clavecin

Le foie gras. On l’étale

sur des toasts. Délicat, onctueux

Le clavecin de toutes les cirrhoses

La sainte vierge en culotte de velours

Alain Malherbe, Diwan du piéton, Le Dé bleu.

David Farreny, 20 mars 2002
mort

Pour l’Occidental contemporain, même lorsqu’il est bien portant, la pensée de la mort constitue une sorte de bruit de fond qui vient emplir son cerveau dès que les projets et les désirs s’estompent. L’âge venant, la présence de ce bruit se fait de plus en plus envahissante ; on peut le comparer à un ronflement sourd, parfois accompagné d’un grincement. À d’autres époques, le bruit de fond était constitué par l’attente du royaume du Seigneur ; aujourd’hui, il est constitué par l’attente de la mort. C’est ainsi.

Michel Houellebecq, Les particules élémentaires, Flammarion, pp. 104-105.

David Farreny, 22 mars 2002
intérêt

Quand la vérité n’a pas grand intérêt, le mensonge est légitime.

Philippe Jaenada, La grande à bouche molle, Julliard, p. 57.

David Farreny, 14 avr. 2002
bêtise

La bêtise, c’est ce qui parle trop fort.

Renaud Camus, « Voix basse », Syntaxe ou l’autre dans la langue, P.O.L., p. 206.

David Farreny, 10 déc. 2004
chose

L’efficacité thérapeutique du pont naissait de son application directe à l’inimitié forte, concentrée de l’endroit.

Il ne mesurait guère plus de six ou sept mètres. À l’extrémité mobile, pour la dilatation, sous la plaque de garde-grève, on devinait le profil en double té des poutres principales. Elles reposaient sur une platine de fer scellée, elle-même, sur le sommier en pierre de taille. Le platelage en tôle striée masquait les entretoises. Mais il était facile de descendre le massif de la culée et on pouvait les voir par-dessous, avec leur contreventement en croix de Saint-André. Les traverses étaient agrafées sur les longerons. Elles étaient renforcées par des cornières de butée qui servaient à lutter, m’expliquerait plus tard le chef de gare, contre l’arrachement produit par le freinage des convois. Le tout était enduit d’une épaisse peinture grise, qui avait dégouliné sur les flancs des poutres et maculait la pierre très tenace — du granite, sans doute — à joints creux, du sommier. Voilà pour la chose.

Pierre Bergounioux, Simples, magistraux et autres antidotes, Verdier, pp. 30-31.

David Farreny, 9 août 2005
comment

Feu. Feu. Feu incessamment répété.

Enfin s’interposant, la morphine place ses étouffoirs et je puis regagner ma coupole (si je puis dire) et un espace, libre de feu. Je m’y endors.

Réveil.

Le feu reprend.

Feu. Feu. Feu. Feu incessamment feu. Feu pour moi, pour moi tout seul brûlant.

Kermesse inepte qui veut qu’on s’intéresse à elle, quand moi je voudrais passer outre. Ainsi nous restons sans nous entendre, moi avec elle, criant comme une sourde.

Visite.

Paroles qui volent. Paroles qui veulent. Paroles qui ne peuvent me distraire des torrents de feu. Paroles qui dévalent… tandis que le feu, énorme feu… il faudrait ne pas participer. Oui, mais comment ?

Henri Michaux, « Face à ce qui se dérobe », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 863.

David Farreny, 5 juil. 2006
courbas

Comme à ce roi laconien

Près de sa dernière heure,

D’une source à l’ombre, et qui pleure,

Fauste, il me souvient ;

De la nymphe limpide et noire

Qui frémissait tout bas

— Avec mon cœur — quand tu courbas

Tes hanches, pour y boire.

Paul-Jean Toulet, Les contrerimes, Gallimard, p. 55.

David Farreny, 8 fév. 2009
boue

Je n’ai jamais pu comprendre comment l’égalité pouvait bien être compatible avec la morale. Dès lors que c’est de morale qu’il s’agit, et d’esthétique a fortiori — or ce sont là des champs qui constituent une proportion énorme du territoire de la pensée… —, l’égalité est absolument dépourvue de pertinence. Son domaine est purement politique. Elle est une invention toute politique, un défi intellectuel à l’observation et à la nature, une élaboration conceptuelle, très respectable, à ce titre, certes, un procédé, on serait tenté de dire un truc, pour avoir la paix. En tant que telle elle est d’ailleurs assez peu efficace, et son coût ontologique, dont la facture est présentée à l’humanité avec de plus en plus d’insistance, pourrait bien être supérieur à ses avantages pratiques, stratégiques, médiatiques.

Justement, pour parer à ses déficiences et la protéger des critiques philosophiques, ou tout simplement logiques, ses défenseurs la parent d’un socle ontologique, religieux ou métaphysique : les hommes, quels que soient leurs accomplissements, leur intelligence, leur droiture, leur élévation spirituelle (et bien entendu leur beauté, leur force, leur séduction, leur puissance, leur situation dans la vie), seraient égaux fondamentalement. Mais comment ne pas voir que ce fondement procède d’une conception du monde aussi archaïque que possible, humiliante pour l’homme, répressive au dernier degré ? C’est l’homme dans son néant qui est égal, dans son inanité, dans sa mortalité, dans son appartenance au limon : l’homme couché, l’homme gisant, l’homme du premier vagissement et l’homme du râle ultime. C’est seulement devant un Créateur ou au sein d’une Création dotés sur eux de toute-puissance que les êtres se valent, comme, au sein d’une monarchie absolue et de droit divin, tout le monde est égal devant le monarque. Il n’y a pas de conception plus décourageante, ni qui rende plus vaine l’idée de prendre sur soi : vous pouvez bien écrire le quintette de Schubert ou bâtir la cour des Myrtes, résister seul au Troisième Reich ou peindre L’Aurore aux doigts de rose à Louse Point, peu importe, vous serez toujours égal, égal, égal, c’est-à-dire rien, de la cendre, de la poussière, de la même boue que Kim Jong-il ou que le Pétomane.

Renaud Camus, « dimanche 8 août 2010 », Parti pris. Journal 2010, Fayard, pp. 323-324.

David Farreny, 24 juin 2011

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