indécidabilité

Émancipée du grand héritage tragique, comique et romanesque, la pensée ne sait plus problématiser la vie. Elle ne sait plus en éclairer les contradictions, en explorer les paradoxes, en suivre les tortuosités, en capter les nuances. Elle ne sait plus faire droit à l’ambiguïté des êtres ni à l’indécidabilité des comportements. Spectaculairement ouverte aux différences, mais définitivement fermée aux apories, elle n’est capable, la malheureuse, que de brandir triomphalement la solution du problème humain.

Alain Finkielkraut, L’ingratitude, Gallimard, pp. 200-201.

David Farreny, 6 juin 2004
bonheur

N’ayez pas peur du bonheur ; il n’existe pas.

Michel Houellebecq, Rester vivant, La Différence, p. 33.

Élisabeth Mazeron, 24 sept. 2004
frégolisme

C’est que le frégolisme du plastique est total : il peut former aussi bien des seaux que des bijoux.

Roland Barthes, « Mythologies », Œuvres complètes (1), Seuil, p. 805.

David Farreny, 5 déc. 2004
saturation

Va, tant qu’il est possible, jusqu’au bout de tes défaites, jusqu’à en être écœuré. Alors, la magie partie, les restes — il doit y en avoir — ne t’abîmeront plus. Voilà comment en sortir, si tu veux en sortir. Si tu y tiens vraiment. Saturation. Avant, tu ne peux rien de définitif, ni par la contemplation ni par la critique. Et après, quasiment plus de problème.

Henri Michaux, « Poteaux d’angle », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 1068.

David Farreny, 7 août 2006
hauteur

Il faut se fixer des idéaux atteignables quand on ne saute pas deux mètres cinquante en hauteur de vue.

Jean-Pierre Georges, L’éphémère dure toujours, Tarabuste, p. 10.

David Farreny, 9 juin 2008
horizon

Au reste, mon horizon ne se borne pas à la littérature. Une confidence : j’écris pour gagner ma vie. Mais mes vraies passions secrètes sont l’immobilier, la bourse et l’import-export.

Éric Chevillard, Du hérisson, Minuit, p. 27.

David Farreny, 18 mai 2009
enclos

Ce jour-là, dit-il, ne fut pas un jour très différent des autres jours. Depuis quelque temps, Ophélie avait découvert que son cœur l’avait quittée. Elle s’en était aperçue certaine nuit où, cherchant à s’endormir et ne pouvant trouver le sommeil, elle avait glissé sa main sous ses seins et avaient senti, en ces doux parages de chair, la place d’un grand vide où plus rien ne battait. Le précipité d’un désert. Un enclos d’absence, d’immobilité, de nullité d’être… Elle serrait sa main contre sa poitrine — et sa poitrine ne répondait pas. Elle fixait son écoute sur le point précis où, d’ordinaire, le martèlement du cœur se laissait entendre — mais aucune pulsation ne lui parvenait ni même une rumeur. Avec angoisse elle pressait ses mains sur ses côtés et les laissait ensuite doucement se détendre, absolument comme on voudrait s’emparer de quelque chose d’infiniment précieux et le retenir — et l’on s’aperçoit alors dans le retrait qu’il n’y a rien, qu’il n’y a plus rien, qu’il n’y a jamais rien eu. Et l’on recommence aussitôt — le même geste de saisie et de remise — car une telle évidence est proprement insupportable.

Claude Louis-Combet, « La raison d’Ophélie », Rapt et ravissement, Deyrolle, pp. 46-47.

Élisabeth Mazeron, 26 mars 2010
type

Il est seul, debout. Le seul qui soit encore debout. Ça le change un peu. D’habitude on le range plus volontiers dans la catégorie des types à genoux.

Il est encore un peu essoufflé, un peu intimidé. Il ne regarde personne. Il sent encore sur lui comme des regards qui traînent.

Il est le type qui est monté au dernier moment. Le type qui a gêné la fermeture des portes. Malgré le signal sonore. C’est interdit. Et dangereux. Parce qu’interdit. Parce que dangereux.

Des regards de mépris, de reproche, peut-être même un peu de pitié. Rien de tout ça certainement mais en tout cas, lui, c’est ce qu’il sent. Et comme il en a plus qu’assez, d’être là, au milieu des jambes, sous les regards, il décide d’aller d’adosser.

Il y va. Il y est.

Il pose son sac entre ses pieds et s’adosse à la porte.

Puis il ose un regard. Puis un autre.

Plus personne ne fait attention à lui.

Le regretterait-il ?

Non. Mais tout à l’heure on faisait attention à lui et maintenant on ne fait plus attention à lui.

Ça peut faire mal.

Mal pour un bien puisque maintenant il peut regarder où il veut.

Christian Gailly, Les fleurs, Minuit, p. 50.

Cécile Carret, 4 mars 2012
postlude

Le trait le plus saillant de la cuisine de Landogne au temps de la cuisinière Sophie, c’est qu’un cheval y entrait couramment et tournait autour de la table pour voir s’il n’y avait rien à y glaner. Ah si c’était à refaire ! Comme on serait plus attentif à tout : aux noms, aux liens, aux histoires, aux visages ! Mais on croit toujours que ça n’a pas encore commencé ; qu’on ne vit qu’un fastidieux prélude à la vraie vie, un peu longuet ; et un beau jour on s’aperçoit, sans transition, qu’on est depuis longtemps dans le postlude, ou dans l’index, d’ailleurs très mal torché.

Renaud Camus, « samedi 28 mai 2011 », Septembre absolu. Journal 2011, Fayard, p. 228.

David Farreny, 27 août 2012
seconde

Nous en étions à nous frôler les mains, ce qui était tout et rien en même temps. La nuit d’hiver, à quatre heures de l’après-midi, me donnait la trouble impression de flotter dans le temps. Il me semblait aussi que je pouvais être heureux, au moins momentanément, que je me le devais bien, même. L’inconnue le pensait-elle aussi ? Son visage las et marqué, néanmoins encore beau, quitterait-il le temps ordinaire pour retrouver sous mes lèvres une seconde, une éphémère jeunesse ? Je n’ai pas cherché à le savoir.

Richard Millet, La fiancée libanaise, Gallimard, p. 402.

David Farreny, 27 sept. 2012
post-scriptum

Mais je sens que je t’ennuie. Et je ne mérite même pas ta pitié. Sois heureuse et laisse-moi mourir.

Et monsieur Songe en relisant cette lettre est au bord du désespoir.

Il ajoute pourtant en post-scriptum il faudrait un coup de théâtre mais je me demande s’il en existe ailleurs que dans les mots.

Remarque d’une profondeur telle qu’elle effraie monsieur Songe et qu’il pense la biffer.

Mais il ne la biffe pas, elle sera faite pour toujours.

Robert Pinget, Monsieur Songe, Minuit, p. 61.

Cécile Carret, 7 déc. 2013
naît

On nous naît, déjà pas mal, maintenant

« accouche de toi-même mais en silence ! »

Jean-Pierre Georges, Où être bien, Le Dé bleu, p. 17.

David Farreny, 28 fév. 2016
courir

Rien ne sert de courir, peut-être, en tout cas ceci est une terrine de lièvre.

Éric Chevillard, « lundi 26 septembre 2016 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 23 fév. 2024

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