appuyais

Ainsi, à l’insuffisante clarté d’une lampe d’un modèle ancien, découpant un grêle cône de lumière au sein d’une masse d’ombre de plus en plus compacte au fur et à mesure que l’heure tourne, ainsi m’appuyais-je la lecture de l’œuvre inachevée du général Bonnal : trois volumes in-quarto publiés à la veille de la Première Guerre mondiale et consacrés à La Vie militaire du maréchal Ney, duc d’Elchingen, prince de la Moskova.

Jean Rolin, La clôture, P.O.L., p. 14.

Guillaume Colnot, 13 avr. 2002
subreptice

Ce serait une raison — il en est d’autres — à l’envie subreptice de crever en qui j’ai trouvé, de bonne heure, une très attentionnée, douce et persuasive compagne.

Pierre Bergounioux, L’héritage. Pierre et Gabriel Bergounioux, rencontres, les Flohic, p. 72.

David Farreny, 6 août 2003
néant

« Au fond, c’est une question de degré, reprit-il. Tout est kitsch, si l’on veut. La musique dans son ensemble est kitsch ; l’art est kitsch, la littérature elle-même est kitsch. Toute émotion est kitsch, pratiquement par définition ; mais toute réflexion aussi, et même dans un sens toute action. La seule chose qui ne soit absolument pas kitsch, c’est le néant. »

Michel Houellebecq, La possibilité d’une île, Fayard, p. 149.

David Farreny, 21 sept. 2005
concomitance

Ils se grattèrent le front à la naissance des cheveux au même moment mais sans concertation ; un soudain et commun besoin de montrer qu’ils réfléchissaient. La concomitance du geste suggérait un acte chorégraphique qui sapa l’idée même d’une réflexion, fit d’eux des singes devant une conque.

Alain Sevestre, Les tristes, Gallimard, p. 111.

Cécile Carret, 10 déc. 2009
faudrait

Faudrait un sursaut de main, un levier pour soulever cette mélancolie massive, collante, face au monde et à vivre. Repartir du mimosa par exemple qui boule jaune dans mon coin clope au lycée. Ou bien cette nécessité de la révolte pour refuser cette vie – peau de chagrin imposée au plus grand nombre.

Antoine Émaz, Lichen, encore, Rehauts, p. 45.

Cécile Carret, 4 mars 2010
phantasmes

Dino Egger n’est pas un de ces phantasmes, sa pomme d’Adam rougit sous le feu du rasoir, ses cheveux ne tiennent qu’à un fil sur son crâne, il est sujet à des maladies triviales et humiliantes, à des abcès dentaires, à des accès de rage ou d’impatience. Il vivra un temps de petits larcins, d’expédients inavouables. Un marron sur son chemin, il donnera un coup de pied dedans. Il se masturbera sur des images. Il aura peur des chiens, des araignées et des chauve-souris. Il n’est pas beau, et je suis poli. Un jour, il avale une limace minuscule avec sa feuille de salade. Parfois, il pousse une porte qu’il fallait tirer pour ouvrir, et parfois, le contraire lui arrive aussi, tire quand il faudrait pousser. Sa prodigieuse intelligence se forge dans les épreuves, contre ce corps vulnérable, débile, malhabile, qu’il désavoue, où il se trouve logé comme une famille dans une cave et qu’il ne fait pas sien, ne passant vraiment dedans que ses nuits, hors de lui tout le long du jour, dans le nuage de craie de ses calculs, dans le songe de ses pensées.

Éric Chevillard, Dino Egger, Minuit, p. 34.

Cécile Carret, 27 janv. 2011
assez

Vers onze heures des gens commencent à sortir, avec des enfants et des chiens. J’oblique dans la direction opposée.

À l’extrémité de la plage des Sables-d’Olonne, dans le prolongement de la jetée qui ferme le port, il y a quelques vieilles maisons et une église romane. Rien de bien spectaculaire : ce sont des constructions en pierres robustes, grossières, faites pour résister aux tempêtes, et qui résistent aux tempêtes, depuis des centaines d’années. On imagine très bien l’ancienne vie des pêcheurs sablais, avec les messes du dimanche dans la petite église, la communion des fidèles, quand le vent souffle au-dehors et que l’océan s’écrase contre les rochers de la côte. C’était une vie sans distractions et sans histoires, dominée par un labeur difficile et dangereux. Une vie simple et rustique, avec beaucoup de noblesse. Une vie assez stupide, également.

Michel Houellebecq, Extension du domaine de la lutte, Maurice Nadeau, p. 122.

David Farreny, 26 fév. 2013
copeaux

Des copeaux recouvrent le sol, boucles ondulées, aériennes, ce sont les cheveux crépus de la planche, dirait-on, les rêves feuillus de l’arbre mort.

Dezsö Kosztolányi, Portraits, La Baconnière, p. 71.

Cécile Carret, 12 juin 2013
saurait

Il avait eu très peur, mais sa peur essentielle avait été et était encore d’avoir pu tuer un homme. Il montrait d’une âme égale ses nombreuses blessures, au tibia, à la cuisse, à l’épaule – ne sortant de ses gonds que lorsqu’on en venait, inévitablement, à cet Italien qu’il avait, sur ordre, mis en joue. « J’ai visé au-dessus de sa tête, disait mon père, mais quand j’ai tiré il a sauté en l’air, comme ça, les bras en croix, et ensuite je ne l’ai plus vu. » C’était le seul moment qu’il racontait encore et toujours les yeux écarquillés ; car l’autre continuait toujours, trente, quarante, cinquante après, à sauter en l’air, et jamais on ne saurait avec certitude s’il se laissait retomber ensuite dans sa tranchée ou s’il y était précipité la tête la première.

Peter Handke, Le recommencement, Gallimard, p. 63.

Cécile Carret, 4 août 2013

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