déchaussée

Je l’ai accompagnée jusqu’à la chambre. Je l’ai assise sur le lit. Je l’ai déchaussée. J’ai eu le courage de m’occuper d’elle. Je me suis dit qu’elle m’aimait, maintenant. Que c’était de l’amour. Qu’est-ce que je vais faire ? me suis-je dit. Viens, a-t-elle suggéré. Je l’ai prise. Ç’a été bien. Ça marchait.

Christian Oster, Une femme de ménage, Minuit, p. 118.

David Farreny, 13 avr. 2002
idiot

Volontaire ou non, la solitude est un état contre-nature. Imposée, elle dénote, de notre part, une inaptitude à composer, à s’ouvrir, à faire avec. Délibérée, elle couvre un refus, trahit une sécession. On ne partage pas, plus, les fondements de croyance de la communauté. L’homme est un animal politique, du social individué. Étymologiquement, l’idiot, c’est l’homme privé, solitaire. Lorsqu’on est seul à se défier du monde, c’est de soi qu’il faut se défier.

Pierre Bergounioux, « Entretien avec Thierry Bouchard », Compagnies de Pierre Bergounioux, Théodore Balmoral, p. 152.

David Farreny, 2 juin 2005
comprendre

Comment viennent les mots ?

Comprendre est aussi une sensation

perdue

perdue

Henri Michaux, « Connaissance par les gouffres », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 53.

David Farreny, 21 oct. 2005
simple

La psychologie des personnages, elle aussi, semble abonder en contradictions, comme chez Proust : de même que dans la Recherche, les appréciations morales sur tel ou tel sont suivies d’exemples qui les contredisent, une même série d’adjectifs peut en receler plusieurs qui semblent tout à fait antagonistes ; mais il n’est pas exclu qu’il s’agisse là d’un simple souci d’exactitude.

Renaud Camus, « lundi 7 juin 1976 », Journal de « Travers » (1), Fayard, p. 499.

David Farreny, 28 sept. 2007
être

L’être, un souvenir seulement ; approximatif, fragmentaire, difficilement suscité. L’homme (ce qu’il en reste), un rideau, un mince rideau.

Les rapports avec l’entourage seront pénibles.

Henri Michaux, « Chemins cherchés, chemins perdus, transgressions », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 1172.

David Farreny, 4 mars 2008
virtualité

Les avantages d’un état d’éternelle virtualité me paraissent si considérables, que, lorsque je me mets à les dénombrer, je n’en reviens pas que le passage à l’être ait pu s’opérer jamais.

Emil Cioran, De l’inconvénient d’être né, Gallimard, p. 138.

David Farreny, 12 mars 2008
destin

Reste à savoir si nous ne devrions pas être décimés un peu plus souvent peut-être, étant donné que sans cela, l’air dont nous avons besoin pour respirer pourrait bien venir à manquer. Les rangs de nos pères étaient éclaircis à intervalles réguliers. Après un de leurs orages guerriers purificateurs, seuls quelques-uns relevaient la tête. Ceux-ci mettaient de l’ordre dans les affaires restées en suspens, rangeaient, et fécondaient les femmes qui restaient. Celui qui savait tenir un stylo à peu près droit devenait écrivain et professeur d’écriture, celui qui savait tenir un pinceau devenait peintre et professeur de peinture, celui qui savait tenir de la farine devenait boulanger et professeur de boulangerie, celui qui était cultivé devenait cultivateur et ainsi de suite, jusqu’à ce que tous les vides soient comblés et que ces gentils humains provisoires soient relayés par leurs descendants. Puis il y avait à nouveau une épidémie ou une bataille qui faisait de la place. De nos jours, les gens doivent se livrer à une lutte impitoyable pour avoir une place au soleil et, de ce fait, gagner aussi parfois leur vie avec les idées les plus insolites, par exemple en exigeant davantage de destin.

Matthias Zschokke, Maurice à la poule, Zoé, pp. 202-203.

David Farreny, 11 mars 2010
affligeant

Il n’est pas sur cette planète un village qui puisse s’enorgueillir de cette naissance – honte sur nos villages ! À quoi bon ces communes qui n’enfantent que les clairons et les tubas de la fanfare municipale ? Et n’est-il pas affligeant, quand on sait tout l’osier qui a poussé sur cette terre depuis l’aube des temps, n’est-il pas affligeant de penser qu’il ne s’en trouva pas douze brins pour tresser le berceau à Dino Egger ? Il y a de bonnes raisons de pleurer, nous en possédons tous un joli lot dont nous sommes du reste assez jaloux, mais celle-ci est sans doute la seule qui nous soit commune.

Éric Chevillard, Dino Egger, Minuit, p. 13.

Cécile Carret, 25 janv. 2011
laissant

Que devient le corps intouché ?

Il essaie de s’oublier lui-même, dans la bonne santé, qui par définition est silencieuse et ne tourmente pas, ou dans les afflictions et les maladies, qui l’occupent.

On s’occupe de lui, qui est devenu notre enfant et dont on est responsable, comme on a appris à le faire (dans l’enfance, ou en devenant adulte, quand il fallu se rendre présentable ou désirable), on le lave sans s’attarder, on l’apprête un minimum, on se nourrit en le nourrissant.

Ou le corps s’abandonne peu à peu, avec notre complicité, il se résigne. Il s’habitue à mourir à lui-même. Il s’éloigne de soi. Il n’y pense pas (on n’y pense pas).

Le corps se désintéresse de la chose, laissant l’esprit seul avec les stimulations diverses, ce qu’on voit, ce dont on se souvient avec regret ou amertume.

Pierre Pachet, Sans amour, Denoël, p. 67.

Cécile Carret, 13 mars 2011
signifierait

Monsieur Songe dit sans y penser je n’ai jamais eu tant de peine à n’en avoir aucune. Et puis il se demande ce que ça veut dire. Il pense que la bête a perdu de son poil et qu’il éprouve moins qu’autrefois le besoin de lui en reprendre. Ce qui signifierait à première vue résignation et probablement déclin. À seconde, sagesse mais il faut bien peser ce mot-là. Il finit par opter pour le mot paresse qui soudain lui paraît d’un juste…

Robert Pinget, Monsieur Songe, Minuit, p. 65.

Cécile Carret, 7 déc. 2013
tension

Je me sentais clairement ici — à une baisse de tension qui n’était pas le calme de la campagne, à un début d’engourdissement encore plaisant de l’imagination et de la curiosité — sur les lisières du monde habitable : une vie petite, un peu décolorée, un peu falote, pour laquelle l’espace semblait trop grand, la journée trop longue, bougeait à faible bruit sur ces marges crépusculaires ; les sons venaient frapper l’oreille, affaiblis, ouatés, espacés, comme quand on débarque au Montanvers — la grand’route qui traversait l’Elf sur son pont de ciment bifurquait au fond de la perspective sous une ligne de panneaux indicateurs qui semblaient concerner déjà l’enjambement d’un espace abstrait, des liaisons aériennes plutôt que routières : Haparanda — Finlande : 400 kms — Kiruna : 600. Bien avant quatre heures du matin, à travers mes rideaux le jour me réveillait ; je me levais et j’allais à ma fenêtre : une vive et blanche lumière de limbes, sans un chant d’oiseau, sans un bruit de voiture, éclairait la place vide, évacuée avec la nuit par les occupants de son parking, et où pour trois heures encore, dans le jour grand ouvert et pourtant déserté comme un œil de nocturne, nul signe de vie n’allait bouger.

Julien Gracq, Lettrines (II), José Corti, pp. 235-236.

David Farreny, 20 oct. 2014
malgré

Malgré tout, les cages fournissent, à peu près, un rayon de soleil par barreau.

Baldomero Fernández Moreno, « Air aphoristique », Le papillon et la poutre.

David Farreny, 7 juil. 2015
isolement

Quel crime faut-il commettre, déjà, pour être mis à l’isolement ?

Éric Chevillard, « mercredi 18 septembre 2019 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 17 mars 2024

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