volcan

Était-ce bien lui ? Je fus frappé et aussitôt comme repoussé par l’enflure rouge de ses joues, éclatante… il semblait déjà avoir éclaté de partout à cause de cette enflure, qui avait fini par lui faire des membres disproportionnés, par épanouir sa chair de tous les côtés à la fois, de sorte que son corps odieusement florissant ressemblait à un volcan de viande jaillissante… et dans ses bottes de cavalier il étalait des pattes apocalyptiques, tandis que ses yeux semblaient nous contempler du fond de cette graisse comme à travers une petite lucarne. Mais il se collait à moi et me serrait dans ses bras. Il chuchota timidement :

— J’ai enflé… saloperie… Et d’où ça vient, cette graisse ? De tout, sans doute, de tout.

Witold Gombrowicz, La pornographie, Gallimard, p. 26.

David Farreny, 24 mars 2002
polyèdres

C’est son défaut d’accommodation à cette constante double valence de toutes notions et c’est son entêtement à éliminer les envers qui mettent la pensée de l’occidental en même situation qu’une géométrie plane en regard des polyèdres.

Jean Dubuffet, Asphyxiante culture, Minuit, p. 45.

David Farreny, 14 avr. 2002
force

Nous avons tous assez de force pour supporter les maux d’autrui.

François de la Rochefoucauld, Maximes, Flammarion, p. 47.

David Farreny, 22 oct. 2004
indifférence

Selon la Sœur suprême, la jalousie, le désir et l’appétit de procréation ont la même origine, qui est la souffrance d’être. C’est la souffrance d’être qui nous fait rechercher l’autre, comme un palliatif ; nous devons dépasser ce stade afin d’atteindre l’état où le simple fait d’être constitue par lui-même une occasion permanente de joie : où l’intermédiation n’est plus qu’un jeu, librement poursuivi, non constitutif d’être. Nous devons atteindre en un mot à la liberté d’indifférence, condition de possibilité de la sérénité parfaite.

Michel Houellebecq, La possibilité d’une île, Fayard, p. 376.

Élisabeth Mazeron, 9 nov. 2005
fête

« Oh ! l’amour, tu sais… Le corps, l’amour, la mort, ces trois ne font qu’un. Car le corps c’est la maladie et la volupté, et c’est lui qui fait la mort, oui, ils sont charnels tous deux, l’amour et la mort, et voilà leur terreur et leur grande magie ! Mais la mort, tu comprends, c’est d’une part une chose mal famée, impudente qui fait rougir de honte ; et d’autre part c’est une puissance très solennelle et très majestueuse — beaucoup plus haute que la vie riante gagnant de la monnaie et farcissant sa panse —, beaucoup plus vénérable que le progrès qui bavarde par les temps —, parce qu’elle est l’histoire et la noblesse et la pitié et l’éternel et le sacré qui nous fait tirer le chapeau et marcher sur la pointe des pieds… Or, de même le corps, lui aussi, et l’amour du corps, sont une affaire indécente et fâcheuse, et le corps rougit et pâlit à sa surface par frayeur et honte de lui-même. Mais aussi il est une grande gloire adorable, image miraculeuse de la vie organique, sainte merveille de la forme et de la beauté, et l’amour pour lui, pour le corps humain, c’est de même un intérêt extrêmement humanitaire et une puissance plus éducative que toute la pédagogie du monde !… Oh ! enchantante beauté organique qui ne se compose ni de peinture à l’huile ni de pierre, mais de matière vivante et corruptible, pleine du secret fébrile de la vie et de la pourriture ! Regarde la symétrie merveilleuse de l’édifice humain, les épaules et les hanches et les côtes arrangées par paires, et le nombril au milieu dans la mollesse du ventre, et le sexe obscur entre les cuisses ! Regarde les omoplates se remuer sous la peau soyeuse du dos, et l’échine qui descend vers la luxuriance double et fraîche des fesses, et les grandes branches des vases et des nerfs qui passent du tronc aux rameaux par les aisselles, et comme la structure des bras correspond à celle des jambes. Oh ! les douces régions de la jointure intérieure du coude et du jarret, avec leur abondance de délicatesses organiques sous leurs coussins de chair ! Quelle fête immense de les caresser, ces endroits délicieux du corps humain ! Fête à mourir sans plainte après ! Oui, mon Dieu, laisse-moi sentir l’odeur de la peau de ta rotule, sous laquelle l’ingénieuse capsule articulaire secrète son huile glissante ! Laisse-moi toucher dévotement de ma bouche l’Arteria Femoralis qui bat au fond de la cuisse et qui se divise plus bas en deux artères du tibia ! Laisse-moi ressentir l’exhalation de tes pores et tâter ton duvet, image humaine d’eau et d’albumine, destinée pour l’anatomie du tombeau, et laisse-moi périr, mes lèvres aux tiennes ! »

Il n’ouvrit pas les yeux après avoir parlé ; il resta tel sans bouger, la tête dans la nuque, les mains, qui tenaient le petit porte-mine en argent, écartées, tremblant et vacillant sur ses genoux. Elle dit :

« Tu es en effet un galant qui sait solliciter d’une manière profonde, à l’allemande. »

Et elle le coiffa du bonnet de papier.

« Adieu, mon prince Carnaval ! Vous aurez une mauvaise ligne de fièvre ce soir, je vous le prédis ! »

Thomas Mann, La montagne magique, Fayard, pp. 392-393.

David Farreny, 3 juin 2007
obstacle

Dans l’allée, dans le sable ensoleillé, au pied d’un if, le plus sombre, une colonne de fourmis noires. Avec un petit seau d’eau, un seau à sable de plage, et de l’eau prise dans la cour, à la fontaine, l’obstacle d’une flaque jetée par les jumeaux interrompait les lignes militaires de transport des fourmis. La flaque d’eau, un véritable lac pour les insectes, troublait l’affairement des fourmis transporteuses de graines, les fourmis des régiments d’un « génie fourmilier », pontonnières en brindilles. Il y avait un mouvement perpétuel de circulation fourmilière dans les deux sens. Croisements, mots de passe, reconnaissance d’antennes ; concentrations, coagulations noires autour d’une énorme guêpe morte, comme des Lilliputiens autour du géant entravé, Gulliver.

Jacques Roubaud, Parc sauvage, Seuil, p. 59.

Cécile Carret, 22 janv. 2008
foraine

Je me sentais devenir enragé, car oui, vraiment, ce que je supportais le plus mal dans la vie, c’était l’absence d’harmonie, ces cris, cette vulgarité, comme si l’on se promenait éternellement dans une fête foraine, et au bout du compte, rien qu’un désaccord profond, une envie folle de se boucher les oreilles pour ne pas entendre ses propres hurlements.

Jean-Pierre Martinet, Jérôme, Finitude, p. 19.

Guillaume Colnot, 10 nov. 2010
besoin

Et toi ? ai-je dit. Ça allait également. Il avait l’air sincère. J’ai espéré que moi aussi. J’avais une bonne voix, posée. Je ne me sentais pas inquiet. Si j’avais été sommé de faire le point, à ce moment, j’aurais dit que j’éprouvais seulement un gros besoin d’essence. D’avoir pas mal d’essence devant moi, dans un pays bien équipé en stations. On a raccroché en se disant qu’on se rappelait.

Christian Oster, Rouler, L’Olivier, p. 14.

Cécile Carret, 25 sept. 2011

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