

L’officier redeviendra sperme au delta putride de sa mère.

Gilbert Lely, « Ma civilisation », Poésies complètes (1), Mercure de France, p. 63.

Guillaume Colnot, 7 déc. 2013
revêche

Cet après-midi-là où je vis se dérouler le début de son histoire, devant les deux autres, il retomba dans ses pensées et se mit tout à coup à dire à la belle pharmacienne : « Pourquoi êtes-vous tellement bronzée ? Chez les anciens Égyptiens, seuls les hommes étaient bronzés, les femmes, elles, en revanche, se devaient d’être blanc albâtre ou blanc blême. D’ailleurs pourquoi la plupart des pharmaciens se baladent-ils de nos jours arborant constamment ce bronzage et surtout les pharmaciennes ?

— Mais vous êtes bronzé vous-même et basané comme un fellah.

— Chez moi c’est naturel, et cela vient aussi de passer du soleil à l’ombre plutôt que de rester comme vous enduites de crème allongées dans les cabines de bronzage sud-azur, où on vous affine le dosage des rayons selon le blanc de la blouse.

— Vous voilà bien revêche aujourd’hui ! Et vous vouliez naguère pourtant ériger une pyramide en mon honneur ! »

Peter Handke, Par une nuit obscure je sortis de ma maison tranquille, Gallimard, p. 44.

David Farreny, 19 fév. 2014
céder

On ne connaît qu’une méthode pour se soulager de la hantise amoureuse : y céder.

Éric Chevillard, Le désordre azerty, Minuit, p. 184.

Cécile Carret, 9 mars 2014
glorifiantes

Les vacanciers se sont installés dans de petites zones pavillonnaires, molles et saugrenues. Si l’aboiement d’un chien est ordinaire (je ne me demande plus pour qui le chien hurle à la mort), un cri de coq constituerait une incongruité à peine moindre qu’un meuglement. Aux ébrouements animaux se sont substitués les crépitements mécaniques : crissements des freins, dérapages des roues sur le gravillon, bourdonnement des moteurs tournant au ralenti, tandis que les conducteurs font la conversation. À ces bruits s’ajoutent ceux que produisent les passions glorifiantes des propriétaires, l’usage des scies qui geignent sur le bois, crissent sur le fer, celui du marteau, dont les coups irréguliers rendent fou. Dès qu’un individu est à la retraite, il sait tout faire. À condition que cela fasse du bruit.

Jean Roudaut, « Jour de souffrance », «  Théodore Balmoral  » n° 74, printemps-été 2014, p. 28.

David Farreny, 7 juil. 2014

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