aboie

Désir qui aboie dans le noir est la forme multiforme de cet être

Henri Michaux, « Face aux verrous », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 437.

David Farreny, 22 juin 2002
pauvres

Tu viens de me rejoindre. Tu es là. Je t’aime. Tu m’apportes quelques beignets dans une assiette. Du cidre. On parle un peu. On a le temps aujourd’hui. Qui pourrait venir ? Et moi je n’ai pas à m’absenter…

Te regarder.

T’écouter.

C’est tout.

Tu vois : nous sommes pauvres.

Thierry Metz, Le journal d’un manœuvre, Gallimard, p. 107.

David Farreny, 3 août 2004
chose

L’efficacité thérapeutique du pont naissait de son application directe à l’inimitié forte, concentrée de l’endroit.

Il ne mesurait guère plus de six ou sept mètres. À l’extrémité mobile, pour la dilatation, sous la plaque de garde-grève, on devinait le profil en double té des poutres principales. Elles reposaient sur une platine de fer scellée, elle-même, sur le sommier en pierre de taille. Le platelage en tôle striée masquait les entretoises. Mais il était facile de descendre le massif de la culée et on pouvait les voir par-dessous, avec leur contreventement en croix de Saint-André. Les traverses étaient agrafées sur les longerons. Elles étaient renforcées par des cornières de butée qui servaient à lutter, m’expliquerait plus tard le chef de gare, contre l’arrachement produit par le freinage des convois. Le tout était enduit d’une épaisse peinture grise, qui avait dégouliné sur les flancs des poutres et maculait la pierre très tenace — du granite, sans doute — à joints creux, du sommier. Voilà pour la chose.

Pierre Bergounioux, Simples, magistraux et autres antidotes, Verdier, pp. 30-31.

David Farreny, 9 août 2005
proclamer

Chaque fois que cela ne va pas et que j’ai pitié de mon cerveau, je suis emporté par une irrésistible envie de proclamer. C’est alors que je devine de quels piètres abîmes surgissent réformateurs, prophètes et sauveurs.

Emil Cioran, De l’inconvénient d’être né, Gallimard, p. 16.

David Farreny, 13 oct. 2006
irrévolue

Le faîtage du bâtiment fléchit, comme si la charpente, rongée par les vers, accablée par les ans, devait rompre. Obliquement greffée sur un angle externe du carré, une construction à claire-voie, sans étage, exhibe ses carreaux cassés. Des arbres poussent en bataille dans un réservoir à sec qui jouxte celui où l’on a cherché en vain à discerner un grouillement de carpes. L’eau qui brise sous le pont, déborde du canal et s’échevelle sur le talus infesté de broussailles, fait un aaaaahhh continuel, harassant qui couvre, à supposer qu’ils existent, les bruits qui pourraient provenir de l’édifice, chant grégorien, mugissement des bœufs, cri des limes, prière. Une chose est sûre, pourtant, une certitude se dégage de la perplexité que suscite l’endroit. C’est qu’il est d’une autre époque. Ce n’est pas seulement dans un vallon écarté qu’on s’est enfoncé mais dans les couches profondes d’une durée partout ailleurs ensevelie, détruite, qui affleure, intacte et comme irrévolue, ici.

Pierre Bergounioux, Les forges de Syam, Verdier, p. 18.

Élisabeth Mazeron, 3 fév. 2008
est-ce

Aimer quelqu’un à partir de sa mort, est-ce de l’amitié ?

Édouard Levé, Suicide, P.O.L., p. 16.

Cécile Carret, 22 mars 2008
infanticide

Dîner accablant, près de papa dont l’éloignement me désespère. Comme s’il n’avait vécu que de nous détruire, Gaby et moi, chaque jour, qu’il eût tiré toute son énergie, son être même et sa joie, de l’anéantissement quotidien de nos frêles personnes. C’est sans doute l’autre face de l’Œdipe, l’infanticide qui en constitue l’épisode premier. Et puis un jour, nous avons atteint l’âge, pris la consistance, acquis la connaissance qui nous mettaient hors de ses atteintes et c’est lui qui a basculé dans le néant. Comme s’il n’avait pu coexister avec nous, que la disparition de son père, lorsqu’il était enfant, lui eût interdit de souffrir, près de lui, en tant que père, des enfants. C’est ainsi que je m’explique, désormais, l’ombre terrible qu’il a jetée sur nos commencements, la lutte à mort où il nous a provoqués quand nous ne songions qu’à vivre en paix, affectueusement, avec lui.

Pierre Bergounioux, « dimanche 9 novembre 1986 », Carnet de notes (1980-1990), Verdier, pp. 548-549.

Élisabeth Mazeron, 11 nov. 2008
inertie

Du temps passait. Le froid me rentrait dans le corps. Les hautes murailles resserrées accablaient. J’éprouvais la contrariété qu’il y a à rester au contact d’une colère, serait-elle celle de l’eau, des fourrés. Je reconnaissais, intact, inentamé le déplaisir que j’avais fui, les yeux ouverts, dans la nuit. Il ne m’est pas venu à l’esprit, n’ayant pas eu le temps, qu’on ne vient pas à bout en l’espace d’un moment de l’ombre accumulée depuis le fond des âges, qu’il faut du temps. C’est comme de tailler à coups de pic la corniche aventurée à flanc de gorge, de percer le tunnel à travers le banc rocheux. Une chose est de vouloir se frayer un passage, autre chose d’attaquer la paroi, de réduire pied à pied l’épaisseur, la résistance du rocher. C’est la même écrasante inertie, la même noirceur que les mêmes choses nous opposent sous les deux espèces où elles sont, pour nous, en tant que telles et puis hors d’elles-mêmes, fort au-delà de leur strict contour, à l’intérieur de nos pensées et jusque dans nos cœurs.

Pierre Bergounioux, Le premier mot, Gallimard, p. 76.

Élisabeth Mazeron, 25 mai 2010
rôle

100 millions d’Américains ont pris 40 kilos pour le rôle.

Éric Chevillard, « vendredi 2 mai 2014 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 2 mai 2014

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