La mort est le repos, mais la pensée de la mort trouble tout repos.
Cesare Pavese, Le métier de vivre, Gallimard, p. 128.
À mesure que vous approchez de la vérité, votre solitude augmente. Le bâtiment est splendide, mais désert. Vous marchez dans des salles vides, qui vous renvoient l’écho de vos pas. L’atmosphère est limpide et invariable ; les objets semblent statufiés. Parfois vous vous mettez à pleurer, tant la netteté de la vision est cruelle. Vous aimeriez retourner en arrière, dans les brumes de l’inconnaissance ; mais au fond vous savez qu’il est déjà trop tard.
Michel Houellebecq, Rester vivant, La Différence, p. 44.
Ce récit, comme L’orphelin, tient de la protestation idéaliste, malgré moi. Il dénonce ce qu’il énonce, au mépris de la causalité conditionnelle qui fit de ceux dont je parle ce qu’ils furent. Ils ne pouvaient être autres. Telle était la réalité. Mais c’en était une autre, pour immatérielle et mince qu’elle fût, que le déplaisir, la crainte, l’ennui corrosif, l’animosité que j’ai gagnés à leur commerce forcé.
Pierre Bergounioux, « lundi 27 février 1995 », Carnet de notes (1991-2000), Verdier, p. 530.
toute cigarette finit au cendrier
toute marée se meurt sur la dent du rocher
tout spectacle s’éteint
dans le fracas des strapontins
et même ton souvenir qui s’arme dans cet écrit
finira lui aussi dans la chaleur de l’Incendie
William Cliff, « La Coruña », Marcher au charbon, Gallimard, p. 68.
Aujourd’hui, je voudrais bien savoir si mon déménagement imminent va marquer un début ou une fin. Il est peut-être naïf de se poser une telle question à mon âge.
Marc Augé, Journal d’un S.D.F. Ethnofiction, Seuil, p. 14.
Soit, se protéger contre de telles invitations n’est pas difficile. Et pourtant je ne sais pas si j’en serai capable, car ce n’est pas aussi facile que je l’imagine quand je suis encore seul et libre de tout faire, libre de rebrousser chemin si je veux ; car je n’aurai personne là-bas à qui rendre visite quand j’en aurai envie, personne avec qui je pourrai faire des excursions plus importunes encore, qui me montrera là l’état de son blé ou une carrière qu’il fait exploiter. Car on n’est même pas sûr de ses vieux amis.
Franz Kafka, « Préparatifs de noce à la campagne », Œuvres complètes (2), Gallimard, pp. 89-90.
— En combien de temps terminez-vous un cercueil ?
Sur un ton professionnel :
— Le modèle en sapin est cloué en quatre heures. Quelle rapidité pour un appartement éternel !
— Et un berceau, un berceau à bascule ?
— En un temps identique, à peu près. C’est équitable.
Dezsö Kosztolányi, Portraits, La Baconnière, p. 68.
Quart de tour à droite vers les fraises.
Quart de tour à gauche vers les tomates.
Et quand l’automne sera revenu pense monsieur Songe qu’est-ce que je vais devenir ? Rabâcher quart de tour à droite et à gauche sans plus arroser ? Me reposer l’affreuse question de l’opportunité de mes exercices et du bien-fondé de mon existence ? Si la chaleur s’en va mon angoisse de l’après-midi en sera moindre mais alors qu’en espérer puisqu’elle n’atteindra plus son paroxysme ? Elle demeurera moyenne et je serai condamné à ne plus noter que du médiocre ?
Et il ajoute pour sortir d’une impasse il faut en prendre une autre.
Robert Pinget, Monsieur Songe, Minuit, p. 58.
Elles ont songé à écrire un livre sur les techniques de rencontre : Julie avait parlé à un type devant la balance des fruits et légumes dans un Sainsbury’s. Elle cherchait l’icône des carottes. Un type l’avait aidée ; tout de suite, ça avait été des galanteries. La scène n’avait pas duré, cependant elle gardait l’idée de rencontrer un type à la balance, de faire semblant de chercher l’image d’un fruit.
Elles auraient classé les rencontres par lieux. Que faire dans tel lieu ? Par âges. Par saisons.
Évidemment, Julie avait raconté sa pratique du croche-patte.
Alain Sevestre, Poupée, Gallimard, p. 289.
La noblesse humaine est l’œuvre que le temps cisèle parfois dans notre ignominie quotidienne.
Nicolás Gómez Dávila, Scolies à un texte implicite, p. 65.
Nos proches devraient prendre soin de mourir à un moment où nous ne traversons pas une période d’atonie. Sans quoi, quel effort pour s’intéresser à leur mésaventure !
Emil Cioran, « Écartèlement », Œuvres, Gallimard, p. 944.