On se met à croupetons et l’on a ainsi la sensation d’être chez soi.
Maurice Roche, Compact, Tristram, p. 107.
Voilà pourquoi le Prince ne régna point. Cette phrase est totalement absurde. Mais je sens en ce moment que les phrases absurdes donnent une intense envie de pleurer.
Fernando Pessoa, Le livre de l’intranquillité (1), Christian Bourgois, p. 24.
Cycle des scories, le dernier : le nôtre, le gauchisme.
Dominique de Roux, Immédiatement, La Table ronde, p. 44.
Pensant au rêveur de nuit, il ne faut pas oublier qu’il est infirme, un infirme qui, par sa vue absente, est coupé des spectacles, des avertissements nuancés, coupé des sens nobles, infirme par son impuissance à se déplacer, à pouvoir vérifier ; infirme au tableau de bord réduit, pour qui la réplétion de la vessie, le ballonnement du ventre, la congestion d’un membre ou la circulation empêchée dans un bras, ou dans une jambe repliée qui s’engourdit sont ses principales et imprécises informations. Phénomènes intempestifs qui vont se mêler trop souvent, et assez malheureusement, à ce qui n’a rien à voir avec ça.
Avec ces pauvres matériaux, il doit faire son monde. Embarrassant.
Henri Michaux, « Façons d’endormi, façons d’éveillé », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 511.
Par
1 000 m de fond
l’émerveillement gît
Jean-Pierre Georges, Passez nuages, Multiples, p. 22.
Avec un sentiment.
Un curieux sentiment.
Comme un sentiment de domination, de supériorité, voilà, la supériorité de l’homme debout sur l’homme assis.
Quoi encore ?
Un certain pouvoir sur la vitesse, sur le paysage, qui défile devant les fenêtres, où le jour se joue de tout. Des têtes. Des nuques, des visages, qui se balancent en même temps. Il reste même une place libre.
Lui seul peut décider de la prendre.
Quelle jouissance, quand même.
Et si j’allais m’asseoir, se dit-il.
Tu paieras pas plus cher.
On ne s’entend jamais sur le prix.
Ce qui lui coûte à lui, c’est de se faire remarquer, encore, de déranger encore, de demander pardon, enfin bon.
Il y va. Il prend son sac et il y va.
Il aurait pu ne pas y aller mais il y va.
Christian Gailly, Les fleurs, Minuit, p. 51.
Le sapin se replante de lui-même, regagne après quelque temps sur les collines abandonnées. Le cycle est le suivant : le genêt s’installe en premier, puis dans la terre remuée, ouverte par ses racines, s’installe la graine du mélèze qui pousse sans ombre, et même en terrain sec. Lorsque le mélèze atteint 80 centimètres, la graine du sapin, ou de l’épicéa, s’installe dans son ombre, pousse – sa croissance est beaucoup plus rapide que celle du mélèze –, tue le mélèze qui avait déjà tué le genêt, et grandit. Sélection naturelle parmi les sapins, les mauvais sujets sont éliminés, les bons se développent – la fréquentation des forêts rend très sage. Certaines lois naturelles s’y expriment à un tel degré d’évidence qu’il est impossible de ruser avec les résultats.
Nicolas Bouvier, Il faudra repartir. Voyages inédits, Payot & Rivages, p. 62.
J’ai vu deux unijambistes aujourd’hui, coïncidence qui n’a pourtant rien de remarquable puisque c’est en somme comme si je n’en avais vu aucun.
Éric Chevillard, « samedi 6 janvier 2018 », L’autofictif. 🔗
Après toutes ces années passées en tête-à-tête avec le Moi, on ne peut plus le voir en peinture. On aimerait le fuir aussi loin que possible. Peut-être dans les Vosges ? Peut-être à Saint-Dié ? Ça doit être pas mal, Saint-Dié ? Ou peut-être Remiremont ?
Olivier Pivert, « La possibilité des Vosges », Encyclopédie du Rien. 🔗