langes

Ne plus chier dans les langes n’implique pas du tout Shakespeare, Molière et Paul Claudel.

Jean Dubuffet, Asphyxiante culture, Minuit, p. 26.

David Farreny, 14 avr. 2002
empire

Entre-temps, le squat de la rue Denis-Papin a périclité, comme un empire, à la suite d’un grand incendie et d’un afflux soudain de barbares.

Jean Rolin, La clôture, P.O.L., p. 208.

Guillaume Colnot, 14 avr. 2002
fureur

Savoir n’est pas nécessaire. D’abord, ça suppose qu’on prenne du recul, qu’on arrête un peu et le temps manque. Il y a trop à faire pour qu’on s’offre le luxe de s’interrompre un seul instant. Les choses sont là, obstinées dans leur nature de choses, corsetées de leurs attributs, rétives, dures, inexorables. Elles ne livrent leur utilité qu’à regret. Elles réclament toute la substance des vies qu’elles soutiennent. Encore le temps dont celles-ci sont faites ne suffit-il pas toujours. Il faut y verser quelque fureur. C’est à ce prix qu’on demeure.

Pierre Bergounioux, Miette, Gallimard, p. 28.

Élisabeth Mazeron, 6 oct. 2004
imitations

C’EST VRAI QUE. A l’orée du troisième millénaire, en France, c’est vrai que est la scie entre les scies. Il est même à croire qu’aucune, à aucun moment de l’histoire de notre langue, n’a connu une diffusion aussi large, et pareille fréquence dans les occurrences. Même au niveau de ou quelque part, au plus fort de leur règne qui pourtant fut lourd et long, n’ont jamais envahi si avant, tout de même, l’ensemble de la parole et peut-être de la pensée, ni imposé si largement leur présence.

[…]

Il paraissait aller de soi, jadis, que ce qu’on allait dire était vrai — puisqu’on prenait la peine de le dire. Faut-il que le rapport avec la vérité se soit distendu parmi nous — à force de publicité généralisée, de volonté d’appartenance et de conformité, d’effacement du narcissisme moral, d’indifférence à l’honneur et de dévaluation de la parole —, pour qu’une affirmation simple ne suffise plus, soit perçue comme ne suffisant plus, par celui qui l’émet et par celui qui la reçoit, et pour que la plupart de nos contemporains estiment indispensable de la faire précéder de la proclamation dogmatique de sa vérité !

Moins il y a de vérité, plus s’affichent ses imitations. Moins le verbe a de poids et de prix, plus il y a de c’est vrai que.

Renaud Camus, Répertoire des délicatesses du français contemporain, P.O.L., pp. 97-98.

Élisabeth Mazeron, 2 avr. 2010
compris

Je la voyais autant dire pour la première fois, mais sa forme me pénétra d’un coup. De la nuque pâle, sous les nœuds de la lourde tresse, jusqu’aux fins talons, je devinai son corps, le parcourus, et m’en délectai comme d’une offrande personnelle. Je compris et goûtai le grand front large et les beaux yeux pleins de douceur, j’aimai le nez, la bouche aux fins coins d’ombre, et le dessin du cou, et l’équilibre superbe des épaules. Mon désir volait cet ensemble merveilleux, je ne me reconnaissais plus, j’étais évadé de moi-même.

Quelque chose de considérable venait de se produire, que j’acceptais dévotement. Le jet bref d’un regard avait mis bas tous mes calculs. Dédaigneux de la foule, dont la rumeur montait sans m’atteindre, je n’avais d’yeux que pour cette femme, et tous mes sens convergeaient vers son masque clair. Une magie insoupçonnée dénaturait mes réflexions. Je voyais choir mes fameux plans et mes risibles stratégies, et je me laissais faire, heureux, et subissais ce cher martyre, voluptueusement. Mon passé, douloureux ou puéril, mes bonheurs étriqués, mes remords, Jeanne, l’odeur cadavéreuse de ma vie, l’avenir, tout cela enfin glissait, fondait, croulait en cascade le long de mon être, comme d’un corps un linge fatigué.

Félix Vallotton, La vie meurtrière, Phébus, pp. 74-75.

David Farreny, 13 juil. 2010
fusées

Viendrez-vous bientôt dîner chez moi à votre tour ? demande à l’araignée une autre araignée empêtrée dans sa toile, d’une toute petite voix.

C’est reparti. Le vaillant petit tailleur rêvait qu’il rêvait, et moi de même, tandis que le réel imperturbable chauffait ses pierres plates au soleil.

En se baissant pour ramasser dans l’herbe un fer à cheval porte-bonheur, le petit tailleur trouve un trèfle à quatre feuilles. Donc, ça marche.

Une perdrix décolle lourdement : nous en sommes encore aux tout premiers vols habités, les fusées ce sera pour plus tard.

Éric Chevillard, Le vaillant petit tailleur, Minuit, p. 52.

Cécile Carret, 25 avr. 2011
dictée

Pour ce qui est du genre, mon désir, s’affinant et se précisant au fur et à mesure que les choses avançaient, aura finalement été celui de parvenir à un livre composite, embrayant différentes vitesses d’écriture, tenant par certains côtés de l’essai et par d’autres du journal de bord, du récit et de l’embardée, voire, épisodiquement, du poème en prose, tout ce qu’on voudra mais en tout cas tendu par une injonction plus brutale – non pas le réalisme bien sûr, plus personne n’y croit, mais le désir que la forme verbale, quel que soit par ailleurs son travail, réponde le plus exactement possible à une dictée extérieure venant des choses rencontrées, le modèle, non verbal, étant ici celui de la photographie et de sa teneur indicielle, le petit écran baladeur des appareils numériques étant compris dans le lot. Tatouage mobile ou mue qui est quand même pour l’écriture un défi, car sous les mots le piège qui se tend toujours, via la linéarité induite par l’articulation du sens, est celui d’une involontaire refondation rhétorique.

Jean-Christophe Bailly, Le dépaysement. Voyages en France, Seuil, p. 14.

Cécile Carret, 15 déc. 2012
pourtant

Il m’avait accompagné à la gare et donné en cachette, aussi furtivement que s’il se sentait observé, un billet de banque. Je n’avais pu montrer toute la gratitude que j’éprouvais pourtant, et maintenant encore, imaginant cet homme de l’autre côté de la frontière, je ne voyais qu’une verrue sur un front blême.

Peter Handke, Le recommencement, Gallimard, p. 16.

Cécile Carret, 3 août 2013
concentré

Oui, c’était avec cette lenteur, cette réflexion, ce silence, en ne se laissant troubler par aucune société, totalement concentré sur moi seul, sans conseils, sans louanges, sans attente, sans revendication, sans arrière-pensée aucune que je voulais plus tard exercer mon travail. Quel qu’il fût, il devait correspondre à l’activité que j’avais ici sous les yeux et qui si manifestement ennoblissait celui qui l’exécutait en même temps que son témoin de hasard.

Peter Handke, Le recommencement, Gallimard, p. 45.

Cécile Carret, 4 août 2013
oeil

L’œil creux, la lèvre mince, violacée, trois dents grises.

Éric Chevillard, Le désordre azerty, Minuit, p. 110.

Cécile Carret, 24 fév. 2014
presque

Pendant que je dors, je vis presque.

Édouard Levé, « Pendant », Inédits, P.O.L..

David Farreny, 25 mai 2024

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