cibles

Ce sont des phrases, effectivement. Il n’y a pas de pensées, je cours après des unités sonores, des phrases que j’ai pensées qu’il serait bien d’avoir pour cibles. Le texte se déroule vers ces chutes comme vers des cibles.

Pierre Michon, entretien avec Marianne Alphant au centre Georges-Pompidou, 28 mars 1996.

David Farreny, 20 mars 2002
sang

Sous son pull-over très seyant les côtes se sont rompues, il se sent le dos comme battu avec des planches. Le sang apparaît dans la bouche avec sa façon de dire que c’est grave et qu’il faut appeler le médecin.

Henri Michaux, « Ecuador », Œuvres complètes (1), Gallimard, p. 147.

David Farreny, 23 mars 2002
imbécilement

Est-ce que j’étais heureux ? Malheureux ? Ni l’un ni l’autre, probablement. Dans l’attente, comme aujourd’hui. Toute ma vie je me suis dit, imbécilement, que la vie commençait demain.

Renaud Camus, « dimanche 16 août 1997 », Derniers jours. Journal 1997, Fayard, p. 204.

David Farreny, 23 fév. 2003
dormir

Il n’est pas aujourd’hui, dans la commune, un habitant sur dix pour y avoir vu le jour. Cette banlieue n’est plus offerte qu’au sommeil. On s’y presse de très loin pour y dormir la vie.

Renaud Camus, L’élégie de Chamalières, P.O.L., p. 66.

David Farreny, 7 juin 2003
voici

Ma vie est faite. Voici l’ubac.

Pierre Bergounioux, « jeudi 25 mai 1989 », Carnet de notes (1980-1990), Verdier, p. 795.

David Farreny, 20 avr. 2006
férocité

Sans une bonne dose de férocité, on ne saurait conduire une pensée jusqu’au bout.

Emil Cioran, De l’inconvénient d’être né, Gallimard, p. 134.

David Farreny, 13 oct. 2006
performance

Ici je confesse une certaine hésitation : comment rendre compte de ce qui se dérobe ? Ces moments d’intense fatigue sont des parenthèses délicates. Le corps cède le premier, mais si vite rejoint par l’esprit que parfois je me demande si, à mon insu, le mouvement ne s’est pas inversé. J’ai rapidement compris que toute résistance était vaine : s’acharner à ajourner la venue d’une fatigue en multiplie les effets. L’habitude aidant, je trouve même à m’abandonner à ce flux puissant une sorte d’équilibre, à tout le moins de maintien. Je rends donc mon tablier, je me recroqueville calmement dans un réduit mental d’où je contemple, au bord de l’écœurement, le travail de mon corps livré à la démission. C’est un spectacle très ennuyeux, une performance d’immobilisme : il n’y a place ici ni pour l’agitation, ni même pour le mouvement. Ne parlons pas du désir. Il n’y a qu’une sorte de clapotement gélatineux, une matière en déconstruction qui s’achemine vers l’organique, une minéralité en devenir. Je suis tellement éberlué par la transformation que parfois il me semble être parvenu à réaliser ce vieux fantasme bringuebalant et tenace de la séparation de l’âme et du corps.

Mathieu Riboulet, Un sentiment océanique, Maurice Nadeau, p. 39.

Élisabeth Mazeron, 13 oct. 2007
félicité

La phrase de Chateaubriand : « Je serai heureux d’être parti avant qu’une telle félicité ne soit advenue » (l’égalité des temps futurs), nous nous la répétons, Hélène et moi, tous les jours.

Paul Morand, « 10 juin 1973 », Journal inutile (2), Gallimard, p. 72.

David Farreny, 7 août 2010
redire

Une vie, nous en sommes vite convenus, mais ce n’était pas une découverte, ça tient en quelques mots ; il n’y a, somme toute, pas grand-chose à en dire. Ce qui prend du temps, en revanche, et là-dessus nous étions aussi tous les deux d’accord, ce sont les hésitations à propos du présent et de l’avenir proche, qui ne cessent de se dire et de se redire sous une forme ou sous une autre.

Marc Augé, Journal d’un S.D.F. Ethnofiction, Seuil, p. 96.

Cécile Carret, 27 fév. 2011
intéressant

À la devanture du magasin de fournitures médicales aussi, tout étincelait. Les pinces argentées scintillaient, les gants en caoutchouc reluisaient, les tables d’opération pliantes miroitaient, et l’écorché exhibait aux regards son crâne ouvert, ses yeux de verre bleu et rouge, son cœur plein de sang, tout l’intérieur de son corps éventré, les circonvolutions des boyaux, le foie brun, la bile verte. Jamais encore ils n’avaient osé regarder. Mais à présent ils regardaient. C’était affreux, pourtant c’était intéressant.

Et quant aux autres étalages, ô combien chacun d’eux séduisait, combien tous étaient autant de messages, autant de promesses. Faites votre choix, je vous en prie, la vie elle-même offre ses biens, à vous d’acheter. Fini les vieilleries, les choses usagées, voici le neuf, les marchandises nouvelles, les porte-monnaie en soie, les mouchoirs, voici, disposées avec le meilleur goût, les piles de velours, de tissus pour robes, voici les parfums, aux flacons entourés de soieries, les cannes, les pipes, les fume-cigarettes à bout doré, les savoureux cigares.

Dezsö Kosztolányi, Alouette, Viviane Hamy, p. 70.

Cécile Carret, 4 août 2012
faire

Je ne vois pas ce que je pourrais faire de moins.

Jean-Pierre Georges, « Jamais mieux (4) », «  Théodore Balmoral  » n° 74, printemps-été 2014, p. 77.

David Farreny, 8 juil. 2014
envie

Il me montra avec fierté ses magnifiques toilettes tout en azulejos, robinetterie d’or, cuvette de marbre et lunette en acajou. Mais mes goûts sont frugaux sans doute et l’envie de chier ne me vint pas.

Éric Chevillard, « dimanche 4 octobre 2015 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 4 oct. 2015

mot(s) :

auteur :

rechercher 🔍fermer