balle

Dans les cœurs fervents refermés sur eux-mêmes, de brèves expériences dévorent notre humain tissu comme un feu qui couve en secret dans la cale d’un navire consume le coton dans sa balle.

Herman Melville, Billy Budd, Gallimard, p. 145.

David Farreny, 4 déc. 2003
restaurer

La vie est ainsi faite que, pour la supporter, il faut de temps en temps la déposer, reprendre un peu haleine, et comme se restaurer d’un léger avant-goût de la mort.

Giacomo Leopardi, « Cantique du coq sauvage », Petites œuvres morales, Allia, p. 177.

David Farreny, 9 nov. 2005
bâtiment

À mesure que vous approchez de la vérité, votre solitude augmente. Le bâtiment est splendide, mais désert. Vous marchez dans des salles vides, qui vous renvoient l’écho de vos pas. L’atmosphère est limpide et invariable ; les objets semblent statufiés. Parfois vous vous mettez à pleurer, tant la netteté de la vision est cruelle. Vous aimeriez retourner en arrière, dans les brumes de l’inconnaissance ; mais au fond vous savez qu’il est déjà trop tard.

Michel Houellebecq, Rester vivant, La Différence, p. 44.

David Farreny, 18 sept. 2006
historique

La neige sur les toits millier de pages

une bande d’étourneaux les notes de Satie

une à une dans l’hiver comme un pincement

les années qui s’ébattent s’emboutissent

déferlement d’inclassables saisons. Cette

promenade toujours refusée par l’Amour menu !

Le coteau n’était-il pas de neige lui aussi

cela devient historique mais vivrais-je cent ans

que rien de plus ne sortirait de ce petit

cadavre. Enfin Jeanne souvenez-vous, Chinon ?

Jean-Pierre Georges, Dizains disette, Le Dé bleu, p. 76.

David Farreny, 18 juin 2008
déjà

Vous savez, c’est le soir qui s’estompe comme vous l’aimez, les corneilles sur les halliers, les ailes royales, le velouté des guêpes, les tiges rameuses, les fleurs roses ou purpurines, les odeurs sucrées, piquantes, un peu amères, les pétales toniques et déjà les boissons rafraîchissantes à base de vin blanc.

Dominique de Roux, « lettre à Gabrielle de Lestapis (25 mai 1959) », Il faut partir, Fayard, p. 112.

David Farreny, 21 août 2008
sémantisme

C’est à sa voix qu’il aurait fallu s’en remettre, à ses gestes, à sa seule présence ; et ne tenir que très peu de compte de ses mots, qui eux n’ont pas grand sens, et qui l’étonnent sans cesse quand on les lui rappelle. Il s’étonne surtout qu’on ait pu leur porter assez d’attention pour s’en souvenir. Que ne fait-on comme lui, et n’imite-t-on son détachement parfait à leur égard, sa merveilleuse capacité d’indifférence et d’oubli ? Mais je n’ai pas su m’abandonner à ce sémantisme libéré du verbe et qui flotte dans l’air, s’accrochant un moment, comme une brume, à une intonation, une attitude, un regard. Je n’ai eu ni assez de patience ni assez d’amour. J’ai bêtement exigé des phrases, du bon sens bien français, clairement débité, avec des sujets, des verbes et des compléments à la parade. Or c’est manifestement ce que ce pauvre garçon est le moins capable d’offrir.

Renaud Camus, « dimanche 25 janvier 1998 », Hommage au carré. Journal 1998, Fayard, pp. 35-36.

Élisabeth Mazeron, 30 mars 2010
calao

On est parce qu’on porte un brin de paille. Quelqu’un nous l’a laissé quand ce fut l’heure de le porter. Et la réciproque est vraie : on porte un brin de paille, un étui pénien, l’ordre du grand calao parce qu’on est.

Pierre Bergounioux, L’orphelin, Gallimard, p. 46.

Élisabeth Mazeron, 7 juin 2010
discordance

À aucune autre époque l’opposition ou la simple objection à l’idéologie dominante n’a été à ce point niée. Jadis le pouvoir idéologique en place combattait ses adversaires, et rudement, bien entendu ; mais il ne les réduisait pas à la non-existence. Parmi nous, tout ce qui ne témoigne pas sa soumission à la pensée régnante est frappé d’invisibilité : vous pouvez marcher dans la rue, vous pouvez mener une vie à peu près normale, vous pouvez même publier des livres, eux et vous êtes totalement transparents — c’est comme si vous n’existiez pas.

Dans les mythes traditionnels et dans leurs adaptations modernes, l’invisibilité est en général envisagée positivement. Elle est un don précieux. On envisage moins qu’elle puisse être une malédiction, ce qui est pourtant bel et bien le cas. J’ai déjà parlé de mon remords à propos d’un jeu idiot auquel je m’étais livré avec un ou deux enfants que je prétendais ne pas voir et ne pas entendre, et chercher partout alors que nous étions dans la même pièce : au bout de deux ou trois minutes, ils étaient en larmes et hurlaient.

Arnaud “C’est-vrai-que” Laporte et ses affidés, qui présentent à midi l’émission “Tout arrive”, exposent les principes de fonctionnement du système d’inclusion et d’exclusion avec une candeur charmante et, je crois, sans précédent. De presque tous leurs invités ils disent, et surtout Laporte lui-même, quotidiennement, qu’ils « les aiment beaucoup », qu’« on les aime beaucoup », que « ça faisait longtemps qu’on voulait les recevoir parce qu’on les aime beaucoup », que « c’est vrai qu’on trouvait que ça faisait vraiment longtemps qu’on les avait pas reçus, parce que c’est vrai qu’on les adore ». Très ouvertement, très officiellement, en s’en targuant, ils invitent et réinvitent indéfiniment ceux qu’« ils aiment beaucoup ». L’idée qu’ils puissent ou même qu’ils doivent inviter ceux qu’« ils n’aiment pas beaucoup » (c’est-à-dire qui ne penseraient pas exactement comme eux) ne les effleure pas une seconde. Ils ne sont pas là pour ça. Ce n’est pas leur métier.

Aucune époque n’a résolu avec autant de simplicité, d’élégance et surtout de bonne conscience le problème éternel de la discordance. Quelle discordance ? Je pense à mes chiens Horla et Hapax qui chacun, lorsqu’il trouvait que l’autre recevait ou risquait de recevoir trop d’attention, s’asseyait sur lui.

Renaud Camus, « mardi 29 avril 2008 », Au nom de Vancouver. Journal 2008, Fayard, pp. 169-170.

David Farreny, 16 juin 2010
virgule

Les yeux évoquaient les points de renfoncement d’un fauteuil capitonné : censés être le miroir de l’âme, on n’y lisait rien d’autre qu’un effort pour se frayer un passage jusqu’au monde extérieur. Le nez, virgule de cartilage dans un océan de chair, possédait ses narines comme un trésor précaire : un jour, cette prise de courant serait absorbée par la maçonnerie de la graisse. Il fallait espérer que l’individu pourrait alors respirer par la bouche, qui tiendrait sans doute jusqu’au bout, elle, animée par la force de survie des assassins.

Difficile en effet de regarder ce qui restait de cette bouche sans penser que c’était elle la responsable, que c’était cet orifice infime qui avait livré passage à cette invasion.

Amélie Nothomb, Une forme de vie, Albin Michel, p. 113.

Élisabeth Mazeron, 29 sept. 2010
sodium

Sublime abstraction du paysage.

COURTENAY — AUXERRE NORD.

Nous approchons des contreforts du Morvan. L’immobilité, à l’intérieur de l’habitacle, est totale. Béatrice est à mes côtés. « C’est une bonne voiture », me dit-elle.

Les réverbères sont penchés dans une attitude étrange ; on dirait qu’ils prient. Quoi qu’il en soit, ils commencent à émettre une faible lumière jaune orangé. La « raie jaune du sodium », prétend Béatrice.

Déjà, nous sommes en vue d’Avallon.

Michel Houellebecq, Le sens du combat, Flammarion, p. 61.

David Farreny, 26 avr. 2012
exil

Cela signifie que la vie de la majorité des gens n’est plus faite que d’animus – contrainte, effort, mise à disposition de son être. L’anima, cette marge de quant-à-soi, cette puissance de récupération, de repos, de latence, indispensable à l’équilibre du psychisme humain, a été bannie de nos existences.

Si le rêve est bien ce mouvement par lequel on confirme et approfondit sa propre participation au monde, encore faut-il, pour l’accomplir, pouvoir accéder librement et à soi, et au monde. Pour la plupart des gens, ce n’est aujourd’hui pas le cas. Et, en effet, à y bien réfléchir, ce qui nous maintient dans un exil qui serre le cœur a toujours à voir avec le travail – ou alors avec son absence, ou avec la peur de le perdre.

Mona Chollet, La tyrannie de la réalité, Calmann-Lévy, p. 47.

Cécile Carret, 1er mai 2012
bord

Sept heures du matin. L’eau vert clair de la piscine frémit comme si des sirènes s’y étaient baignées pendant la nuit. Comme un mystère flotte au-dessus de chaque bassin. Près du bord de la piscine, un Hongrois moustachu, c’est le maître nageur.

Dezsö Kosztolányi, Portraits, La Baconnière, p. 52.

Cécile Carret, 12 juin 2013
réponses

car personne ne sait vraiment le savoir. tout le monde a la science à chacun. mais que savoir du savoir et pour quoi faire ? pourquoi ne pas se suicider tout de suite, après tout ? je n’ai aucune réponse à la vie. toutes les vies sont des réponses, mais il n’y en a aucune de bonne. car il n’y a pas de question.

Charles Pennequin, « Il n’y a jamais eu d’avancée… », Pamphlet contre la mort, P.O.L., pp. 124-125.

David Farreny, 11 fév. 2014

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