fatigue

L’extrême et anéantissante fatigue où m’amène assez vite toute activité et tout exercice, me retire assez considérablement du monde familier.

Ce retirement devient une habitude. Retirement de soi hors des choses. Retirement des choses hors des autres choses l’entourant. Soustraction qui revient parfois à de l’analyse, quoique à cent lieues de l’être. Le cadre part et la chose, sans solennité, même avec une rigoureuse simplicité, fait bande à part, existe.

Cette impression est ineffable, on aurait envie de dire divine, tant elle éloigne des commandements que l’homme se donne d’habitude.

Ce détachement, surtout peut-être par l’évanouissement concomitant de toute ambition, volonté, de tout dessein à l’endroit des choses, aère et désintègre.

Tous les phénomènes médiumniques ont ce même abandon pour point de départ, mais plus parfaits, ils vont plus loin.

Henri Michaux, « Passages », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 285.

David Farreny, 13 avr. 2002
porte

Ce fut une épopée de géants. Nous la vécûmes en fourmis. Nous triomphâmes ainsi. Succès par la porte basse.

Henri Michaux, « La vie dans les plis », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 190.

David Farreny, 14 avr. 2002
vide

Pour tromper son vide, battre son plein.

Jean-Pierre Georges, Le moi chronique, Les Carnets du Dessert de Lune, p. 65.

David Farreny, 19 nov. 2006
gestes

J’ai vu par la suite qu’on pouvait tout connaître de nos affections hormis leur force, c’est-à-dire leur sincérité. Les actes eux-mêmes ne serviront pas d’étalon à moins qu’on n’ait prouvé qu’ils ne sont pas des gestes, ce qui n’est pas toujours facile.

Jean-Paul Sartre, Les mots, Gallimard, p. 60.

David Farreny, 31 déc. 2008
égards

Ce café très chaud l’a réconforté. Une cigarette, maintenant, donne au wagon désert une odeur confortable. Ce sera sa petite chambre jusqu’à Tarente. Taranto, accent sur la première syllabe.

Lucas, il faut vous habituer à cette idée : vous vous attendiez à décrire, à partir de Salerne, une courbe inclinée vers la droite et suivant le rivage de la mer, mais c’est vers la gauche que vous serez entraîné, gravissant l’arête centrale de la péninsule et redescendant ensuite vers une autre mer qui a un beau nom : Ionienne. Avertissez de ce changement d’itinéraire votre sens de la direction et votre sens géographique, parce qu’ils méritent qu’on ait de ces égards pour eux et parce qu’ils souffrent sans qu’ils sachent pourquoi, mais d’une manière qui est perceptible pour nous, lorsque nous sommes dans l’impossibilité de dire, par exemple, dans notre chambre, rue Berthollet : Orléans est devant moi, un peu sur la droite, et Nancy à peu près en face de mon oreille gauche. Ici, il n’y a aucun doute : assis de trois quarts sur la banquette, face à la locomotive qu’on vient d’attacher au convoi, il a Tarente devant lui et il tourne — résolument — le dos au Vomero.

Je verrai donc Tarente ce soir, et non pas Messine ou Palerme.

Valery Larbaud, « Mon plus secret conseil... », Œuvres, Gallimard, p. 664.

David Farreny, 2 nov. 2009
auscultation

La maison ? Lumière avare, vacillante. Couleurs mortes. Ombres vertes. Sur toute surface, toujours une mouche en auscultation. Troupeaux de chaises de multiples espèces, du formica au Renaissance. Abondance d’objets, rares ou banals, sur grande variété de meubles. Leurs corps aveugles embarrassent les déplacements. Livres, vieux journaux enrobés de poussière, paquets de photographies, boîtes et pots, médicaments. Murs intranquilles, portant le poids d’images si enfoncées dans leurs cadres proliférants qu’on a l’impression de ne jamais parvenir à les atteindre.

Pierre Jourde, Festins secrets, L’Esprit des péninsules, p. 48.

David Farreny, 2 déc. 2009
moi

Je m’efforçais donc, ramassant en moi toute la tension de ma volonté et toute la puissance de mes muscles, de me porter en avant vers quelque chose. Mais cette direction du désir, créatrice de l’avant et de l’arrière, de l’avenir et du passé, échouait ici avant même d’être entrée dans la voie de son expression. En avant ne signifiait proprement rien. Vers quelque chose était, en soi-même, inconcevable. Ce qu’il y avait, c’était moi, tout seul et sans raison — une pure capacité de crier et de tomber, de crier en tombant. Mais j’étais, en vérité, muet et immobile.

Claude Louis-Combet, Blanc, Fata Morgana, p. 31.

Élisabeth Mazeron, 6 mars 2010
inexpérience

Il trouvait distingués la réserve et le dédain budapestois. […] Parfois cependant ils semblaient froids, et même sans cœur. Par exemple, personne ne lui demanda ce que tout le monde chez lui, à commencer par le préfet, lui aurait demandé, même quelqu’un qu’il ne connaissait que de vue : « Alors, mon cher Kornél, n’est-ce pas que Budapest est magnifique ? N’est-ce pas que le Danube est grand ? N’est-ce pas que le mont Gellért est haut ? » Et puis, on ne regardait même pas son visage ouvert, en quête d’affection, ce visage qu’au début – les premières heures – il levait vers chacun avec une confiance si illimitée que certains esquissaient un sourire involontaire, et riaient dans son dos d’un air complice à la vue de tant d’inexpérience et de jeunesse, jusqu’à ce que – quelques heures plus tard – il ait appris qu’il devait fermer son visage, s’il ne voulait pas se ridiculiser. Ici s’achevaient ce monde vaste et bienveillant, cette existence doucereuse de poupon, ce jeu de dînette auxquels il avait été habitué en province. Quelque chose de tout à fait autre commençait ici. Plus et moins à la fois.

Dezsö Kosztolányi, Kornél Esti, Cambourakis, p. 39.

Cécile Carret, 26 août 2012
signifierait

Monsieur Songe dit sans y penser je n’ai jamais eu tant de peine à n’en avoir aucune. Et puis il se demande ce que ça veut dire. Il pense que la bête a perdu de son poil et qu’il éprouve moins qu’autrefois le besoin de lui en reprendre. Ce qui signifierait à première vue résignation et probablement déclin. À seconde, sagesse mais il faut bien peser ce mot-là. Il finit par opter pour le mot paresse qui soudain lui paraît d’un juste…

Robert Pinget, Monsieur Songe, Minuit, p. 65.

Cécile Carret, 7 déc. 2013
pornographie

Les avions sont mes seules occasions de vie communautaire, de participation à l’obscénité fondamentale, celle de leurs nuits… Atroce. La façon dont ils se couchent (mettent leur masque noir, se réveillent, se remaquillent, se parlent, etc. S’emboîtent. Les couples sans paroles…)

On n’est partis que depuis deux heures à peine. Dans cinq ou six, la pornographie des intimités (reposant sur l’idée qu’étant tous pareils, on n’a rien à se cacher) aura atteint son comble.

Ça commence : un type fait de la gymnastique dans le couloir.

Philippe Muray, « 17 mars 1983 », Ultima necat (I), Les Belles Lettres, p. 262.

David Farreny, 27 mai 2015

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