pléonasme

Il y eut dix Aristote : le premier est notre philosophe ; le second gouverna à Athènes, et on lui attribue d’agréables discours judiciaires ; le troisième a écrit sur l’Iliade ; le quatrième est un orateur siciliote qui fit un écrit contre le Panégyrique d’Isocrate ; le cinquième, surnommé Mythos, était un ami d’Eschine, le disciple de Socrate ; le sixième était de Cyrène et fit un art poétique ; le septième était pédotribe, et Aristoxène fait mention de lui dans sa Vie de Platon ; le huitième fut un obscur grammairien qui fit un traité sur le pléonasme.

Diogène Laërce, « Aristote », Vie, doctrines et sentences des philosophes illustres (1), Flammarion, p. 240.

David Farreny, 11 août 2005
salut

Il sait dire bonjour le matin, à midi, après midi, bonne nuit, au revoir, en bambara, il sait dire merci, soleil, argent — quelle pitié ! C’est un enfant, il commence à peine à parler, et déjà on le lâche en Afrique ! Oreille rouge rend leur salut à tous les passants. Il harcèle les gamins avec ses crayons, ses ballons. Il répond lui aussi en agitant le bras aux joyeux moulinets de cette fillette qui, à mieux y regarder, secoue sa salade.

Éric Chevillard, Oreille rouge, Minuit, p. 52.

David Farreny, 20 nov. 2005
condamnerais

Je condamnerais définitivement un homme sur un tic de langage mais non pas pour l’avoir vu assassiner sa mère.

Jean-Paul Sartre, « vendredi 24 novembre 1939 », Carnets de la drôle de guerre, Gallimard, p. 230.

David Farreny, 26 déc. 2006
ou

Mon orgueil et mon délaissement étaient tels, à l’époque, que je souhaitais être mort ou requis par toute la terre.

Jean-Paul Sartre, Les mots, Gallimard, p. 141.

David Farreny, 4 janv. 2009
épigones

C’est aussi la raison pour laquelle les épigones rassurent, et ont souvent plus de succès que les écrivains qu’ils en viennent à imiter (la raison pour laquelle le public, à l’image des critiques, préfère Naissance des fantômes de Marie Darrieussecq à La sorcière de Marie NDiaye, ou encore fait un triomphe aux pièces de Yasmina Reza quand celle-ci a su transposer dans le monde du divertissement stérile les innovations dramatiques de Nathalie Sarraute) : ce n’est pas que ces épigones soient intrinsèquement moins difficiles à lire, c’est qu’ils sont infiniment moins inquiétants au regard du tissu de nos certitudes et de nos habitudes – quand ce tissu, chez les plupart des « lecteurs » ou plus exactement des consommateurs de livres, a acquis au fil des ans la rigidité amidonnée du linceul, cette rigidité qui leur fait trouver Nietzsche difficile, quand sa langue coule comme le miel jusqu’en sa traduction, et Philippe Labro facile, quand il est illisible à force de piéger le sens dans le marais inextricable des clichés les plus remâchés.

Bertrand Leclair, Théorie de la déroute, Verticales, p. 21.

Cécile Carret, 26 août 2009
inexistant

Dans mon rêve, cette ascèse du lieu se voyait largement dépassée : aucune image d’aucune chose, aucune impression de compacité ou de relief n’intervenaient pour rassurer le rêveur et lui fournir au moins le sentiment d’une consistance matérielle sur laquelle ses déplacements eussent pu prendre appui et constituer une progression clairement orientée. Quant au silence qui régnait absolument, il n’était pas fait de l’atténuation des rumeurs de la vie et ne se remplissait d’aucun déploiement organique. Il n’avait ni densité ni tension ni profondeur. Aucune qualité sensible ne permettait de le définir. Il n’était pas seulement l’absence des sons mais l’inconcevabilité même de toute production sonore — en sorte que mes appels ou mes cris, à l’adresse de l’inexistant, ne franchissaient pas le seuil de ma bouche et que, le vide des mots confirmant le vide de l’espace, je n’étais plus rien que le corps de mon angoisse.

Claude Louis-Combet, Blanc, Fata Morgana, p. 30.

Élisabeth Mazeron, 6 mars 2010
errant

Le singulier, à dire vrai, c’était cette aisance avec laquelle cette manière d’ascension, qui n’était guère plus qu’une promenade solitaire, une escapade sans destination fixée d’avance, s’était jusqu’à présent déroulée : comme dans un rêve trop facile, comme dans une conscience somnolente que les aspérités du réel n’affectent plus. À la vivante élasticité des pas répondait cette élasticité d’un temps gorgé de promesses, dans l’insaisissable et toutefois parfaitement juste coïncidence de l’avenir et du présent. Monter, c’était bien, ainsi, croître en une puissance que les petits succès personnels grignotés, çà et là, dans la coite vallée, ne permettaient pas d’imaginer. Et comme s’il avait voulu traduire, par sa seule apparence, l’élégance hautaine de ses aspirations, le grimpeur — l’errant — s’était enveloppé d’une longue cape et portait un magnifique béret de velours noir également, en sorte que l’homme avait tout à fait le style de son ombre.

Claude Louis-Combet, « La tombe à son plus haut point », Rapt et ravissement, Deyrolle, p. 39.

Élisabeth Mazeron, 23 mars 2010
imitations

C’EST VRAI QUE. A l’orée du troisième millénaire, en France, c’est vrai que est la scie entre les scies. Il est même à croire qu’aucune, à aucun moment de l’histoire de notre langue, n’a connu une diffusion aussi large, et pareille fréquence dans les occurrences. Même au niveau de ou quelque part, au plus fort de leur règne qui pourtant fut lourd et long, n’ont jamais envahi si avant, tout de même, l’ensemble de la parole et peut-être de la pensée, ni imposé si largement leur présence.

[…]

Il paraissait aller de soi, jadis, que ce qu’on allait dire était vrai — puisqu’on prenait la peine de le dire. Faut-il que le rapport avec la vérité se soit distendu parmi nous — à force de publicité généralisée, de volonté d’appartenance et de conformité, d’effacement du narcissisme moral, d’indifférence à l’honneur et de dévaluation de la parole —, pour qu’une affirmation simple ne suffise plus, soit perçue comme ne suffisant plus, par celui qui l’émet et par celui qui la reçoit, et pour que la plupart de nos contemporains estiment indispensable de la faire précéder de la proclamation dogmatique de sa vérité !

Moins il y a de vérité, plus s’affichent ses imitations. Moins le verbe a de poids et de prix, plus il y a de c’est vrai que.

Renaud Camus, Répertoire des délicatesses du français contemporain, P.O.L., pp. 97-98.

Élisabeth Mazeron, 2 avr. 2010
doute

J’entraîne Mam en promenade, par la rue Basse, le boulevard du Salan, la rue Blaise-Raynal. Partout veillent les souvenirs, les premiers, ceux, miraculeux, de l’enfance, lorsque le tragique de la vie, la désespérance et la douleur nous sont épargnés. Ce sont les parties hautes des façades, vers lesquelles on lève rarement les yeux, qui conservent et me rappellent les jours abolis, le temps magique et bref où j’ai vécu au présent, le bonheur qu’il y avait à être avant qu’un doute affreux ne me vienne, qui ne m’a plus quitté. Mam marche à petits pas glissés, parle, sans se soucier de savoir si je peux l’entendre, du passé, de ses grands-parents. Depuis quatre ans, elle a déserté le présent. Et j’en suis là, aussi. Tout mon bonheur était dans l’espérance et il n’est plus temps.

Pierre Bergounioux, « jeudi 1er novembre 2007 », Carnet de notes (2001-2010), Verdier, p. 803.

David Farreny, 15 fév. 2012
estival

Il fit une partie d’échecs avec lui-même, laissa « l’autre » gagner. Par les battants de fenêtre ouverts on entendait la rivière qui coulait rapide, invisible derrière la digue, de concert avec le crissement des grillons, des trilles, plutôt, bruit qui ne cessait de s’élever du talus, de sortir du sous-bois, des trous de terre, le plus estival des bruits.

Peter Handke, Par une nuit obscure je sortis de ma maison tranquille, Gallimard, p. 53.

Cécile Carret, 21 juil. 2013
miroir

C’est en retrouvant le visage d’un autre depuis quelques temps « perdu de vue » que nous prenons parfois conscience d’avoir vieilli. Passé un certain âge, il ne faudrait jamais s’éloigner trop longtemps de ceux ou celles que l’on est destiné à revoir : ils en profitent pour vieillir sans prévenir et ressurgissent soudain comme le miroir indélicat de notre propre décrépitude. On se rassure éventuellement entre intimes plus constamment proches : « Il a pris un sacré coup de vieux… », mais le cœur n’y est pas, on lui en veut presque, on se demande s’il n’est pas malade ; on cherche une explication.

Marc Augé, Une ethnologie de soi. Le temps sans âge, Seuil, p. 119.

Cécile Carret, 21 avr. 2014
cursus

Son suicide signe la fin de cursus de l’autodidacte.

Éric Chevillard, « vendredi 24 juin 2016 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 24 juin 2016

mot(s) :

auteur :

rechercher 🔍fermer