conservateur

Je suis un conservateur. Je veux conserver le monde tel qu’il est, non parce qu’il me paraît bon — au contraire, je le juge ignoble — mais parce que je suis dedans et que je ne puis le détruire sans me détruire avec lui.

Jean-Paul Sartre, « vendredi 6 octobre 1939 », Carnets de la drôle de guerre, Gallimard, p. 101.

David Farreny, 3 mars 2008
élucider

Lorsqu’il fut avéré que je ne trouverais pas d’explication toute faite, que l’accident dont je portais les séquelles ne concernait que moi, le mouvement que je me donnais depuis des années, la théorie des jours gris où je m’enfonçais perdirent toute signification. J’avais remis à plus tard de vivre, par égard, d’abord, pour des morts que je n’avais jamais connus vivants, dans l’espoir, ensuite, d’obtenir les éclaircissements dont l’absence parachevait notre infortune. Je m’étais transporté sur le grand théâtre du monde. Ce que j’y avais lu, entendu ne m’était d’aucun véritable secours, ne valait qu’autant que ce qu’il y avait autour était à peu près dépourvu de corps, d’effet de réalité. Je n’étais pas venu préparer un avenir mais tenter d’élucider un passé.

Pierre Bergounioux, Carnet de notes (1980-1990), Verdier, p. 78.

Élisabeth Mazeron, 28 mai 2010
glissez

Ni vu ni connu, vous glissez-vous dans votre vie désertée ?

Éric Chevillard, Dino Egger, Minuit, p. 55.

Cécile Carret, 29 janv. 2011
tuile

Le passage de l’idéalité dans la réalité se présente aussi, d’une manière expresse, dans les phénomènes mécaniques bien connus, à savoir que l’idéalité peut tenir la place de la réalité, et inversement ; et c’est seulement la faute de l’absence-de-pensée propre à la représentation et à l’entendement, si ceux-ci ne voient pas surgir, de cette échangeabilité des deux moments, leur identité. […] Dans la grandeur du mouvement, la vitesse, qui est le Rapport quantitatif seulement de l’espace et du temps, remplace aussi bien la masse, et, inversement, le même effet réel se produit lorsque la masse est augmentée et celle-là diminuée à proportion. — Une tuile, prise pour elle-même, n’assomme pas un homme, mais elle ne produit cet effet que par la vitesse acquise, c’est-à-dire que l’homme est assommé par l’espace et le temps.

Georg Wilhelm Friedrich Hegel, « Le lieu et le mouvement », Encyclopédie des sciences philosophiques, II. Philosophie de la nature, Vrin, pp. 202-203.

David Farreny, 7 fév. 2011
ligne

Peu de temps auparavant, j’avais vu la fille de mon parrain – elle avait mon âge – toute nue. Elle avait un corps tout pareil au mien, mais chez elle la lisseur se continuait entre les jambes. Je trouvais cela très élégant et plus dans la ligne de la nudité que cette petite poussée de peau qui dépassait chez moi et qui ne s’associait à rien, et surtout pas à cette raideur qui le soir me venait pourtant au même endroit.

Georges-Arthur Goldschmidt, La traversée des fleuves. Autobiographie, Seuil, p. 88.

Cécile Carret, 10 juil. 2011
rebutées

Une dame, dans un petit préfabriqué, m’accueille gentiment et m’invite à faire mon marché. Ce sont de véritables montagnes de fer qui se dressent devant moi et je dois peser soixante kilos tout habillé. Je commence par récupérer, près de l’entrée, des chutes rondes et triangulaires de fer noir, encore huileux, qui provient d’une fabrique de crics. Le sol est jonché de fortes tiges rondes filetées, rebutées. Ensuite, par une sorte de canyon aux parois de ferrailles enchevêtrées, vers l’arrière du terrain qui couvre un ou deux hectares. Je repère deux barres de coupe de faucheuse, l’une encore assujettie à l’engin, l’autre libre, tordue. Mais le montage des doigts, à écrou noyé, m’interdit de les prélever. Il faudrait une clé spéciale, à picots et, d’ailleurs, la rouille a soudé le tout. De lourdes installations industrielles ont été démantelées et entassées là, poutrelles, bennes, grandes roues crantées, inamovibles masses de métal. Il y a aussi des bulldozers, des trains de chenilles, des pelles aux dents énormes, un troupeau de camions militaires sous camouflage, enlisés, renversés dans la boue craquelée, tendrement appuyés l’un à l’autre, joue contre joue, des amoncellements de tire-fonds, de douilles d’obus de petit calibre avec les gaines d’alimentation. Plus loin, sous un enchevêtrement de poutrelles, des canons automatiques de 20 mm dont le percuteur a été maté d’un coup de chalumeau. Quel gâchis !

Pierre Bergounioux, « lundi 15 juillet 2002 », Carnet de notes (2001-2010), Verdier, pp. 256-257.

David Farreny, 26 janv. 2012
prénom

Tous les prénoms ont été changés. Quoi de plus individualiste qu’un prénom ? Quoi de plus dangereux qu’une identité ? Une seule syllabe suffit bien, puisqu’il n’y a pas d’être.

Rithy Panh, L’élimination, Grasset, p. 87.

Cécile Carret, 7 fév. 2012
limites

L’homme est peut-être moitié esprit et moitié matière, comme le polype qui est mi-plante, mi-bête. Les plus étranges créatures sont toujours celles se trouvant aux limites.

Georg Christoph Lichtenberg, Le miroir de l’âme, Corti, p. 210.

David Farreny, 11 déc. 2014
soi

Ouvrir la bouche pour parler de soi est déjà un pléonasme.

Éric Chevillard, « samedi 24 décembre 2016 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 24 fév. 2024

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