hydraulique

Elle roucoulait, gargarisante, la salive chuintée, et s’enfilait enfin, doucement, doucement, se poignardait au ventre, droite, par degrés, sans un mot, sans un cri, hagarde, défaite, vous coiffait de sa vulve excentrique, chapeau molletonné, descendait tout au long, depuis le vit, s’alourdissait, sans heurt, se pénétrait, ascenseur hydraulique surchauffé d’un immeuble insonore.

Louis Calaferte, Septentrion, Denoël, p. 65.

David Farreny, 21 mars 2002
inquiétude

Il faut que l’inquiétude subsiste.

Henri Michaux, « Face aux verrous », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 507.

David Farreny, 30 juin 2002
possibilité

Reste la possibilité d’aller faire un tour dans le jardin qui est un espace à trois côtés, herbu, pentu, bombé comme un triangle de fille.

Jean Echenoz, Ravel, Minuit, p. 65.

Guillaume Colnot, 26 avr. 2006
régression

Je sais bien : La fatigue, la nuit, le repos, le silence… Éluard, le passé, l’alexandrin, le nombre. Nous ne pouvons même pas prétendre, à l’instar de Pascal, que le disposition des matières est nouvelle. Dirons-nous que la nouveauté serait un sens encore trop fort, pour aujourd’hui du moins ? Ce n’est pas de nouveauté que nous avons soif, tous les deux, mais de retour en arrière, au contraire, de régression, d’arrêt sur des images heureuses, qui pourtant nous ravagent. Pas d’issue. Le téléphone n’a pas sonné du tout, cette fois. C’est de nouveau la nuit. Deuxième nuit blanche. Continuer, continuer, surtout ne pas laisser la réalité de la douleur s’échapper de ce lacis de mots où nous essayons de l’enserrer, le regret subvertir ce glacis de phrases que nous tâchons d’opposer à son avance, l’humeur noire submerger les paragraphes qui s’éreintent et s’érigent à la contenir. Il suffit de ne pas relâcher un seul instant la maniaque emprise de la ligne, des caractères qu’elle met en bon ordre, de la main qui les accouche. Rester coûte que coûte à la table, puisque le lit ne voudrait de nous, de toute façon, que pour nous tordre et nous tourner et retourner, et nous torturer de questions, lui aussi, de suggestions impraticables, de reconstitutions hallucinées et de ressassements impuissants. Si ce remède de cheval allait être pire que le mal, pourtant ?

Renaud Camus, Le lac de Caresse, P.O.L., pp. 36-37.

Élisabeth Mazeron, 7 fév. 2009
impatience

L’impatience, qui ne serait que le désir d’être ailleurs, connaît deux règnes de natures peu comparables. L’aiguillon de l’un, le désir, tous les désirs, induisent une impatience réactive qui peut saisir et compromettre des instants ou des actions très courtes — être mal ici, parce qu’on pourrait être mieux ailleurs (K. hier pendant la Sixième de Bruckner à Pleyel). Vouloir être ailleurs, transposé à grande échelle, vouloir être un autre, et peut-être, dans une version adoucie, se contenter de seulement vouloir être un autre, implique une résignation qui est le deuxième règne de l’impatience, et, sans doute, son retournement. Le désir impatient, son temps serré est d’essence occidentale ; la patience de l’impatience, son temps lâché, d’essence orientale.

Gérard Pesson, « vendredi 20 septembre 1996 », Cran d’arrêt du beau temps. Journal 1991-1998, Van Dieren, p. 246.

David Farreny, 27 mars 2010
bec

Il les mesurait du bec à la queue et d’une pointe de l’aile à l’autre. Quand les chiffres avaient un caractère vraiment anormal, il lâchait l’oiseau avec une brève exclamation de dégoût et il levait la tête, et nos yeux se croisaient, essayant de lancer un dialogue qui ne prenait pas.

Avec Tchinguiz Black j’avais en commun les années de camp, un intérêt inabouti pour l’ornithologie, une physionomie sinistre et aussi ces deux femmes, Sophie Gironde et Patricia Yashree, et la peur d’avoir perdu l’une d’elle à jamais, et une opinion négative sur le film Avant Schlumm ; mais nous ne savions plus parler ensemble ni garder ensemble la bouche close.

Antoine Volodine, Des anges mineurs, Seuil, p. 196.

Cécile Carret, 3 oct. 2010
lui-même

La chambre la moins chère d’un hôtel aussi misérable que le Winslow coûte 200 dollars par mois. Il lui en reste 78, c’est peu, mais il ne veut pas chercher de travail. Ça lui va de se soûler au vin californien à 95 cents le magnum, de fouiller les poubelles des restaurants, de taper ses compatriotes, au pire de faucher des sacs à main. Il est une merde, il vivra comme une merde. Ses journées se passent à marcher dans les rues, sans but, mais avec une préférence pour les quartiers pauvres et dangereux où il sait qu’il ne risque rien parce qu’il est pauvre et dangereux lui-même. Il s’introduit dans les maisons abandonnées, aux volets cloués, ceinturées de palissades verdies. On y trouve toujours, croupissant dans des flaques d’urine, des clochards avec qui il aime bien discuter, rarement dans une langue commune. Il aime aussi se réfugier dans les églises. Un jour, pendant un office, il plante son couteau dans le bois d’un prie-dieu et joue à le faire vibrer. Les fidèles l’observent du coin de l’œil, inquiets, mais nul n’ose l’approcher. Le soir, quelquefois, il se paye un cinéma porno, moins pour s’exciter que pour pleurer doucement, silencieusement, en pensant au temps où il y allait avec sa très belle femme et la faisait jouir, provoquant la jalousie des épaves dont il fait maintenant partie.

Emmanuel Carrère, Limonov, P.O.L., p. 162.

Guillaume Colnot, 8 nov. 2012
retroussis

Qu’on m’entende encore : il n’était pas question de les y contraindre, qu’une loi ou quelque autre violence les y contraignît ; non, mais qu’elles le voulussent comme il les voulait, indifféremment et absolument, que ce désir leur ôtât tout discours comme à lui-même il l’ôtait, que d’elles-mêmes enfin elles courussent au fond du bois et muettes, allumées, sans le souffle, s’y disposassent pour qu’il les consommât, sans autre forme de procès. C’est bien là ce qu’il me dit, ce soir de juillet, entre deux quintes, et plus crûment que je ne le rapporte : il voulait un passe-droit ; le don multiple qu’il attendait était son dû, mais il ne me dit pas en paiement de quelle dette, qui ne lui fut jamais remboursée et dont l’énormité, l’outrecuidance, le faisaient rire de lui-même ; il n’en appela pas ; il voulait se taire, il voulait qu’on s’offrît à ce silence ; et que dans toutes ces robes il fût la seule main, avec pour tout commentaire celui, pétillant comme un langage, des retroussis de soie à l’instant forcené.

Pierre Michon, « Je veux me divertir », Maîtres et serviteurs, Verdier, pp. 51-52.

David Farreny, 26 fév. 2014
impossibilité

Jules Boissé est mort d’une péritonite en huit jours, comme par surprise. Je fus appelé bien tard, la veille ; mais il avait toute sa connaissance encore, avec toute son intelligence occupée de sa mort. Il n’était pas très triste de quitter la vie ; on le voyait à son ironie. Nous causâmes doucement cette nuit-là, une nuit de chambre d’hôtel navrante d’abandon et de détresse. Les bruits du boulevard montaient et nous envoyaient des chants d’étudiants en goguette, et cela le tirait de son repos, et il me disait en souriant : « Je ne les envie pas… »

Toute cette nuit-là, il me parut inquiet du mobile de ma présence auprès de lui ; quoiqu’il fût tendre, il ne voulut croire qu’à ma curiosité ! « Tu viens me voir mourir, me dit-il quand il me vit paraître, cela n’est guère intéressant. Tu vois, j’ai toute ma conscience analytique (ce sont ses propres termes) et je suis la marche de la décomposition ; j’en ai pour six heures encore, car les molécules inconscientes de mon être sont en travail. Ce hoquet, que tu entends, c’est malgré moi ; je ne souffre pas, grâce à des injections de morphine qu’on m’a faites, c’est comme un sommeil. Je meurs usé, peut-être d’une erreur, peut-être d’une impossibilité sociale. »

Odilon Redon, « août 1885 ou 1886 », À soi-même, José Corti, p. 89.

David Farreny, 23 fév. 2024
évites

Les religions instituées, visibles, ne sont plus là que pour te faire croire que le tout de la religion se résume en elles, et que tu n’as donc rien à redouter si tu les évites.

Plus la société sera dévote, plus elle aura besoin de ces vieux panneaux « obscurantistes » si commodes pour cacher les nouveaux autels.

Il y a tant et tant d’illusions qui n’ont pas encore été défrisées !

Tant et tant de croyances qui n’ont pas été réfutées !

Tant et tant d’espoirs qui n’ont pas été déçus !

Philippe Muray, « 11 novembre 1989 », Ultima necat (III), Les Belles Lettres, p. 233.

David Farreny, 29 fév. 2024

mot(s) :

auteur :

rechercher 🔍fermer