polyèdres

C’est son défaut d’accommodation à cette constante double valence de toutes notions et c’est son entêtement à éliminer les envers qui mettent la pensée de l’occidental en même situation qu’une géométrie plane en regard des polyèdres.

Jean Dubuffet, Asphyxiante culture, Minuit, p. 45.

David Farreny, 14 avr. 2002
sagesse

La sagesse n’est pas venue, dit Pollagoras. La parole s’étrangle davantage, mais la sagesse n’est pas venue.

Henri Michaux, « La vie dans les plis », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 233.

David Farreny, 14 avr. 2002
mort-nés

Or, c’était, ce quart de seconde, un de ces quarts de seconde qui comptent dans une vie, qui se comptent, ou se décomptent, tant il est vrai que les autres passent, mort-nés, pas même distincts de leurs confrères, à peine successifs, dans cette sensation de globalité qui emporte les jours ordinaires — presque tous, en fait.

Christian Oster, Mon grand appartement, Minuit, p. 70.

Élisabeth Mazeron, 23 avr. 2002
histoire

Finie la vie. Il n’en reste plus. On pourra seulement, si on le veut absolument, en faire l’histoire.

Henri Michaux, « La vie dans les plis », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 208.

David Farreny, 4 mars 2008
inconnus

La simple présence proche suffit amplement.

Étant gravement atteint de crise d’étouffement, j’en louai moi-même une sur les indications de mon conseiller. Son épaule et la naissance de sa poitrine exquise, voilà la zone touchée qui me fit le plus grand bien, et le plus prompt.

Cette fille simple et d’un charme qui allait loin ne fit durant le traitement que lacer et délacer une jambière, mais très modestement.

Elle me regardait de temps à autre, puis sa jambe, ne disant rien, et ses sentiments me demeurèrent inconnus.

Henri Michaux, « Ailleurs », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 95.

David Farreny, 4 mars 2008
voir

Mercredi – Pour réussir à voir ce que cache cette fenêtre, il faudrait allonger le cou et contourner le métro d’en face, sauter par-dessus la rambarde et attendre le moment où le soleil entrera dans la chambre. S’il arrive.

Jeudi – De la voiture encore, à la même heure mais sur un trajet différent. Tout voir brusquement à ras de terre, l’Art nouveau, la dentelle aux rideaux, les rideaux de fer et les Buttes-Chaumont (un crâne d’herbe).

Anne Savelli, Fenêtres. Open space, Le mot et le reste, p. 13.

Cécile Carret, 21 juil. 2008
limite

A est différent de O. Il faut prononcer A et O. Montre l’incroyable différence. Aaaaaaaaaaaaaaaaa / Ooooooooooooooooo. S’imprégner de la prononciation, en prononçant longuement dans la bouche. En vocalisant un a continu. Puis un o continu. Sentir l’évolution, les métamorphoses complexes dans la bouche. Garder le a, tenir le a et lentement, progressivement s’approcher de l’autre son que l’on connaît, délicatement, le a est encore là et penser au o, garder le son a et essayer d’atteindre par le son a le son de o en déformant le plus possible le a en gardant un a, plus il s’approche du o et plus l’effort est important pour s’approcher encore du o. Le o ne viendra pas. Il existe une limite infranchissable entre le a et le o.

Christophe Tarkos, « Processe », Écrits poétiques, P.O.L., pp. 117-118.

David Farreny, 21 mai 2009
désir

Le désir, un bien grand mot, c’est l’envie qui manque.

Jean-Pierre Georges, L’éphémère dure toujours, Tarabuste, p. 24.

David Farreny, 27 juin 2010
travail

La réponse est peut-être dans l’emblème du Kampuchea démocratique : deux rails de chemin de fer traversent des rizières, symétriques comme des parcelles de ciment. Une usine ferme l’horizon, avec ses toits en crémaillère et ses cheminées. Nulle échappée possible. En fait, les rails n’en sont pas, même s’il est impossible de ne pas y penser. Ce sont deux murets qui mènent à une digue. Et cette perspective vers l’usine est un canal d’irrigation, guidé vers un barrage. Le Kampuchea démocratique, c’est l’irrigation et l’usine : les paysans et les ouvriers.

Bien sûr, il s’agit d’un emblème de combat, un signe noir et volontaire, dans la tradition des affiches soviétiques. Tout commence par le travail et rien ne vaut que par lui. Aucun être. Aucun visage. Aucune joie. Même les tresses de blé sont des lauriers inquiétants.

Je suis frappé par une évidence : les lignes droites ne disent pas : Nous rêvons d’atteindre cet horizon. C’est notre grand soir. Elles disent : Il n’y a qu’une voie, il n’y a qu’une destination : c’est un bâtiment industriel dont s’échappe la fumée. Comment ne pas penser à l’enfermement et à la destruction ? Pour moi, ce sceau signifie : il faudra sarcler, piquer, repiquer, tremper, sécher, battre, forger, usiner, fondre bien des hommes pour que ce monde advienne.

Rithy Panh, L’élimination, Grasset, p. 104.

Cécile Carret, 7 fév. 2012
prix

Avec un sentiment.

Un curieux sentiment.

Comme un sentiment de domination, de supériorité, voilà, la supériorité de l’homme debout sur l’homme assis.

Quoi encore ?

Un certain pouvoir sur la vitesse, sur le paysage, qui défile devant les fenêtres, où le jour se joue de tout. Des têtes. Des nuques, des visages, qui se balancent en même temps. Il reste même une place libre.

Lui seul peut décider de la prendre.

Quelle jouissance, quand même.

Et si j’allais m’asseoir, se dit-il.

Tu paieras pas plus cher.

On ne s’entend jamais sur le prix.

Ce qui lui coûte à lui, c’est de se faire remarquer, encore, de déranger encore, de demander pardon, enfin bon.

Il y va. Il prend son sac et il y va.

Il aurait pu ne pas y aller mais il y va.

Christian Gailly, Les fleurs, Minuit, p. 51.

Cécile Carret, 4 mars 2012
genre

J’ai pris plusieurs poupées non peintes et non montées. Pour 10 dollars une demi-douzaine. C’est un monde à part qui n’entre pas dans un système de comparaisons. C’est pourquoi au sujet de ces poupées on ne se demande pas si on aime le « genre » ou pas : on les voit, on les emporte.

Nicolas Bouvier, Il faudra repartir. Voyages inédits, Payot & Rivages, p. 125.

Cécile Carret, 28 juin 2012
heure

Ô heure merveilleuse, sérénité parfaite, jardin sauvage. Tu tournes le coin de la maison et, dans l’allée, la déesse du bonheur se hâte à ta rencontre.

Franz Kafka, « Journaux », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 432.

David Farreny, 8 nov. 2012
lecteurs

Le grand mensonge de la littérature consista à nous faire accroire que les femmes étaient romantiques et sentimentales. En sorte que nous autres, lecteurs crédules, nous eûmes bien souvent le cœur déchiré en les voyant céder si facilement aux avances de brutes libidineuses et sans manières dont les propositions directes les rassuraient davantage sur leur pouvoir de séduction que nos regards éperdus, nos lettres contournées et nos louvoiements pathétiques.

Éric Chevillard, « lundi 1er juillet 2013 », L’autofictif. 🔗

Cécile Carret, 2 juil. 2013
chœur

Les heures ne cardaient leur laine et la rivière

                            ne coulait sous les ponts

que pour sonner en moi, au chœur de l’éphémère,

                            les voix et les répons.

Benjamin Fondane, « Au temps du poème », Le mal des fantômes, Verdier, p. 212.

David Farreny, 2 juil. 2013

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