technique

Disons que ce que l’on appelle poème est précisément une technique linguistique de production d’un type de conscience que le spectacle du monde ne produit pas ordinairement.

Jean Cohen, Structure du langage poétique, p. 196.

David Farreny, 24 mars 2002
découragement

On ne prête pas le flanc au découragement, soudain on est le découragement entier.

François Rosset, L’archipel, Michalon, p. 102.

David Farreny, 5 fév. 2004
printemps

Printemps difficile : je ne fais pas ma montée de sève.

Jean-Pierre Georges, Le moi chronique, Les Carnets du Dessert de Lune, p. 55.

David Farreny, 11 mars 2008
répliquer

D’ailleurs, je me fais autant refouler des deux côtés. Par les figures glabres, parce que je n’admire pas assez leurs trésors ; par les gueules de christ, parce que je ne communie pas. Repas dans les familles ou bouffe avec les mecs, on me dépiste. Je m’interdis habituellement tout mot, tout geste qui laisserait apercevoir quel dégoût et quelle désolation je suis en train d’éprouver, mais on me juge plutôt sur ma tiédeur. Comme dans une séance de table tournante, la présence d’un sceptique ruine le cercle parfait. On découvre le coupable, on l’attaque, on l’invite une dernière fois à obéir, à approuver, à démontrer qu’il ressemble aux autres, qu’il est de la tribu. Mais je ne sais pas m’y prendre.

Par exception, cela tourne mal. Les mecs, surtout peuvent devenir très hargneux, très offensifs quand on suspecte leur religion ou leur sainteté. Je ne réagis pas ; mais si on m’ennuie trop, je ne peux répliquer que physiquement. Mes colères sont très rares, très brutales. Je risque d’attraper le con, secouer, gifler, cogner. C’est ennuyeux, je ne suis pas fier après. Mais on ne peut pas se contenter de paroles, elles sont pourries jusqu’au dernier mot chez ces génies du mensonge à soi-même. Mon corps transcrit en une langue surprenante pour des non-violents ce qu’ils étaient, disaient, faisaient réellement. Il paraît qu’il faudrait plutôt digérer : je ne suis pas sociable à ce point, dès que ça fait trop mal et que ça pue trop fort, je le renvoie d’où ça vient – sans l’emballage évangélique.

Tony Duvert, Journal d’un innocent, Minuit, p. 52.

Cécile Carret, 6 déc. 2008
secousse

J’aimerais, une fois dans ma vie, une secousse paroxysmique.

Jean-Pierre Georges, Car né, La Bartavelle, p. 67.

David Farreny, 5 juil. 2009
saisie

S’en tenir à ce qui est. Pas vraiment. S’en tenir, en écrivant, à la saisie la plus brute de ce qui est. Saisie miroitante. Ce qui est me contient. Il n’y a pas de réel éternel au-delà de ce transitoire pur que l’on voudrait parfois percer comme une croûte. Mais le ciel n’est pas une toile bleue ou grise, tendue, cachant on ne sait quelles coulisses.

Je suis ce qui est, et rien d’autre. Par contre, dans ce que je suis, il y a plusieurs mondes ou étages, comme on voudra la métaphore. Un homme est feuilleté ; il fait un tout parce qu’il faut, parce qu’il doit se simplifier, parce qu’on ne peut traiter avec une infinie agitation.

Le feuilleté ou l’immeuble sont encore des images trop approximatives, statiques. Je suis une incessante circulation dans « moi », somme virtuelle qui n’a pas plus d’existence que le réel en soi.

Quelle écriture, dès lors ? De poème en poème, poser des touches ; chacune d’entre elles vaut par elle-même et dans son rapport aux autres ; l’ensemble fera sens, souhaitons-le, à la fois mouvant et fermé, comme un mobile de Calder. Écrire est un mouvement perpétuel, pas éternel : vouloir fixer le tout est un leurre. L’instant aussi, une immobilisation, une photo plus ou moins floue, qui vaut mieux que rien. Mais cela n’arrête ni le mouvement de vivre, ni celui d’écrire ; c’est fixer du mort dès que fixer. En ce sens, l’entreprise démesurée de franchissement chez Reverdy ou du Bouchet est un sublime échec. La poésie ne peut pas dire l’en-soi ; elle est d’abord reconstruction langagière mais si elle s’en rend compte et le revendique radicalement (Ponge), elle se vide encore plus de matière pour tenter d’exister sur sa langue de terre.

En prendre acte. Il n’existe rien d’autre que des hommes qui se débattent.

Antoine Émaz, Lichen, encore, Rehauts, p. 40.

Cécile Carret, 4 mars 2010
articulations

Nos articulations sont autant de mauvais plis pris par le corps qui lui interdisent mille postures avantageuses, mille gestes décisifs. Je prétendais y remédier.

Éric Chevillard, Le vaillant petit tailleur, Minuit, p. 28.

Cécile Carret, 25 avr. 2011
esthétiques

J’ai continué de déjeuner avec Hélène Malebranche et les Jordan. Jordan était un homme d’allure sportive, à la mâchoire marquée, que j’ai immédiatement soupçonné de faire des randonnées dans les Alpilles. En même temps, il avait le regard très bleu, qui pouvait dire pas mal d’autres choses. Sa femme était petite, avec de beaux seins, la taille prise, elle portait une jupe en synthétique très fin qui brillait un peu. Ses yeux aussi brillaient un peu, comme si elle s’était mis des gouttes. Elle avait un nez magnifique, que j’ai regardé tout en déjeunant, je ne sais pas si elle s’en est aperçue. […]

C’est elle, Agnès Jordan, donc, qui m’a demandé combien de temps j’allais rester. Hélène, elle, se taisait, et je me suis dit que, si Malebranche ne posait pas de questions, sa femme, de son côté, était réservée ou peu liante. J’ai pensé que c’était embêtant quand on s’occupe de chambres d’hôte et j’ai répondu à Agnès Jordan que je ne savais pas exactement, tout en adressant à Hélène Malebranche un sourire embarrassé, auquel elle a répondu par un sourire pas embarrassé du tout, comme si cette question ne la concernait pas. Agnès Jordan, elle, ne savait visiblement pas quoi faire de ma réponse, et Philippe Jordan ne venait pas à son secours, non plus que moi, du reste, qui aurais pu lui demander depuis combien de temps, eux, ils étaient là, mais, pour des raisons esthétiques, disons, ça me semblait presque impossible de lui retourner une question qui reprenait la plupart des mots que contenait la sienne.

Christian Oster, Rouler, L’Olivier, pp. 97-98.

David Farreny, 22 sept. 2011
revient

Réflexions sur le commandement : il n’y a pas de génies méconnus. Chacun trouve dans la vie la place qui lui revient. Nous sommes nés avec l’exact potentiel social que nous réaliserons…

Ernst Jünger, « 24 juin 1940 », Journaux de guerre (2), Gallimard.

David Farreny, 7 mars 2014
rallongent

Les jours rallongent et je ne suis pas prêt.

Jean-Luc Sarré, Ainsi les jours, Le Bruit du temps, p. 155.

David Farreny, 30 juin 2014

mot(s) :

auteur :

rechercher 🔍fermer