métier

Je suis né dans une mansarde

d’où l’on entendait le matin

des laitiers qui drelin drelin

réveillaient les biberonneuses.

Ici naquit Georges Machin

qui pendant sa vie ne fut rien

et qui continue Il aura

su tromper son monde en donnant

quelques fugitives promesses

mais il lui manquait c’est certain

de quoi faire qu’on le conserve

en boîte d’immortalité.

Prendre l’air était son métier.

Georges Perros, Une vie ordinaire, Gallimard, p. 28.

David Farreny, 22 mars 2002
déréglage

Soirs ! Soirs ! Que de soirs pour un seul matin !

Îlots épars, corps de fonte, croûtes !

On s’étend mille dans son lit, fatal déréglage !

Henri Michaux, « Plume précédé de Lointain intérieur », Œuvres complètes (1), Gallimard, p. 599.

David Farreny, 13 avr. 2002
pauvres

Nous attribuons généralement à nos idées sur l’inconnu la couleur de nos conceptions sur le connu : si nous appelons la mort un sommeil, c’est qu’elle ressemble, du dehors, à un sommeil ; si nous appelons la mort une vie nouvelle, c’est qu’elle paraît être une chose différente de la vie. C’est grâce à ces petits malentendus avec le réel que nous construisons nos croyances, nos espoirs — et nous vivons de croûtes de pain baptisées gâteaux, comme font les enfants pauvres qui jouent à être heureux.

Fernando Pessoa, « Autobiographie sans événements », Le livre de l’intranquillité (édition intégrale), Christian Bourgois, p. 96.

Guillaume Colnot, 13 juin 2002
viciait

Oh, c’était bien cela. Lagrand le savait. Tout le monde souhaitait ici la mort du garçon, de ce pauvre, vilain et ridicule enfant bêtement surnommé Titi, et peut-être même jusqu’à la petite Jade qui souhaitait innocemment que Titi meure, ce garçon aride, déprimant comme une tache irrémédiable au revers de tout plaisir possible, de quelque espèce de goût bien légitime qu’on pouvait arriver à prendre à l’existence et que lui, ce manquement tenace, viciait, lui, Titi, qui avait survécu, en les gâtant, à toutes les occasions de joie.

Marie NDiaye, Rosie Carpe, Minuit, p. 214.

David Farreny, 24 déc. 2002
boule

Il n’y a pas de raison qui vaille. Si t’as une boule à l’intérieur garde-la précieusement. C’est ce que me disait ma maman. Ne te fais pas enlever la boule. Tout au moins c’est ce que je croyais. Je croyais qu’elle me le disait. Alors qu’elle me l’enlevait. En me le disant. Elle me tirait la boule. Ce boulet qui te tient lieu d’être. On supprimera ta vraie maladie. Celle qui t’a fait naître. Celle qui fait que quoi qu’on en dise et quoi que tu dises c’est pour cette raison que tu es en vie. Pour garder bien au chaud la maladie. Et les médecins n’y peuvent rien. Les médecins ils veulent t’enlever la maladie. Ils te retirent tout. Ils peuvent tout te retirer. Ils te retireront pas la boule.

Charles Pennequin, Bibi, P.O.L., pp. 12-13.

David Farreny, 28 déc. 2005
peut

Je me rappelle comme c’était bon de la sentir marcher à mon côté d’un pas long et souple au soleil, sur l’herbe élastique des lawns, à Brighton. C’était avant que rien n’eût commencé entre nous. Comme ce matin, alors elle était en blanc de la tête aux pieds, et la toile un peu raide de la jupe faisait un joli bruit, et la toile souple et mince du corsage laissait transparaître un peu le bras et ce que la chemise haute ne couvrait pas, de la gorge et de la nuque dures. La pensée de tout ce qu’elle peut me donner m’oppresse et m’accable. Je ne sais pas au monde de possession plus désirable. […]

Elle arrive de Vienne, d’où l’été la chasse, et elle espère avoir un peu de fraîcheur en naviguant dans l’archipel dalmate. Son yacht est amarré à Pola et après-demain son automobile doit l’y conduire.

Je lui ai fait visiter Trieste, qu’elle ne connaissait pas. Remonté à pied la longue via Giulia, etc. Puis à Miramar. Nous nous sommes assis sur un talus que faisaient trembler parfois de longs trains noirs. La mer s’anéantissait dans le soleil. En moi un désir grandissait, ne laissait place pour rien d’autre. Un désir précis qui me faisait, du regard, jauger le corps de ma compagne. L’instinct en moi se pensait : je songeais à l’enfant, au mélange de nos vies, au don de ma vie que je voulais lui faire, avec soin, sérieusement. Et continuant à haute voix ma pensée :

« Vous savez, Gertie, comme dit le vieux Whitman :

Ce qui s’est si longtemps accumulé en moi… »

Elle tourna vers moi un visage flambant de chaleur, constata d’un long regard ma force, ma jeunesse et ma chasteté, puis se retourna vers le large en aspirant fortement.

Valery Larbaud, « Journal intime de A.O. Barnabooth », Œuvres, Gallimard, p. 231.

David Farreny, 24 avr. 2007
tête

Il n’utilisait ni peigne ni brosse. Ses cheveux, auxquels collaient les duvets de l’oreiller, il les ébouriffa de ses doigts pour être dépeigné autrement que la nuit, et il arrangea ses boucles devant le miroir jusqu’à ce qu’il y aperçoive la tête qu’un jour il s’était imaginée, et qu’il avouait le plus volontiers être la sienne. Puis il noua sa cravate avec le plus grand soin.

Dezsö Kosztolányi, Kornél Esti, Cambourakis, p. 89.

Cécile Carret, 28 août 2012
éteinte

Comme si le précieux secret enfoui dans l’obscur pouvait être autre chose qu’une lampe éteinte.

Éric Chevillard, « mardi 28 mars 2023 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 18 mars 2024

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