Quand la vérité n’a pas grand intérêt, le mensonge est légitime.
Philippe Jaenada, La grande à bouche molle, Julliard, p. 57.
Je fus le vivant qui dit : « Je veux d’abord hiverner. »
Henri Michaux, « Face aux verrous », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 449.
Mais toute ma vie sentimentale est dans l’infra. C’est une vie infra-sentimentale, peut-être même une infra-vie. Plus rien n’y a de substance. Rien n’y affleure au réel. J’embarrasse mon imagination et mon cœur, des jours durant, d’histoires qui auraient occupé deux minutes de mon attention il y a vingt ans — et qui ne sont même pas des histoires : infimes tropismes de l’amour, dans le néant sentimental des jours (et des années, et des années ; car ce sont les années qui passent, sans qu’il arrive rien d’autre, entre ces steppes désolées, que les frémissements d’herbe du désir).
Renaud Camus, « jeudi 24 octobre 1996 », Les nuits de l’âme. Journal 1996, Fayard, p. 230.
Il serait certes très sympathique de ma part, libéral et démocratique, d’entrer dans cette vision égalitaire des choses. Mais je ne le peux pas. Je n’ai plus le temps de faire des concessions, et de ne pas vivre de toute urgence selon ce que je pense : qui est à peu près, au fond, que « la vie de l’esprit », comme dit noblement Finkielkraut, est l’avenir de l’homme, non pas son avenir promis, certes, mais son avenir idéal, celui vers lequel il doit tendre, constamment, de toutes ses forces, le seul garant de sa dignité mais aussi le principal instrument de son bonheur.
Renaud Camus, Aguets. Journal 1988, P.O.L., p. 90.
J’étais accroché par une image, je marchais dans sa robe rouge.
Dominique de Roux, Immédiatement, La Table ronde, p. 29.
Quelques arbres, de la rivière, des barques, une certaine France de la mesure, des petites paresses, nonchalance et maupassaneries. On dirait que l’on caresse le museau d’un veau.
Dominique de Roux, Immédiatement, La Table ronde, p. 149.
On marche toujours sur des traces usées, déjà tant empruntées. On en retournerait plutôt se coucher de dégoût.
François Bon, « Variation Baudelaire, trois », Tumulte, Fayard, p. 427.
Égaré dans ces images de maisons basses et d’étoiles, j’aperçus tout à coup un avion – un garçon, les bras tendus en ailes, vrombissant comme un supersonique, qui tournait, virevoltait, atteignit une petite place, devint automobile, gronda, actionna ses leviers, saisit son volant, fit, d’une grosse voix muée, rugir son moteur et, les poings en pare-choc, freina brusquement devant une autre voiture pour pisser contre.
Tony Duvert, Journal d’un innocent, Minuit, p. 22.
Deux notes du Livre de mon bord, de Pierre Reverdy :
« C’est un tour de force incroyable de garder au bout de sa plume, après les détours qu’elle doit faire, la saveur de la sensation. »
« Les sensations sont le combustible du néant. Inutile de les noter, de les embaumer. Elles ne ressuscitent, avec leur sève et leur parfum, que lorsqu’elles ressurgissent on ne sait plus d’où, quand on les avait oubliées – qu’elles sont retordues, transformées, adaptées au moment précis où elles doivent être libérées. Non plus pour être exprimées elles-mêmes, mais pour exprimer. »
Antoine Émaz, Lichen, encore, Rehauts, p. 61.
Les hommes me prouvent le contraire.
Jean-Pierre Georges, « Jamais mieux (4) », « Théodore Balmoral » n° 74, printemps-été 2014, p. 72.
Mettre un point à la fin d’une phrase, c’est une déclaration de guerre.
Jérôme Vallet, « 26 juin 2020 », Georges de la Fuly. 🔗